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ARGENTINE-BRÉSIL - La cible des attaques de Milei n’est pas Lula mais l’intégration

Aram Aharonian

mardi 23 juillet 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

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9 juillet 2024.

La relation entre le mandataire argentin Javier Milei et le président brésilien Luis Ignacio Lula da Silva est rompue. Ils n’ont jamais prévu de se rencontrer et n’ont même pas conversé par téléphone et les premières réflexions du président brésilien sur le libertaire argentin ont suscité une crise diplomatique latente et une demande d’excuses pour les « nombreuses bêtises dites ».

Face à l’imminence du sommet du Mercosur, qui se tiendra le 8 juillet prochain à Asunción, Milei a finalement décidé de ne pas s’y rendre, de ne pas assister à la rencontre. Un des motifs de son absence, selon ses termes, a été l’échange avec Lula qu’il a taxé de corrompu et de communiste.

« Que lui ai-je dit ? Corrompu ? N’a-t-il pas fait de la prison pour corruption ? Et que lui ai-je dit ? Communiste ? N’est-il pas communiste ? Depuis quand doit-on demander pardon quand on dit la vérité ? Ou alors sommes nous tellement condamnés à la parole politique correcte qu’on ne peut rien dire à la gauche, même quand c’est la vérité ? », avait dit Milei lors d’une interview à La Nación+.

Même si les relations tendues entre présidents ont toujours à l’origine un motif, elles ne sont pas sans conséquences, entre autres celle d’une nouvelle atteinte à la possibilité de réorienter l’intégration régionale lors de la prochaine réunion du Marché commun du sud (Mercosur). Les analystes argentins s’accordent sur le fait que Milei s’obstine à altérer les relations avec le Brésil, car il obéit peut-être à des directives émanant des États-Unis.

La réponse de Milei ressemble à celles qu’il a données dans de précédentes occasions à des demandes d’excuses émanant d’autres gouvernements et d’autres gouvernants qu’il a attaqués, comme l’espagnol Pedro Sánchez, le Mexicain Andrés López Obrador ou le Colombien Gustavo Petro.

Quelques jours à peine après la visite de William Burns, chef du centre états-uniens d’intelligence de la CIA, Milei d’ultradroite s’est lancé dans une attaque grotesque contre les mandataires progressistes de la région, dans l’intention évidente de s’attaquer aux processus d’intégration régionale. Les relations diplomatiques du gouvernement argentin ont connu un revirement capital depuis l’arrivée de Milei à la présidence, particulièrement pour ce qui est des liens avec des pays comme le Brésil, le Venezuela le Mexique et la Colombie.

Les présidents du Mexique, Andrés Manuel López Obrador et de la Colombie, Gustavo Petro, ont répondu aux attaques de leur homologue argentin qui a gagné le surnom de « désintégrateur ». Andrés Manuel López Obrador a rappelé que Milei « a osé accuser son compatriote François d’être « communiste » et « le représentant du Malin sur la terre », quand il s’agit du Pape le plus grand chrétien et le meilleur défenseur des pauvres que j’ai rencontré ou connu », a-t-il dit.

Milei ne cesse de mentionner Moïse (même si ce dernier n’était pas un libéral mais un dictateur qui a distribué selon son bon vouloir des terres qui ne lui appartenaient pas, mais dans un cadre sans rapport avec celui de la propriété privée), mais il ne cite pas Jésus parce qu’à son avis il est trop communiste, dit Jorge Majfud, l’Uruguayen-États-unien, dans « La dictature de nos fières démocraties ».

Désintégrer, telle est la consigne

Lula a donné à Milei un étrange conseil : aucun président ne « créera la zizanie entre le Brésil et l’Argentine » car « le peuple brésilien et le peuple argentin sont plus importants que leurs présidents ». Pour cette raison, a-t-il ajouté, « si le président de l’Argentine veut gouverner l’Argentine, c’est bien. Mais qu’il n’essaie pas de gouverner le monde ». La réponse de la présidence de l’Argentine a été de nier la controverse entre les deux mandataires et d’insister sur le fait que « Milei n’a rien à se reprocher ».

