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MEXIQUE - Confrontés à la faiblesse des institutions nationales, des travailleurs déposent plainte à nouveau auprès de l’ACEUM
Andrea Amaya & Alejandro Ruiz
mercredi 13 novembre 2024, mis en ligne par
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27 octobre 2024 - Une nouvelle plainte déposée auprès de l’ACEUM [1] par les travailleurs de Contitech, à San Luis Potosí, ravive un débat toujours nécessaire dans le pays : les droits de représentation et de liberté syndicale sont-ils garantis au Mexique ?
Il y a une semaine les travailleurs de Contitech, à San Luis Potosí, ont annoncé qu’ils ont demandé d’activer le mécanisme de défense des travailleurs du Traité entre le Mexique, les États-Unis et le Canada.
Ils l’ont fait parce que l’entreprise, aux capitaux allemands, a violé systématiquement leur droit à la liberté d’association syndicale, en favorisant la Centrale des travailleurs de Mexico qui sont actuellement titulaires du Contrat collectif du travail.
Selon Valente Hernández, délégué spécial de la Ligue syndicale ouvrière mexicaine de Contitech, « dans les faits, la direction de l’entreprise a adopté une conduite qui favorise l’actuel syndicat titulaire, affilié à la CTM, s’ingérant de ce fait dans des problèmes syndicaux, en se déclarant en faveur d’une des organisations qui sont actuellement représentées dans l’usine ».
Ce n’est pas la première fois que le Mécanisme est activé au Mexique pour des violations et des irrégularités envers des syndicats par la CTM. Par exemple, en février 2022, les travailleurs d’une usine de General Motors à Silao, Guanajuato, ont fait de même. Et ils ont gagné.
Que se passe-t-il au Mexique pour que les travailleurs aient recours à des traités internationaux pour faire valoir leurs droits ? La réponse remonte à la réforme du travail de 2019 et au manque de mécanismes pour qu’elle soit appliquée dans les lieux de travail.
Liberté syndicale, un sujet qui fait débat
Le cas des travailleurs de Contitech pourrait être une histoire de plus parmi toutes celles qui abondent dans l’univers syndical du Mexique : intimidations, syndicats blancs (patronaux) et responsables professionnels qui n’appliquent pas la loi.
Francisco Retama, assesseur syndical de la Ligue syndicale ouvrière mexicaine, résume :
« Il se trouve que dans cette entreprise Conitech 30% du personnel de l’usine est affilié à notre Ligue et nous demandons la certification du contrat collectif mais nous n’avons pas le droit d’en informer nos membres. Ils ne nous laissent pas entrer. Il n’y a donc pas de liberté d’association syndicale car l’entreprise favorise un syndicat au détriment d’un autre. Il n’y a pas d’égalité de traitement, pas de neutralité. Alors que faisons-nous ? Nous usons du mécanisme de réponse rapide des travailleurs »
Le mécontentement des travailleurs semblait appartenir au passé quand, le 1er mai 2019, a été promulguée une nouvelle Réforme du travail qui, entre autres choses, aspirait à améliorer les réponses de la justice à la classe des travailleurs.
À ce moment-là, la réforme semblait être une avancée car elle fixait les bases juridiques pour garantir les droits humains au travail de la classe des travailleurs ainsi que la liberté syndicale et l’accès à la justice. Néanmoins les objectifs de cette loi semblent s’être enlisés dans la spirale bureaucratique.
Par exemple, les objectifs que la réforme s’est proposé d’atteindre d’ici 2023 a été la légalisation de tous les Contrats collectifs de travail ; l’instauration du vote universel, libre et secret, pour l’élection des dirigeants syndicaux et pour les révisions de contrats ainsi que la mise en adéquation des statuts syndicaux avec la norme en vigueur.
Cependant, en 2023, nombre de ces questions étaient toujours en suspens, car selon une étude du Centre de soutien à la liberté syndicale, des 139 000 contrats collectifs qui existaient au Mexique cette année-là, seul 10% avait été régularisés auprès de l’autorité du travail par des élections libres et secrètes. Soit presque 14 mille contrats. En outre, dans ce contexte, nombre de contrats n’ont pas été approuvés par la totalité des travailleurs concernés.
Par exemple, après avoir analysé 2 068 actes des 14 000 contrats collectifs régularisés jusqu’alors, le Centre a remarqué que seul 57% des actes ont été régularisés pour plus de 75 % des travailleurs. Dans certains cas, en outre, on a constaté que certains contrats ont été approuvés par moins de la moitié des votes des travailleurs ce qui, selon la réforme, est illégal.
