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ARGENTINE - Georgina Orellano : « La justice sociale doit s’appliquer aussi aux travailleuses du sexe »

Josefina Figueroa

vendredi 30 septembre 2022, mis en ligne par Dial

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Georgina Orellano est travailleuse du sexe et secrétaire générale de l’Association des femmes prostituées d’Argentine (AMMAR). Dans cet entretien réalisé par Josefina Figueroa pour l’Agence Paco Urondo (APU), elle fait le point sur la situation et les luttes des travailleurs et travailleuses du sexe en Argentine. Texte publié par l’Agence Paco Urondo le 29 août 2022.


Dans le cadre du cycle APU en VIVO (du lundi au vendredi à 1 9h), l’Agence Paco Urondo (APU) s’est entretenue avec Georgina Orellano, travailleuse du sexe et secrétaire générale de l’Association des femmes prostituées d’Argentine (Asociación de Mujeres Meretrices de Argentina, AMMAR). Elle a expliqué comment elles s’organisent sur le plan syndical au niveau national, les services qu’offre Casa Roja [la Maison rouge], le siège du syndicat à Buenos Aires, et quels sont les besoins des travailleuses du sexe dans notre pays.

Qu’est-ce que le travail sexuel ?

C’est un travail volontaire réalisé par des personnes majeures qui décident d’offrir des services sexuels en échange d’une rémunération financière. C’est un accord entre deux parties et nous qui exerçons ce travail sexuel en lien avec l’organisation syndicale et dans la connaissance de nos droits, nous luttons pour obtenir les meilleures conditions possibles.

Quelles sont les décisions que prend une secrétaire générale d’AMMAR ?

Ce sont des décisions collectives pour que les droits humains et du travail soient respectés pour nous qui exerçons ce travail sexuel. Tous les 4 ans, avec des déléguées et des délégués des 12 provinces dans lesquelles nous sommes organisées, nous préparons une planification stratégique qui nous sert de feuille de route avec des objectifs qui indiquent les perspectives et les priorités.

Et dans cette planification sont inclus des horaires et des modalités de travail, comme le font d’autres syndicats ?

Elle prend en compte les demandes des travailleuses et des travailleuses du sexe en général, mais nous respectons les situations des personnes et des régions en matière d’organisation. Chaque camarade est autonome quant à sa manière de travailler. Le travail sexuel se déroule dans l’espace public, privé et virtuel également.

En ce sens les plus harcelées sont les travailleuses de la rue et ce n’est pas la même chose d’exercer à Buenos Aires qu’à Salta car chaque province définit ses règles de contraventions (plus dures dans certaines provinces que dans d’autres). Nous devons donc y porter une attention particulière. Quand de nombreuses femmes sont incarcérées ou souffrent de la violence institutionnelle, notre rôle est de les accompagner et de les soutenir.

Quels besoins expriment les travailleuses du sexe ?

La première chose demandée dès qu’elles ou ils rejoignent le syndicat c’est de pouvoir exercer la prostitution sans être poursuivies. C’est ce que nous entendons constamment dans les assemblées, dans les réunions plénières, au syndicat. C’est pour cette raison qu’une de nos premières revendications est de sortir de la clandestinité, d’être reconnues comme sujets existant aux yeux de l’État, et qu’il y ait des politiques publiques pour notre collectif, comme l’accès au logement. Beaucoup de nos camarades ont été expulsées ou vivent dans des conditions de grande promiscuité. Il faut dialoguer avec l’État pour résoudre nos problèmes et que celui-ci puisse intervenir.

Existe-t-il des instances d’échanges avec des représentants politiques ? Connaissent-ils votre situation ?

Oui, nous sommes en contact avec le ministère de la santé, celui du développement social, avec certains législateurs et législatrices. Le dialogue est permanent avec plusieurs fonctionnaires, mais il manque de véritables politiques publiques.

Quel est le travail de Casa Roja ?

Elle offre à nos camarades des services d’accompagnement. Elle est située actuellement à Constitución (Buenos Aires) car c’est le quartier avec le plus grand nombre de travailleuses du sexe qui exercent leur métier sur la voie publique et vivent dans des hôtels meublés ou, dans certains cas, des maisons « occupées ». La Casa Roja dispose d’une cantine communautaire qui fonctionne du lundi au vendredi et offre ses services à 50 camarades du quartier qui y viennent manger et retirer des repas. Parallèlement elle offre une assistance juridique gratuite une fois par semaine. Nous proposons une assistance psychologique qui fonctionne deux fois par semaine de façon individuelle pour les camarades, femmes et hommes, mais aussi pour leurs enfants. Une école primaire fonctionne aussi deux fois par semaine pour les camarades qui n’ont pas terminé leurs études primaires. Il y a un centre de santé avec une équipe médicale et un centre de pratiques qui est en relation avec l’université de sciences sociales. Nous disposons également d’une section migration, car il existe un nombre important de travailleuses du sexe migrantes qui ont besoin de réaliser des démarches administratives.