Milei a refusé de présenter ses excuses à son homologue brésilien et a renchéri « Je l’ai traité de corrompu et de communiste. Ne l’est-il pas ? ». Il a déclaré que Lula « agit tout comme Petro et Sánchez » et il l’a accusé de se « mêler activement de notre campagne électorale ». « Ce que j’ai dit de Lula c’est la vérité », a-t-il répété.

Milei démantèle un édifice qui a contribué à industrialiser le pays, a fait de l’Amérique du Sud une zone de paix ; il a pris part à la revendication de l’Argentine sur la question des îles Malouines. Au-delà de sa décision politique de vivre en récession, cette destruction de la coopération et de l’intégration régionale est un autre moyen pour Milei de se battre avec ses voisins mais surtout avec le Brésil.

À la mi-avril les chanceliers Diana Mondino et Mauro Viera se sont réunis à Brasilia. Ils ont abordé tous les sujets à l’agenda des relations bilatérales et ont décidé d’encourager le Mercosur avec, en perspective, la relation entre les présidents. C’est là qu’a été décidé la relance des relations commerciales bilatérales, de parier sur une plus grande intégration frontalière, d’élargir les accords du Mercosur à d’autres blocs, d’autres pays. La question sur l’ouverture de l’accord de libre commerce à l’Union européenne et à l’EFTA (la Norvège, le Liechtenstein, l’Islande et la Suisse) est restée en suspens ainsi que la question de surmonter les différends idéologiques entre les présidents.

Les chanceliers ont abordé les questions concernant « l’infrastructure frontalière, la coopération énergétique, la défense, l’Hidrovía Paraguay-Paraná [1] » et l’intégration ». Ils ont abordé la possibilité de poursuivre avec des travaux d’infrastructure depuis Vaca Muerta jusqu’à la frontière du Brésil pour, dans l’avenir, exporter du gaz. Ils ont insisté sur la question de renforcer la sécurité des frontières.

Un communiqué de la Chancellerie du Brésil a révélé les détails des discussions entre Mondino et Vieira concernant « les relations argentino-brésiliennes caractérisées par l’importance des flux d’investissements et des échanges commerciaux, l’envoi et l’accueil d’un grand nombre de touristes et d’étudiants, la coopération dans des secteurs stratégiques tels que la défense, la sécurité, l’énergie conventionnelle et nucléaire, la science, la technologie et l’innovation ».

Le président progressiste du Brésil et l’anarco-capitaliste mandataire argentin n’ont, jusqu’à ce jour, pas eu d’échange bien que ce dernier gouverne depuis déjà presque sept mois. L’origine de cette « froideur extrême » remonte à la campagne électorale argentine quand Milei a fait une allusion blessante concernant Lula : il l’a qualifié de « corrompu et de communiste » et l’a menacé de rompre les relations avec lui. Un acte pour le moins anti-diplomatique. Pour justifier son opinion il a fait allusion à « la longue incarcération », entre avril 2018 et novembre 2019, infligée à ce chef d’État.

« Je n’ai pas adressé la parole au président de l’Argentine car je pense qu’il doit d’abord présenter ses excuses, à moi-même et au Brésil. Il a dit beaucoup de bêtises, je veux seulement qu’il présente ses excuses », a expliqué Lula au cours d’un entretien.

Lula et Milei se sont ignorés et ont fait état de leurs mauvaises relations lors du sommet du G7. « L’Argentine est un pays très important pour le Brésil et le Brésil l’est pour l’Argentine. Ce n’est pas un président de la République qui va créer la zizanie entre deux nations : le peuple argentin et le peuple brésilien sont plus importants que leurs présidents », a ajouté Lula. On ignore l’opinion de Milei sur le sujet.

Même s’ils ont assisté tous deux à la réunion du G7 en Italie, ils ont tout juste échangé un salut protocolaire. Désormais on est dans l’expectative pour les prochains jours, les 7 et 8 juillet, quand aura lieu leur première réunion officielle, sauf surprise, quand les pays du bloc Mercosur se réuniront à Asunción au Paraguay.

Lula a répondu qu’il ne s’est pas entretenu avec le président argentin sur ce sujet car il espérait encore des excuses de sa part pour les insultes à son endroit, il n’y a pas très longtemps, lors d’un entretien avec Jaime Baylay, en novembre 2023, au cours duquel celui-ci a déclaré que, en tant que président, il n’entamerait pas de relations commerciales avec le Brésil.