Les raisons, explique l’étude, en sont le manque de budget assigné pour faire appliquer la Réforme, ainsi que la prédominance d’un vieux système bureaucratique qui empêche une transition efficace vers le nouveau modèle de justice et de conciliation dans le travail.
Les données, bien qu’elles n’aient absolument pas été actualisées, laissent sceptiques les travailleurs. Et même, les membres de la Ligue syndicale ouvrière mexicaine ont d’autres informations qui révèlent la situation des syndicats au Mexique. L’explication c’est Pablo Franco Hernández, avocat de l’organisation, qui la donne et qui estime qu’à ce jour, au Mexique, seuls 3% des contrats collectifs de travail ont été régularisés.
ACEUM, la réponse ?
La stratégie de défense des travailleurs affiliés à la Ligue syndicale des ouvriers mexicains face à la violation de leur liberté syndicale a été le dépôt de plaintes auprès du MLRR, Mécanisme de réponse rapide pour le travail, de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique et auprès du Mécanisme de réparation des droits humains de l’industrie automobile allemande.
La raison de cette plainte, et pour ceux qui veulent se débarrasser du contrat collectif de Contitech, est que les travailleurs ont dénoncé que, face au désaccord quant au montant des profits qu’ils devraient recevoir en mai et la non représentation d’un syndicat qui les défendrait, ils ont décidé d’organiser des mobilisations et des manifestations. Grâce à cela ils sont parvenus à constituer une commission pour que soit revue la répartition des bénéfices et, en s’organisant ainsi, ils ont formé un syndicat affilié à la Ligue syndicale ouvrière mexicaine.
L’entreprise, néanmoins, refuse de les reconnaître et a permis que des membres du syndicat de la Confédération des travailleurs du Mexique les menacent :
« Des représentants de la CTM se sont présentés dans les installations de l’entreprise, ils ont eu recours à des actes d’intimidation par des groupes de casseurs qui ont prétendu intimider les travailleurs de Contitech et les représentants de la ligue ». Tout cela, le travailleur Ramón Zúñiga Zapata l’a dénoncé. Ils l’ont fait tandis que les travailleurs menaient une « action d’information, hors des installations, en raison du refus de l’entreprise d’autoriser cette action à l’intérieur, comme c’est leur droit, ».
En réponse, ils ont fait appel à l’ACEUM, bien que pour certains ce soit une contradiction, y compris pour la CTM, et disent que la gestion du travail en réalité est une forme d’ingérence du gouvernement des États-Unis dans des questions qui ne devraient concerner que le Mexique.
« Ils disent que le mécanisme annule la démarche appropriée car quand on dépose une plainte et que le gouvernement des États-Unis la reçoit, considérant les éléments que nous présentons comme recevables pour déposer une plainte, évidemment les chefs d’entreprise n’ont pas connaissance de la plainte avant que nous la déposions et que le gouvernement des États-Unis l’accepte ».
Fondamental : éviter les grèves
Quand la plainte a été déposée, via le mécanisme de réponse rapide, et qu’elle a été reçue par le gouvernement des États-Unis, une enquête est lancée et 30 jours plus tard les résultats doivent tomber. Si le résultat confirme que les droits des travailleurs sont violés le gouvernement mexicain doit en répondre auprès des États-Unis dans un délai de dix jours et lancer sa propre enquête dans les 45 jours maximum.
Néanmoins, d’autres organismes comme le Centre de soutien à la liberté syndicale ont aussi critiqué ce mécanisme car « il est la preuve de notre faiblesse institutionnelle à garantir les droits des travailleurs dans le pays ».
Dans un rapport de 2022 les chercheurs du centre indiquaient déjà qu’au Mexique prévaut une vision néolibérale du droit du travail et particulièrement dans sa réponse à la demande de démocratie syndicale.
Par exemple, un des indicateurs qui perdure dans la législation néolibérale quand il s’agit de « paix au travail » est l’absence de grèves et les dispositions institutionnelles pour éviter leurs explosions.
Ceci, dit le CALIS, ne veut pas nécessairement dire que des conflits n’existent pas mais plutôt qu’est bafoué un droit acquis et consacré depuis la constitution de 1917. Le mécanisme de l’ACEUM, dans son essence, est un appareil légal pour éviter l’arrêt de la production.
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://piedepagina.mx/ante-la-debilidad-institucional-de-mexico-trabajadores-vuelven-a-recurrir-al-mecanismo-laboral-del-t-mec/.
[1] Accord Canada–États-Unis–Mexique.