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DIAL 2828

AMÉRIQUE LATINE - Les transformations opérées par les femmes dans la théologie. Les théories du « genre » et la réflexion théologique latino-américaine.

Silvia Regina de Lima Silva

vendredi 16 septembre 2005, mis en ligne par Dial

La théologie dite aujourd’hui « féministe » a d’abord été une théologie élaborée du point de vue des femmes et se situait dans l’horizon de la théologie de la libération. Elle a procédé ultérieurement à une révision plus fondamentale de ses concepts dans le cadre de la théorie du « genre ». Aujourd’hui, elle se fait théologie du quotidien, théologie du corps et du cœur, théologie des retrouvailles avec l’univers, pluriculturelle et œcuménique. Le langage qu’elle tient sur Dieu intègre le visage de la Déesse. Texte de Silvia Regina de Lima Silva, théologienne catholique, paru dans Pasos (Département œcuménique de recherches, Costa Rica), novembre-décembre 2004.


(…) La réflexion théologique féministe en Amérique latine est née dans le contexte de l’Eglise des pauvres. Dans les années 60 à 80, les mouvements en faveur des droits civiques, les organisations populaires, urbaines et rurales, ont été des espaces marqués par la présence des femmes. Cette activité d’ordre politique trouvait aussi un écho dans les communautés ecclésiales. Le cri des femmes était présent dans le cri des pauvres, comme cri et comme lieu théologique de la théologie de la libération. Dans ce contexte on ne faisait pas référence à une théologie féministe mais à la théologie du point de vue des femmes, à la théologie dans l’optique de la femme. La théologie et l’herméneutique [1] s’attachaient à renforcer l’engagement politique et la participation à la vie de l’Eglise des femmes, tant en référence à la Bible qu’à la théologie. Souvent les rôles assumés par les femmes dans ces espaces étaient une extension des tâches domestiques traditionnelles caractérisées par l’ordre, le souci des autres et leur prise en charge. Il n’y avait pas d’interrogation de fond quant aux identités élaborées sur la base de fonctions imposées par l’Eglise et par la société patriarcale.

La spiritualité qui nourrissait cette théologie était une spiritualité du service, manifestée dans le contexte de l’engagement au sein de l’Eglise et dans le cadre de l’évolution sociale. Dans les années 80 on trouve une plus grande implication des femmes dans une réflexion théologique de type académique. Les premiers articles et publications diverses paraissent alors dans des revues pastorales et théologiques. Le cadre théologique reste celui de la théologie de la libération. Des rencontres de femmes théologiennes s’organisent et prennent une place importante dans le renforcement et l’échange des expériences qui commençaient à prendre forme sur le continent. La théologie confirme l’engagement avec les pauvres et ouvre la voie en direction de ce que, à l’époque, on appelait « théologie féminine ». La présence des femmes dans les instituts de théologie, les séminaires et les universités commence à s’exprimer sous la forme d’une pensée spécifique, d’une lecture, d’une parole différente, à propos de Dieu. Ce fut un moment d’affirmation de la différence. Mais cela s’est manifesté à travers l’appréhension de l’essence des identités masculines et féminines et sur la base d’une relation qui n’était pas de confrontation et de tension mais de complémentarité. Il s’agissait d’une théologie féminine complémentaire de la théologie masculine, qui, donc, s’auto-identifiait comme théologie dans l’optique de la femme.

Une autre tendance, qui est apparue dans le cadre du processus de réflexion théologique féministe latino-américaine, est ce que je nomme « la rencontre avec le Dieu-femme ». Différent des moments précédents, nous faisons référence à la rencontre avec la Déesse comme étant une tendance ou un acte de réflexion théologique très spécifique. Il s’agit d’un courant théologique et de spiritualité qui s’efforce d’aller au-delà de l’image du Dieu patriarcal, distant, censeur, masculin, et de redonner à la Déesse sa place et sa valeur. On revient aux religions de l’Antiquité et on récupère la figure de la Divinité féminine, des Déesses. A partir de l’art, des peintures, des céramiques, on tire de l’oubli les signes distinctifs, les attributs de la Déesse. Dans les traditions religieuses latino-américaines, on pourrait mettre cette figure en relation avec la Terre Mère et les Divinités féminines des religions afro-latino-américaines. Les spiritualités bâties autour de la Déesse sont des spiritualités à forte connotation écologique, elles ramènent la personne humaine sur la terre. C’est la Déesse qui rétablit le lien entre les créatures, leur relation entre elles et avec la nature. La Déesse est respectueuse de chaque étape de la vie qu’elle nous apprend à vivre, de l’acte de donner la vie à celui de mourir. Elle prend en charge la guérison des corps meurtris, elle nous apprend à tenir pour estimables le corps et la sexualité. La Déesse prend soin de la totalité de la création, respecte ses rythmes, accompagne et protège chacune des créatures. La spiritualité vécue à partir de la rencontre avec la Divinité féminine propose une éthique de la responsabilité et des retrouvailles avec la terre.