Mais Milei n’a pas l’intention de s’excuser, comme le lui demande Lula. « Ce sont ses convictions et nous les respectons, et le président n’a rien commis dont il doive se repentir, du moins pour le moment », a déclaré Mauel Adorni, porte-parole du libertaire président argentin. Milei a décidé d’isoler l’Argentine du reste du monde et de mépriser les pays limitrophes, à commencer par le Brésil. C’est sans précédent : il n’y a pas de cas semblable sur la planète, déclare Martín Granovski. Milei s’est amusé comme un gamin à la Facha-Fest de Vox, [2] mais il s’est fâché avec le premier ministre de l’Espagne, second pays après les États-Unis pour le volume de ses investissements en Argentine.

Il a affirmé haut et fort son idéologie en affichant son alignement sur les États-Unis et Israël et a flirté avec l’OTAN pour ce qui est d’envoyer des forces armées en Ukraine. Comme si de rien n’était, Milei a également défié la Chine, un de ses principaux partenaires commerciaux. Il a dit qu’il ne négocierait pas d’État à État avec Xi Jinping, une décision qu’il pourra difficilement maintenir.

Tandis que les chanceliers du gouvernement précédent avaient négocié l’entrée de l’Argentine dans les Brics, qui devait avoir lieu le 1er janvier, le libertaire a fait savoir au Brésil, à la Russie, à l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud qu’il n’intègrerait pas le groupe. Son attitude semble être celle de vouloir isoler l’Argentine d’un système d’alliances qui, avant l’intégration d’autres nations, dans sa composition originelle, représentait déjà 42% de la population mondiale et supposait 16% des exportations et 15% des importations de la planète.

N’en déplaise à Milei, Lula est un homme politique expérimenté et très professionnel. Non seulement la modération est importante pour lui, aussi bien dans ses discours que dans ses actes, il cherche aussi à s’exprimer avec précision. La vérité est que Lula n’a jamais été communiste et s’il l’avait été ce mot n’est pas utilisé non plus par les présidents comme une insulte 35 ans après la chute du mur de Berlin.

La vérité est que la Justice brésilienne a prouvé la fausseté de l’accusation de la prétendue corruption de Lula et l’a libéré, ce qui lui a permis d’être candidat et de gagner les élections de 2022 contre un ami de Milei appelé Jair Bolsonaro.

Milei est en train de « désargentiniser » la politique extérieure, lui enlève son identité sud-américaine, pacifiste, de membre du Mercosur, de défenseure du droit international des droits humains et déprécie le prestige acquis par la politique d’État de mémoire, vérité, et justice.

Il met en péril l’obtention de devises en se désolidarisant du Brésil, principale destination des exportations de produits manufacturés ainsi que la Chine. Il néglige les marchés potentiels tels que la Colombie, l’Amérique centrale et l’Afrique, où l’Argentine peut proposer sa technologie agricole et d’élevage et ses machines. Il semble vouloir écarter toute vision réaliste, un mot qui, en politique internationale, est lié à la défense des intérêts concrets au-delà des sympathies idéologiques que suscitent d’autres gouvernements ou d’autres présidents, ajoute Granovski.

Les actions du président argentin ont fait de lui, de toute évidence, un modèle de l’ultra droite mondiale. Sans aucun pouvoir, car il n’est pas aux États-Unis, comme c’est le cas de Donald Trump, ou au Brésil comme Bolsonaro, mais dans un pays appauvri, et il brille comme une rockstar des altright [3]

Outre le fait qu’il approuve le génocide flagrant du gouvernement fondamentaliste de Benjamin Netanyahu dans la Palestine occupée, à Gaza et en Cisjordanie, Milei vient de s’engager davantage dans l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN) et en faveur de son homologue de l’Ukraine, Volodymir Zelensky, à qui il a promis une aide militaire, un envoi d’armes et d’équipements, ainsi que de l’aide humanitaire, sans plus de précision.

