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Le président français a rencontré des membres des familles de victimes de la dictature

ARGENTINE - E. Macron s’est rendu à l’église de la Sainte-Croix et s’est engagé à réclamer des politiques de mémoire, vérité et justice

Luciana Bertoia

jeudi 28 novembre 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

18 novembre 2024 - Des représentants de divers organismes de droits humains lui ont demandé d’intercéder auprès de Javier Milei pour que cessent les attaques négationnistes. « Je le ferai », leur a dit le mandataire, qui a déposé deux gerbes de fleurs pour les religieuses Alice Domon et Léonie Duquet.

« On ne peut enterrer la mémoire », a déclaré Emmanuel Macron au cours de sa visite à l’église de la Sainte-Croix.

Dans le patio de l’église de la Sainte-Croix reposent les restes de Léonie Duquet. Elle est une des religieuses françaises qu’Alfredo Astiz désigna pour qu’elles soient enlevées, transférées au camp de concentration de l’École de mécanique de la marine (ESMA) et jetées vivantes à la mer. Dans cette opération trois mères de la place de Mai et sept autres activistes ont aussi été enlevées.

Le président français, Emmanuel Macron, s’est avancé vers ce lieu avec son épouse, Brigitte Macron. Quelques minutes plus tôt il avait rencontré à l’intérieur de l’église des membres des familles des victimes françaises du terrorisme d’État en Argentine. Elles lui ont parlé des attaques du gouvernement de Milei contre les politiques de mémoire, vérité et justice et lui ont demandé de rappeler au président ses obligations en matière de droits humains. « Je le ferai », a répondu le chef de l’État français, qui a dit aussi qu’on ne peut pas enterrer la mémoire.

Macron est arrivé après 9 h 30 au croisement de Estados Unidos et Urquiza. Il est descendu d’une Mercedes Benz E-450 noire. Il a salué de la main quelques habitants qui regardaient depuis leurs balcons. Une opération de police avait fermé plusieurs rues. Très peu de curieux observaient la scène de l’autre côté de la rue.

Très tôt il était attendu à l’église. Un des premiers arrivants a été le Prix Nobel de la Paix, Adolfo Pérez Esquivel, représentant du Service de paix et justice (Serpaj). Il y avait des représentantes des grand-mères de la place de Mai et du Centre d’études légales et sociales (CELS). Étaient aussi présents des membres des familles des victimes françaises du terrorisme d’État, comme Eric Domergue, Michel Ortiz y les frères de Marie-Anne Erize. Ainsi qu’Ana Careaga, survivante de la dictature et l’une des filles d’Esther Ballestrino de Careaga, séquestrée, le 8 décembre 1997, dans l’église de la Sainte-Croix.

Macron a déposé deux gerbes en hommage aux religieuses Alice Domon et Léonie Duquet. Il est entré, escorté par le prêtre Marcelo Pérez et María Elena Corral, chargés de tous les détails. Au cours de la rencontre, Macron s’est approché de chacun des membres des familles ou des membres des organisations des droits humains pour les saluer et écouter ce qu’ils avaient à dire.

Ana Careaga lui a parlé du licenciement des travailleurs du secteur des Droits humains et des lieux de mémoire qui sont en danger. Certains autres du mauvais traitement dont pâtissent les organismes des droits humains de la part de l’administration de La liberté avance (LLA) [1]

Ils ont évoqué aussi la visite du 11 juillet dernier de six députés de la majorité à Astiz [2] et à d’autres génocidaires qui sont incarcérés dans la colonie pénitentiaire d’Ezeiza.

Macron les a écoutés et leur a dit que la liberté était un de ses engagements. Ana Careaga lui a confirmé que pour eux cette église était la dernière terre libre qu’avaient foulée les séquestrées de décembre 1977. En ce lieu reposent les restes de Leonie Duquet, Esther Careaga, María Eugenia Ponce de Bianco, Ángela Auad et une partie de ceux d’Azucena Villaflor de De Vincenti car sa famille a aussi transféré ses cendres à la place de Mai.

La justice argentine a reconnu que les douze membres du groupe de la Sainte-Croix ont été éliminés par un vol de la mort qui a décollé de l’aéroport le 14 décembre 1977, même si seulement les corps de cinq d’entre eux ont pu être retrouvés.

Avant de partir, Macron et son épouse sont passés par le jardin de la mémoire où ils ont rendu hommage aux victimes de l’opération de la Sainte-Croix. L’une des dernières invitées à lui adresser la parole a été Sol Hourcade, avocate du CELS. Elle lui a parlé des attaques du gouvernement de Milei contre les politiques mémorielles et des dénonciations lancées par les organismes des droits humains, la semaine dernière, auprès de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH).

