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Opinion

MEXIQUE - Créer deux, trois, de nombreux Tecotelmis

Víctor M. Quintana S.

mardi 5 avril 2022, mis en ligne par Françoise Couëdel

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25 février 2022 - Au Mexique des communautés locales luttent contre le modèle extractiviste et ses conséquences environnementales et contre la pression des corporations internationales et la connivence de secteurs de l’État.

La communauté indienne nahua de Tecoltemi, dans l’état de Puebla vient de remporter un triomphe historique. Elle a obtenu que la Cour suprême de Justice annule les concessions minières sur son territoire. Précédemment une autre communauté indienne, celle de San Miguel del Progreso, dans l’état de Guerrero, y était parvenue. Ces victoires indiquent ce que doit être la voie en faveur des peuples originels contre l’extractivisme et le pillage de leurs territoires. D’autres communautés n’ont pas obtenu les mêmes résultats : c’est le cas de l’expulsion opérée par la Garde nationale et diverses unités de police de Altepelmecalli, Maison des peuples, qui avait élaboré et géré les communautés nahua de Cholulteca, également dans l’état de Puebla, où opérait l’entreprise d’extraction et de mise en bouteille d’eau Bonafont, filiale de la transnationale Danone. Et cela tout récemment, le 15 février.

La résistance de la communauté Huizopa, section de Dolores, commune de Madera, dans l’état du nord de Chihuahua n’a pas eu non plus gain de cause. En 2006 la compagnie minière canadienne, Mine Finders, s’y est implantée pour extraire de l’or et de l’argent à ciel ouvert, avec une capacité de 20 mille tonnes par jour. Les autorités communautaires dès le début signalèrent que la mine s’était approprié plus de 2 mille hectares du terrain communautaire alors qu’elle n’avait obtenu un permis d’usage du sol que de 500 hectares. Elles ont dénoncé t aussi les agissements de la compagnie minière qui prétendait acheter l’assentiment des 248 membres de la communauté, en prétendant que ses actionnaires, au cours de 16 années, auraient des revenus bruts de 100 millions de dollars. C’est ce qu’ont relaté dans un reportage les correspondants de la Jornada, Miroslava Breach (assassinée 9 ans plus tard) et Ruben Villalpando.

L’entreprise essaya d’étouffer la résistance en proposant de construire des maisons pour les familles, car le filon principal se situe juste en dessous de la partie ancienne du village, mais les dirigeants communautaires rejetèrent cette proposition. Ils exigeaient en outre de réelles mesures de contrôle de la pollution produite par l’exploitation de la mine. Ils eurent recours au pouvoir exécutif et législatif, par des communications aux organisations sociales.

Mine Finders répondit par une stratégie multiple : elle engagea des représentantes et des responsables du PRI, elle obtint le soutien du gouvernement de Felipe Calderón, le soudoya ou s’assura de sa subordination. Elle distribua 142 000 pesos à chaque membre de la communauté. Elle divisa la communauté en octroyant des contrats de transport, des cantines et des services à quelques-unes de ses familles, en échange de leur soutien aux opérations d’extraction.

Aux tactiques douces succédèrent les tactiques dures : quelques dirigeants communautaires furent « disparus », d’autres furent séquestrés et tous menacés. Le crime organisé fit des apparitions plus fréquentes dans le village et ce n’est pas précisément l’entreprise qui était menacée par leurs incursions. Aux personnes qui, sur les ondes de Ciudad Madera, se faisaient entendre pour dénoncer les conséquences environnementales et sociales de l’opération, comme le Professeur Dante Valdez, on interdit l’antenne pendant plus de dix ans. On acheta le silence des médias.

Cela permit à Mine Finders de poursuivre son entreprise d’extraction et de pollution. En août 2010 des habitants de la Communauté de Huizopa signalèrent que le déversement de cyanure dans la tuyauterie et la fosse de séparation de l’argent et de l’or intoxiquaient le bassin du fleuve Tutuaca et d’autres cours d’eau qui se jettent dans le fleuve Yaqui. (CNDH, UNAM : Estudio sobre la protección de ríos, lagos y acuíferos desde la perspectiva de los derechos humanos [Études sur la protection des fleuves, des lacs, des aquifères dans le cadre des Droits humains], 2018).

Les déversements de cyanure de sodium et autres substances hautement toxiques se produisent en moyenne 10 fois par mois car toutes les géomembranes qui sont utilisées dans les lagunes de lixiviation sont perméables, sans compter les fuites sur les tuyauteries et les déversements de substances toxique au cours de leur transport. Ces faits sont entièrement documentés depuis des décennies dans le dossier des questions environnementales de la PGR et d’autres instances.

En 2012, l’entreprise Mine Finders a été rachetée par une autre compagnie minière canadienne, la Pan American Silver, qui possède des mines dans quatre autres pays d’Amérique latine, outre le projet La Colorada, à Zacatecas. Elle a poursuivi ses projets d’expansion de la mine de Dolores et a entrepris une exploitation souterraine. En juin 2021 elle a fait savoir qu’il existait des réserves probables de 650 mille onces d’or ce qui, au prix de mille 350 dollars l’once, lui assurait un revenu brut de presque 900 millions de dollars, sans compter 20 mille 500 onces d’argent. À la perspective de cette richesse elle a demandé à la communauté de prolonger son contrat d’usufruit, qui est arrivé à échéance en octobre2021, de 3 à 5 ans. Ce mois-ci la communauté a tenté de tenir son assemblée pour débatte de l’extension de ce contrat. Cependant, la réunion n’a pas pu avoir lieu en raison de la présence de personnes armées étrangères à la communauté. Jusqu’à ce jour la Procurature agraire n’a pas garanti la reprogrammation et la tenue d’une nouvelle assemblée, sans ingérence extérieure à la communauté.

Il est indispensable que le Gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de la Procurature agraire, vienne au secours de ces communautés agraires menacées par le pouvoir corrupteur et oppresseur des compagnies minières et de leurs alliés délictueux. Il est surtout urgent que soit promulguée une Nouvelle loi minière et que soit approuvée l’initiative de la loi Eau pour Tous, Eau pour la Vie pour vaincre le capitalisme déprédateur afin de créer deux, trois, de nombreux Tecoltemis.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/en/node/214999.

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