Théologie féministe et théologie du genre

C’est la réflexion théologique qui apparaît à partir des années 90 que nous considérons comme théologie féministe. Un élément important dans cette étape de la réflexion est la médiation des catégories liées au genre en tant qu’instrument d’analyse, en tant que cadre conceptuel plus vaste pour analyser le thème des identités, masculines et féminines, les relations de pouvoir et la relation avec la nature, le cosmos. « Cette perspective inscrit la théologie dans un modèle holiste, systémique et écologique » (Yolanda Ingianna). C’est une conception différente de l’être humain, du processus de formation de nos identités et des relations de pouvoir qui existent entre les hommes et les femmes. Elle contribue aussi à la réflexion sur les relations de pouvoir entre adultes, enfants, adolescents et sur les différences etnico-raciales. Il ne s’agit pas d’un thème de plus à penser d’un point de vue théologique, mais d’un questionnement en direction de l’ensemble de la production théologique car il dénonce en premier le mythe de la neutralité et de concepts comme l’objectivité, l’impartialité, l’universalité, qui sont fondamentaux dans le discours théologique patriarcal. Si l’on se place du point de vue des théories relatives au genre nous ressentons le défi de bouleverser les présupposés théoriques traditionnels et de construire de nouvelles rationalités qui ne soient pas dualistes mais plus inclusives, dans le cadre d’une conception holiste de l’être humain et du monde.

A partir des catégories relatives au genre, la théologie est mise au défi d’assumer la tache d’une déconstruction théologique afin de parvenir à un questionnement et une déconstruction des bases établies antérieurement et du discours théologique patriarcal. L’herméneutique du doute joue un rôle important dans ce travail biblico-théologique. Cette perspective éclaire les discontinuités entre théologie féministe et théologie de la libération. L’analyse en terme de genre donne également la possibilité de reconnaître en Amérique latine différentes théologies féministes du fait des diversités ethnique, culturelle, religieuse, qui caractérisent la réalité des femmes d’Amérique latine et des Caraïbes.

L’utilisation de ces catégories ne prend pas la place de la théologie féministe, ce sont plutôt des catégories à caractère analytique qui enrichissent la réflexion théologique féministe. Nous soulignons ci-dessous, quelques contributions de ce moment dans la réflexion théologique féministe en dialogue avec les théories relatives au genre.

a) Dieu considéré comme réciprocité. Dieu n’est plus conçu comme un être extérieur, solitaire, transcendant, mais comme relation et réciprocité. C’est un Dieu qui se révèle dans la relation à l’être humain à travers son histoire, son environnement et sa condition charnelle. La création elle-même provient du pouvoir relationnel de Dieu. Du point de vue de cette dynamique relationnelle, on conçoit le ministère de Jésus comme une passion pour le prochain dont les rencontres de guérison et de libération sont des manifestations. Une spiritualité relationnelle est une affirmation de vie et rend possible dans un esprit créatif des relations de respect et de réciprocité en vue du bonheur. « Ce Dieu n’est pas extérieur aux femmes ; il travaille à partir de nous. En même temps qu’il transcende, il est en chacune de nous. Transcender c’est établir des ponts, des traverses, établir des connections, se dépasser. » (Ivone Gebara)

b) La théologie en tant qu’affirmation du corps. Admettre la subjectivité comme participant à la construction de la connaissance c’est récupérer la place du corps, féminin et masculin, dans l’activité théologique. Cette affirmation démystifie la notion de savoir universel, un savoir neutre et par conséquent désincarné, sans corps. Dans la théologie féministe latino-américaine le corps est présent sous différentes formes. Il est là sous forme de cri face à la violence dont souffrent les femmes, violence qui humilie et qui tue. Il est présent dans le corps qui se rebelle affronté à une théologie du sacrifice. Parce que nous avons dans la vie quotidienne l’expérience fréquente de la mort, nous refusons une théologie sacrificielle qui affirme que la souffrance de ceux qui sont en situation de « non-pouvoir » est un chemin de salut. Nous persistons à affirmer le corps comme le lieu de la joie, du plaisir, de la jouissance, de la vie partagée. Nous lui redonnons sa place, dans l’espace politique, d’affirmation de la dignité et de la construction de la citoyenneté.