– « Nous espérons que vous rappellerez au président Milei ses obligations internationales », lui a dit Hourcade.
– « Oui, nous le ferons » , a répondu Macron.

Le président français s’est dirigé de l’église de la Sainte-Croix vers la Casa Rosada pour rencontrer Milei. Il a annulé une activité prévue sur la Place San Martín avec le chancelier Gerardo Werthein. Conséquence de cette annulation on a aperçu marchant dans la rue Estados Unidos le chef du gouvernement de Buenos Aires, Jorge Macri, avec son épouse, la journaliste María Belén Ludueña, car il avait l’intention de lui remettre les clés de la ville. Ils ont attendu que Macron finisse de dialoguer avec les familles.

Quand on a eu connaissance de sa visite en Argentine, des proches des disparus français, accompagnés par l’avocate Sophie Thonon, ont demandé à rencontrer Macron pour l’informer de ce qui se passe dans le pays depuis que Milei et Victoria Villaruel sont arrivés au pouvoir. Lors de cette rencontre – selon ce qu’a rapporté Juan Francia pour Página/12 – un conseiller de Macron leur avait confié auparavant que le président français ferait part de son inquiétude à son homologue argentin.

Le curé Marcelo Pérez a raccompagné Macron vers la sortie. « Il est bon que le président d’un pays vienne en un tel lieu où repose une religieuse française et manifeste son engagement de plaider pour la vérité, la mémoire et la justice », a-t-il dit sur le seuil de l’église de la Sainte-Croix.

Une rue plus loin – dans la rue Urquiza – les membres des familles se séparaient. Avec eux se trouvaient la directrice du musée lieu de Mémoire ESMA, Mayki Gorosito, et celle du Parc de la Mémoire, florence Battiti. « C’était très important que Macron vienne en ce moment », estime Ana Careaga.

« Nous apprécions que Macron reconnaisse officiellement la disparition des 24 français et de tous les autres disparus argentins », dit Eric Domergue, dont le frère Yves a été enlevé le 20 septembre 1976 à Rosario. « Nous lui avons dit que ce qui nous inquiète c’est non seulement un négationnisme affiché mais aussi ouvertement une revendication de la dictature », ajoute-t-il.

Domergue a remis à Macron une lettre signée par les familles des victimes françaises du terrorisme d’État dans laquelle ils décrivent les reculs sur ce sujet depuis le 10 décembre dernier. « Sur nos têtes plane la crainte d’une amnistie des génocidaires jugés, condamnés et emprisonnés, dont Alfredo Astiz, coupable de l’enlèvement des religieuses françaises Léonie Duquet et Alice Domon, et de Jorge Olivera, qui s’est toujours vanté d’avoir assassiné Anne Erize », dit la lettre.

Adolfo Pérez Esquivel a parlé avec Macron de la nécessité d’assurer la paix, de mettre fin aux tueries à Gaza et à la guerre en Ukraine. Il lui a aussi offert la reproduction d’une toile qui se trouve sur l’autel de l’église de la Sainte-Croix.

« La présence de Macron est importante pour faire acte de mémoire et rendre hommage aux martyrs de la dictature militaire. Sa présence ici, dans l’église de la Sainte-Croix, est chargée de sens », a dit le responsable du mouvement des droits humains, avant de quitter l’église.

« Contre ce gouvernement négationniste qui dit qu’il faut que la mémoire soit complète, la mémoire est ici. L’autre pan de la mémoire est ceux qui sont dans les prisons pour les crimes contre l’humanité et le peuple argentin qu’ils ont commis », a conclu Pérez Esquivel.

Quelques minutes plus tard, les fidèles ont commencé à arriver pour la messe. Dans l’atmosphère planait encore la joie d’avoir accueilli un geste contre le négationnisme qui est devenu la doctrine officielle, ces onze derniers mois.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.pagina12.com.ar/783460-macron-visito-la-iglesia-santa-cruz-y-se-comprometio-a-recla.

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[1La liberté avance (La libertad avanza), abrégée LLA, est une coalition politique de tendance conservatrice et libertarienne. Elle a été fondée le 14 juillet 2021 par l’économiste et polémiste Javier Milei, désormais président – NdlT.

[2Alfredo Ignacio Astiz, surnommé « L’Ange blond » et « L’Ange de la mort », était un lieutenant de frégate spécialiste de la torture et dirigeait le commando spécial de l’École supérieure mécanique de la marine argentine (ESMA), l’un des centres clandestins de détention de la dictature militaire argentine (1976-1983) – NdlT.

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