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BOLIVIE - Le coup d’État continue ?
Boris Acosta Reyes
vendredi 12 juillet 2024, mis en ligne par
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Jeudi 24 juin 2024.
L’ancien vice-président de la Bolivie, de 2006 à 2019, Álvaro García Lineras, a critiqué la tentative de coup et écarté qu’il se soit agi d’un « auto-coup d’État, planifié par le président Luis Arce lui-même. Il a demandé à ce que soient recueillies les déclarations du général accusé du soulèvement, Juan José Zúñiga, « à titre d’inventaire ».
Il a déclaré que les « pouvoirs de fait » ont toujours une présence latente et « relèvent la tête » quand les projets progressistes passent par un moment de faiblesse. Il a appelé à réfléchir sur le rôle des « pouvoirs de fait » qui menacent les gouvernements de la région : « Dans le monde entier, dans toutes les démocraties, il y a des pouvoirs de fait qui ne dépendent pas du vote. Ce sont ceux des oligarchies entrepreneuriales, des forces armées et, dans le cas de l’Amérique, de l’ambassade états-unienne », a-t-il déclaré.
Tandis que le politologue et ex-ministre Hugo Moldiz a affirmé que « le coup d’État en Bolivie continue », après la détention de l’ex-chef de l’armée, le général Juan José Zúñiga et d’autres impliqués dans cette opération avortée.
Moldiz considère que l’investigation doit se faire en profondeur ainsi que la recherche des liens avec des acteurs politiques internes et également à l’étranger. « Sans accuser personne, l’histoire nous montre qu’en Amérique latine et dans la Caraïbe là où il y a des coups d’État les États-Unis sont derrière, le danger n’a pas disparu », a-t-il déclaré.
Moldiz a affirmé que ceux qui ont intérêt à interrompre le mandat du président constitutionnel, Luis Arce, prétendent maintenant imposer l’idée d’un auto-coup d’État, sur la base des premiers messages publiés sur les réseaux sociaux. Il a insisté sur la nécessité d’enquêter sur les ramifications qui existent autour du militaire appréhendé.
Il a déclaré qu’il était significatif que, au milieu de l’action putschiste, Zúñiga ait évoqué la décision de libérer les exécuteurs du coup d’État de novembre 2019, tels que Luis Fernando Camacho et Jeanine Áñez, qu’il a qualifiés de « prisonniers politiques ». Dans ce contexte le Procureur général a intenté des actions légales pour la poursuite pénale de Zúñiga et de ses complices.
Le président Luis Arce Catacora a confirmé, dans la soirée du jeudi, que les trois corps des forces armées – armée de terre, marine et aviation – ont été impliquées et ont participé à la tentative de coup d’État qui a fait au moins 14 blessés, certains par balle. « Non seulement les militaires étaient impliqués, mais il y avait aussi des retraités des forces armées etégalement du personnel civil », a-t-il ajouté.
Le commandant de la police a fait exception : il a informé Arce de ce qu’il avait été convoqué par les commandants de l’armée pour qu’il se joigne à la tentative putschiste et que sa décision avait été de ne pas participer à cette action.
Le président a révélé qu’il a conversé avec Evo Morales pour le prévenir de ce qui se passait et lui a fait un récit détaillé des évènements, en précisant comment et depuis quand le complot était en marche et que, aussi bien lui que le ministre de la défense, Edmundo Novillo, essayaient de communiquer avec les commandements militaires mais que ces derniers refusaient de répondre à ses appels.
« Nous pouvons avoir des différends, le principal d’entre eux est que nous nous croyons que l’instrument politique appartient aux organisations sociales et non à une personne en particulier, c’est la grande divergence que nous avons avec le camarade Evo. Dans un moment comme celui-là, quand nous avons vu que se préparait le coup d’État, j’ai demandé à être mis en relation avec le camarade Evo et je l’ai prévenu pour qu’il reste prudent car il était clair qu’on allait s’en prendre à moi et ensuite à Evo Morales », a t-il déclaré.
Mise en garde
La Chancellerie de Bolivie a informé, le 24 de ce mois, la chargée d’affaires des États-Unis, Debra Hevia, du putsch et des actions entreprises par le personnel de cette ambassade et lui a signifié qu’il s’agissait d’une ingérence dans les affaires intérieures.
« L’État plurinational de Bolivie promeut une politique extérieure basée sur les principes d’égalité, de non-ingérence et de respect de la souveraineté dans le cadre des normes du droit international qui régit les relations diplomatiques », dit le communiqué publié lundi dernier. La Chancellerie, sans apporter plus d’éléments, dit qu’elle « rejette tout type d’action qui favorise l’ingérence dans notre pays »
Pourtant dans un discours du 27 mai dernier, à propos du 215e anniversaire de la création du Premier Régiment d’infanterie Colorados de Bolivie Escorte présidentielle, Arce a affirmé que les forces conspiratrices cachent leur intention d’attenter à l’ordre constitutionnel et a qualifié de « sinistres » ces projets orientés vers une sorte coup d’État ou une réduction du mandat présidentiel.
Arce a fait remarquer que, comme dans le passé, la Bolivie fait face à d’« énormes » menaces internes et externes contre l’intégrité territoriale et la souveraineté de la patrie. Il a affirmé que, pour cette raison, il est fondamental de s’affirmer dans la voie de la souveraineté, anti-hégémonique et multipolaire. Il a expliqué que, comme d’autres pays, la Bolivie connaît « certaines difficultés quant à la disponibilité du dollar », ce qui ne signifie pas que le pays connaisse une crise économique structurelle comme le prétend l’opposition pour créer une crise politique et abréger le mandat gouvernemental.
Arce a déclaré que dans ces conditions « [ …] il est important de définir une doctrine de sécurité et de défense qui s’écarte définitivement de la vieille doctrine Monroe, incarnée par le Commando Sur, avec l’objectif de s’approprier les ressources stratégiques boliviennes.
Il a insisté sur le fait qu’aujourd’hui les secteurs anti-patrie cherchent à nouveau à soulever le pays, finalement fracturer le territoire et « susciter l’affrontement entre nous » ; il a dénoncé le fait qu’ils prétendent imposer la crainte par des rumeurs, de fausses perceptions et des tactiques venant des puissances impériales et, ce faisant, tentent de prouver que la Bolivie est un État « en faillite ». « Sans nullement s’en cacher ils veulent mettre la main sur le lithium, les terres rares, l’eau douce et autres ressources stratégiques […] », a-t-il dit pour conclure.
Il semblerait que toutes ces alertes ont un rapport avec l’aventure dans laquelle se sont lancés Zúñiga et les forces politiques qui se cachent derrière lui, indique Moldiz, avocat, journaliste – il est directeur de La Época – et homme politique qui a occupé la charge de ministre du gouvernement de Bolivie, pendant quatre mois, du 23 janvier au 25 mai 2015, lors du troisième gouvernement d’Evo Morales.
Boris Acosta Reyes est un sociologue et journaliste bolivien, collaborateur du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/06/28/bolivia-el-golpe-continua/.