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DIAL 3632

EL SALVADOR - Séparation à l’entrée d’une maison d’arrêt

Carlos Barrera

lundi 17 octobre 2022, mis en ligne par Dial

Convoqués en session plénière extraordinaire, les députés de la majorité ont voté dimanche 27 mars la mise en place du régime d’exception, dans le but déclaré de lutter contre la vague de violence dans le pays. Ce régime suspend les garanties constitutionnelles (liberté de réunion, caractère inviolable de la correspondance, droit de la personne détenue à être informée sur ses droits et les raisons de sa détention…). Ce régime, d’une durée de 30 jours, a depuis été renouvelé chaque mois par l’assemblée législative et a conduit à l’arrestation de dizaines de milliers de personnes, dont beaucoup n’ont aucun lien avec le crime organisé. Texte et photo de Carlos Barrera publiés par le journal digital El Faro le 30 septembre 2022.


Depuis l’entrée en vigueur du régime d’exception fin mars 2022, les entrées des maisons d’arrêt sont devenues des espaces surveillés par soldats et militaires. Cela est dû au fait qu’avec les plus de 53 000 arrestations enregistrées en six mois ces endroits sont en général très fréquentés, majoritairement par des femmes, qui courent d’un côté à l’autre en quête de quelque information sur leur parent détenu, soit auprès d’un agent de sécurité soit auprès des personnes transportées dans les véhicules qui entrent et sortent par ces lourdes portes.

Un de ces centres est la Prison de femmes, à Ilopango. Dans cet établissement, des milliers de femmes ont purgé leur peine depuis plus de 50 ans. Mais depuis quelques jours les femmes détenues ont été transférées à d’autres centres pénitenciers, et la prison est devenue une maison d’arrêt pour hommes. Les établissements pénitenciers ont bloqué pratiquement toute information et il n’est possible d’avoir des informations sur quelques-uns des transferts que par ce qui circule sur les réseaux sociaux ou ce que publie la presse.

Tous les jours arrivent camions et pick-up de la police chargés de détenus venus de tous les coins du pays et les femmes qui cherchent ceux de leur famille se massent aux portes de ce centre pénitencier. Celles qui ont de la chance parviennent à voir leurs parents détenus à l’entrée, de loin, juste le temps de leur adresser un salut. Quelques rares femmes, comme celle de la photo, parviennent à toucher leurs proches à travers les grilles des ridelles d’un camion. Tous les deux pleurent. La grande majorité des détenus pendant le régime d’exception passent devant le juge au bout de quelques semaines, et ce juge les envoie généralement en prison préventive pendant au moins six mois pendant que le parquet continue à enquêter. On ne tient pas compte du fait que certains détenus n’ont pas d’antécédents judiciaires et n’ont été détenus que parce qu’il a semblé à un policier ou un soldat qu’ils étaient nerveux. La grande majorité finira écrouée dans une maison d’arrêt pendant une demie année. Dans ces maisons d’arrêt, au moins 73 personnes emprisonnées pendant le régime d’exception sont morts. Certaines n’avaient comme unique antécédent que le fait d’avoir été déclarées innocentes lors de jugements passés.

À côté de la scène photographiée, des membres des familles continuaient à arriver pour attendre devant les portes. Sur un côté une femme a crié « Enregistrez tout ça pour que tout le monde voit les injustices que le gouvernement commet ». En face une autre famille qui attendait aux portes du centre pénitencier demandait à ne pas être photographiée. Certains détenus dans le camion suppliaient qu’au contraire on fasse une photo d’eux pour que peut-être quelqu’un de leur famille sache où ils ont été enfermés. Le couple ne se lâchait pas la main.

Le conducteur du camion mit en route le moteur et avança. Pendant quelques secondes encore la femme parvint à tenir la main de cet homme. Puis la porte se referma.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3632.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : El Faro, 30 septembre 2022.

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