Dans le reste du pays la majorité des délégations de notre syndicat (AMMAR) dispose d’un local au sein de l’espace de la Centrale des travailleurs et travailleurs de l’Argentine (CTA), comme à Mendoza et Entre Ríos. À Río Cuarto (Córdoba), la délégation tente de parvenir à un accord avec la municipalité pour implanter un lieu similaire à Casa Roja, mais elle n’y est pas encore parvenue. À San Salvador de Jujuy, la délégation s’efforce d’installer aussi sa propre maison pour répondre aux demandes de nos camarades.

Tous ces espaces se sont-ils construits sur la base de l’engagement militant et le volontariat ?

Oui, mais aussi de façon importante en collaboration avec diverses instances de l’État.

Si cette collaboration existe, que manque-t-il pour obtenir une reconnaissance complète des travailleurs et travailleuses du sexe ?

Il manque une volonté politique. Ils nous reçoivent et établissent un espace de collaboration mais ils ne vont pas jusqu’à résoudre les problèmes de fond, reconnaître notre travail et éviter que nos droits soient bafoués. Nous ne pouvons montrer aucun bulletin de salaire et nous sommes stigmatisées à tel point que, dans bien des cas, on exige de nous le double du loyer en raison de notre activité. Nous avons au moins besoin d’un parapluie légal qui nous protège. Et en cela nous dépendons de l’État.

Le syndicat a-t-il pu obtenir des avancées depuis sa formation ?

Je crois que la principale conquête est que nous ayons notre propre voix, que nous soyons organisées et nous fassions partie de la Centrale des travailleurs et des travailleuses de l’Argentine (CTA) car cela nous donne une appartenance de classe, nous sommes reconnus comme travailleuses organisées. Il y a beaucoup de camarades qui n’étaient pas syndiqués et le sont désormais. Avoir la Casa Roja, autogérée par le syndicat, a aussi été une conquête car c’est un espace important pour notre collectif. Une autre conquête est d’avoir construit un espace au sein de ce qui était la Rencontre de femmes, devenu désormais l’Espace plurinational, qui se tient cette année dans la province de San Luis. Nous débattions auparavant de thèmes imposés mais, depuis 2016, nous y avons un atelier de travailleurs et travailleuses du sexe, où nous débattons de thèmes qui nous concernent plus directement.

Tu as récemment écrit et publié un livre. Comment as-tu vécu cette expérience et quelles répercussions a-t-elle eues ?

Cela a été une grande expérience car précédemment je n’écrivais que sur les réseaux sociaux pour y brandir le drapeau de notre lutte et montrer que nous étions un collectif avec sa propre voix. Cela a été très enrichissant de parler de nos vies et nos expériences, de revenir sur notre engagement militant et sur la place que nous avons gagnée par la lutte syndicale quotidienne. Je l’ai écrit d’abord parce que la littérature avait toujours donné de nous une représentation en termes de victimes et que je crois que, malgré la précarisation, notre travail doit être respecté et légitimée notre décision de l’exercer. Ce n’est pas parce que nous sommes pauvres que nous devrions toujours être des victimes du système. Nous sommes des personnes fortes qui ne nions pas notre pauvreté et regardons toujours vers l’avenir. Nous nous sentons orgueilleuses de notre travail et de notre origine de classe, et nous voulons nous en sortir. J’ai écrit ce livre pour prendre une revanche sur tout cela.

Les réactions ont été excellentes, il s’est très bien vendu. La maison d’édition est très contente et le livre s’est avéré un instrument politique. Nous l’avons présenté aussi bien à la Foire du livre de Palermo qu’à La Rioja, où nous en avons profité pour évoquer la situation des travailleuses du sexe de la province. De nombreuses organisations sociales et politiques nous invitent également à le présenter et à raconter notre histoire. Nous souhaitons vivement atteindre les groupes militants au niveau national et populaire pour qu’ils nous écoutent. Nous avons besoin d’un coup de pouce de la politique et que la justice sociale s’applique aussi aux putes.

Quels sont les plus grands souhaits d’une « pute féministe » ?

De pouvoir travailler dans des conditions dignes, d’avoir une retraite et surtout de ne plus devoir affronter la police. Nous rêvons du jour où cesseront de nous harceler autant les forces de sécurité.

Qu’est-ce que le pouvoir et en quoi en avons-nous besoin ?

C’est un instrument qui te donne la possibilité de transformer les choses. Il est nécessaire pour construire l’égalité car il a toujours engendré le contraire. Nous nous en servirions pour élargir nos droits et aider ceux qui attendent, relégués aux derniers rangs.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3630.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Agence Paco Urondo, 29 août 2022.

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