c) Théologie du quotidien dans le quotidien. La proposition féministe (…) ratifie l’importance du quotidien comme lieu privilégié de la connaissance et comme lieu théologique. Le quotidien est le lieu de rencontre avec Dieu, lieu de l’expérience de Dieu, de construction de relations nouvelles qui sont affirmation de vie des hommes et des femmes et affirmation d’une relation d’harmonie avec l’ensemble de la création.

d) Théologie chaleureuse, théologie d’amour. Une théologie qui assume la rupture avec les identités relatives au genre établies par le patriarcalisme intègre l’amour à la vie humaine. La tendresse devient une façon d’être au monde et, à travers elle, on redécouvre la « sororité », l’amitié entre Dieu et l’humanité. Dieu vu comme l’amie qui accompagne et soutient.

e) La théologie comme expérience de retrouvailles avec l’univers. Une des contributions des théories relatives au genre et du dialogue interdisciplinaire avec la théologie est la cosmovision holiste dans laquelle l’humanité se vit comme partie d’un tout, intégrée à l’énergie vitale de la nature. La dimension holiste de la théologie a été plus particulièrement envisagée dans l’écoféminisme, expression théologique qui a été développée ces dernières années. L’écoféminisme trouve sa place en Amérique latine et réaffirme des éléments fondamentaux des théologies indigènes ancestrales ou d’origine africaine, et de la théologie rurale. Il favorise la prise de conscience d’une relation d’interdépendance dans laquelle, nous, humains ne pouvons plus nous concevoir séparément de l’ensemble de la création, au-dessus d’elle. Nous faisons partie de l’univers. Notre corps en est une composante, c’est pourquoi à l’égard de tous les êtres créés nous devons faire preuve de respect, d’attention et de responsabilité.

f) Théologie pluriculturelle et œcuménique. Notre continent est marqué par la diversité et cette diversité s’exprime à travers une théologie féministe plurielle. Les théories relatives au genre ont été un apport dans la reconnaissance de la richesse issue de la diversité qui existe parmi les femmes. Dans le cadre de cette diversité et du point de vue de la théologie nous pouvons mettre en avant la production théologique des femmes d’origine africaine et des femmes des peuples des origines. La terre, les ancêtres, les fleuves, les aliments, l’axé (énergie vitale), font partie de la mémoire historico-religieuse, de notre expérience de Dieu et fondent une théologie à visage spécifique. Une théologie qui, non contente de récupérer la tradition religieuse et la culture, assume le défi d’être une voix qui dénonce le racisme. Il s’agit d’une expérience théologique oecuménique et macro-œcuménique.

Conclusion

La réflexion théologique relative au genre pose également des questions sur les masculinités. Il y a là un apport des théories du genre, mais il est très progressivement assumé par les hommes dans le cadre de la réflexion théologique. Mon silence sur le sujet est intentionnel. La réflexion proposée s’est donné pour but de recueillir les apports relatifs au genre du point de vue de la réflexion théologique féministe essentiellement. Les implications théologiques plus directement liées au monde masculin constituent une voie qui devra être élaborée par les hommes. Le dialogue entre le groupe de réflexion féministe et ceux qui travaillent sur le thème des aspects de la masculinité a été intéressant et fécond. Dans la mesure où il serait approfondi nous finirions, ensemble, par enterrer l’homme ancien pour voir naître et pour célébrer l’avènement d’une nouvelle masculinité. Un des points de départ de la réflexion masculine pourrait consister à poser la question : qu’a fait la théologie patriarcale de la vie des hommes ? Quelle masculinité a-t-il été possible de construire du point de vue du patriarcalisme ? Quels chemins vers la réalisation de soi et le bonheur la théologie patriarcale ouvre-t-elle aux hommes ? Il se peut qu’en se posant ces questions et quelques autres nous trouvions dans l’avenir un point de rencontre pour célébrer ensemble la mort de la théologie patriarcale et l’avènement d’une théologie qui soit affirmation de vie pour les femmes et les hommes.
Dieu, alors, ne sera ni « Lui » ni « Elle ». Dieu simplement sera Dieu. Tout, et en tous. Lorsque nous penserons ainsi et lorsque nous éprouverons une satisfaction à penser ainsi, c’est que nous L’aurons déjà rencontré, Lui, Elle. Peut-être, alors, ne sera-t-il plus nécessaire de « théologiser », il suffira de vivre, glorifier, se réjouir, se réjouir…


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2828.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Pasos (Département œcuménique de recherches, Costa Rica), novembre-décembre 2004.

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[1Science de l’interprétation.

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