Les propos extrêmement sévères de Lula sur Milei ont été tenus quand il a été interrogé sur l’accueil que le gouvernement argentin a accordé aux terroristes bolsonaristes condamnés pour l’assaut de la Chambre des Députés et du Palais du Planalto le 8 janvier 2023, une tentative putschiste. La semaine dernière la ministre argentine des Relations étrangères, Diana Mondino, a remis à la chancellerie brésilienne une liste de 60 fugitifs brésiliens qui se sont réfugiés en Argentine, pour répondre ainsi à une consultation antérieure concernant la domiciliation de 143 bolsonaristes recherchés par la police brésilienne pour n’avoir pas respecté les mesures préventives. Lula a déclaré que l’affaire est gérée de « la façon la plus diplomatique possible » et que « si ces types ne veulent pas venir au (Brésil), qu’ils soient emprisonnés en Argentine ».

En conséquence, le gouvernement de l’Espagne a rappelé d’Argentine son représentant diplomatique et Milei continue à faire en sorte que les relations s’enlisent.

Lula demande à ce que soient extradés les coupables d’avoir attenté à la démocratie mais c’est une question délicate car la législation argentine et du Mercosur est « restrictive » quand il s’agit de cas politiques.

Milei a continué à limiter à l’extrême ses relations en réaffirmant tout ce qu’il avait dit sur Gustavo Petro et Pedro Sánchez. Ses propos ont poussé la Colombie à retirer son ambassadeur, même si plus tard, grâce à l’intervention de Mondino, tout a retrouvé une normalité assez tendue.

L’éloignement des deux mandataires n’est pas nouvelle : en décembre, l’an dernier, Milei a envoyé à la dernière minute l’invitation au chef de l’exécutif brésilien au jour de son accession. Quelques jours auparavant il avait invité Jair Bolsonaro d’ultradroite, lui qui n’était plus au pouvoir depuis un an.

« Tout cela est déconcertant car, à moins qu’il s’agisse de quelqu’un qui ne lit pas la presse, ne s’informe pas par la télévision, ni par la radio, ou n’a pas de collaborateur qui le mette au courant, Milei en tant que politique devait être au courant du conflit entre Lula et son prédécesseur, indique le quotidien Perfil. Plus encore, il devait avoir reçu les informations concernant la tentative de coup d’État dont a été victime Lula, le 8 janvier 2023, avec l’invasion des édifices du pouvoir à Brasilia, la capitale fédérale, par des contingents bolsonaristes », ajoute-t-il.

Les relations diplomatiques entre le Brésil et l’Argentine remontent à 201 ans, ces jours-ci. Le climat tendu actuel est aux antipodes de ce qu’il était quand, il y a un an, le président argentin d’alors, Alberto Fernández (péroniste) a fait le déplacement pour rencontrer Lula pour la cinquième fois.

Les relations diplomatiques de Milei semblent se compliquer ces derniers jours. D’abord ce furent les critiques du mandataire libertaire contre le directeur de l’Hémisphère occidental du Fonds monétaire international (FMI) Rodrigo Valdés qu’il a accusé d’être en relation avec le Forum de São Paulo et « d’avoir fermé les yeux » sur l’augmentation des passifs accumulés à la Banque centrale au cours de l’administration d’Alberto Fernández.

Lula est conscient de ce que la relation avec l’Argentine est vitale mais il veut maintenir une certaine distance avec un dirigent qui l’insulte et qui est à l’unisson avec l’ultradroite de Donald Trump, de Jair Bolsonaro et du parti espagnol Vox.


Aram Aharonian est un journaliste uruguayen titulaire d’un Master en intégration. Créateur et fondateur de Telesur, il préside la Fondation pour l’intégration latino-américaine (FILA) et dirige le Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/07/01/el-blanco-del-ataque-de-milei-no-es-lula-sino-la-integracion/.

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[1L’Hidrovía Paraná-Paraguay est la grande voie navigable formée par l’axe Río Paraná-Río Paraguay, reliant les villes brésiliennes de Cáceres et de Cuiabá dans l’État du Mato Grosso au Río de la Plata et au port de Buenos Aires – NdlT.

[2Vox est un parti politique espagnol, fondé en 2013, actuellement dirigé par Santiago Abascal, classé à l’extrême droite

[3La droite alternative (alt-right) désigne la partie de l’extrême-droite états-unienne qui rejette le conservatisme classique et milite pour le suprémacisme blanc, contre le féminisme et le multiculturalisme. Elle est aussi volontiers sexiste, antisémite, conspirationiste et s’oppose à l’immigration et à l’intégration des immigrés – Ndlt.

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