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Opinion
CHILI - Plaidoyer pour des membres de l’Assemblée constituante issus des mouvements sociaux
Andrés Kogan Valderrama
mardi 9 mars 2021, mis en ligne par
24 février 2021 - La démocratie au Chili doit être non seulement représentative, mais aussi participative, communautaire, décentralisée et sans caudillos.
Pour ce qui concerne le début de la campagne électorale pour l’élection des membres de la constituante, fixée au 11 avril prochain, après plus de 200 ans d’une histoire de constitutions antidémocratiques, la question du choix des personnes les plus indiquées pour être membres de la convention constitutionnelle est fondamentale.
Même si la composition de cette convention constitutionnelle sera de caractère paritaire et comprendra des sièges réservés aux peuples indiens, il est permis de douter des possibilités réelles que soient élus des candidats indépendants de partis politiques membres de mouvements et d’organisations sociales, compte tenu du nombre important de listes existantes qui sont plus de 70.
Le défi que représente la rédaction d’une constitution, à laquelle prennent part des personnes issues de mouvements sociaux devient un obstacle, si on tient compte du fait que les partis politiques traditionnels useront de toute la machinerie électorale dans les districts représentés (maires, conseillers, députés, sénateurs) et bénéficieront, en outre, d’espaces médiatiques spécifiques, ce qui laissera hors jeu beaucoup de candidatures indépendantes.
Donc, le risque que la convention constitutionnelle soit constituée de la même classe politique que celle des dernières 30 années, et que les revendications des mouvements sociaux (fortement exprimées lors de la révolte d’octobre 2019), ne soient pas exprimées au sein de cet organe, est ce à quoi il faut s’attendre. Surtout si on considère que la droite chilienne se présente plus unie que jamais à cette élection (néolibérale et néofasciste) et que pour qu’ils soient approuvés les futurs articles de la constitution devront obtenir les 2 tiers des voix.
De toute façon, la nécessité de donner une visibilité aux listes et aux candidates et candidats, alternatives et critiques, face aux pouvoirs existants, issues des mouvements sociaux des dernières 20 années au Chili, devient plus que nécessaire dans ce moment, dans un pays où les moyens d’informations sont fortement monopolisés.
Les candidatures critiques sont trop nombreuses pour qu’on puisse les nommer toutes, mais pour ce qui est des listes qui s’engagent à construire un pays féministe, respectueux de l’environnement et plurinational, ce que font par exemple La Liste du peuple, Mouvements sociaux : unité des indépendants et Voix constituantes, fortement enracinés dans les territoires est très intéressant.
Si les transformations importantes sont souhaitées, il me semble qu’il faut soutenir des candidats, issus d’organisations comme Le mouvement pour l’eau et les territoires (Francisca Droguett, Lucio Cuenca et Camila Zárate), la Coordination féministe 8M (Natalia Corrales, Karina Nohales et Alondra Carrillo).Tout comme des candidatures qui sont des référents pour le peuple mapuche comme Elisa Loncon, Natividad Llanquilleo et la machi [1] Francisca Linconao.
Tous ces candidats ont à leur actif une histoire remarquable de lutte politique au sein de leurs organisations et dans leurs territoires ces dernières années. Ils ont lutté sans cesse pour la décolonisation et contre le mercantilisme, au sein d’un pays qui s’est vendu aux yeux du monde comme modèle de vie à suivre, alors qu’il était soutenu par une matrice productiviste privée et extractiviste, dominée par des hommes des classes privilégiées, qui ont accentué le racisme, les privilèges de classe et le machisme régnants.
Heureusement, grâce à la révolte de 2019, cet imaginaire chilien entrepreneur et triomphant est enfin en train de s’effondrer, en dépit du fait que la droite pinochetiste continue à croire le contraire et qu’une partie de la gauche n’aspire qu’à des réformes purement cosmétiques du néolibéralisme, comme celles qui furent opérées entre 1990 et 2009.
Pour cette raison, même si cette élection des constituants est un pas vers la démocratisation du pays, il n’est pas le plus important, comme le croiront les monopoles des grands médias. Je pose cette question, car indépendamment de qui sera élu/ ou rédigera la nouvelle constitution, le 11 avril prochain, ceux qui devront définir réellement les thèmes sont les conseils municipaux locaux autoconvoqués, constitués par les communautés elles-mêmes, par le biais des assemblées de quartiers.
Pour cette raison, il est fondamental que, pour élaborer ce nouveau projet de vie collective dans le pays, la nouvelle convention constitutionnelle ne soit pas qu’une simple chambre représentative de plus, comme celle du congrès, dont les membres n’obéissent qu’à eux-mêmes, mais que ses membres soient véritablement obligés d’entretenir des relations actives avec les communautés mobilisées et organisées, grâce à des mécanismes de participation obligatoire.
En définitif, la démocratie au Chili ne doit pas être simplement représentative mais également participative, communautaire, décentralisée et sans caudillos, alors que les élites nous ont malheureusement habitués à croire le contraire durant des décennies, dans un pays qui enfin, pour la première fois de son histoire, a la possibilité de bâtir son propre destin.
Andrés Kogan Valderrama est sociologue de l’Université centrale du Chili. Il travaille aussi pour la mairie de la commune de Lo Prado. Il est diplômé en Éducation au développement durable et dispose d’une maîtrise en communication et culture contemporaine. Il est doctorant en Études sociales d’Amérique latine, membre du comité scientifique de la revue Ibéroamérica social et membre du mouvement Buen vivir global https://buenvivir.global/. Il est directeur de l’Observatoire plurinational des eaux www.oplas.org.
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/211102.
[1] guérisseuse et cheffe religieux