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DIAL 2781

AMÉRIQUE LATINE - Corruption de style présidentiel

Diego Cevallos

mardi 1er février 2005, par Dial

Le nombre d’anciens présidents et hauts responsables politiques poursuivis en Amérique latine pour corruption est impressionnant. Une enquête annuelle existe désormais grâce au travail de Transparency International. Les résultats nous en sont ici présentés. Un point positif mérite d’être souligné : plusieurs hommes politiques ayant eu de graves pratiques de corruption sont aujourd’hui l’objet de poursuites judiciaires. Article de Diego Cevallos, paru dans IPS, 20 octobre 2004.


Des actes de corruption prouvés ou en cours d’enquête depuis le début des années 90 mettent face au mur, comme jamais auparavant, un groupe conséquent d’ex-présidents dont deux sont encore en fonction en Amérique latine, région qui a de graves problèmes de ce genre selon l’étude présentée par Transparency International.

Dans ce groupe de politiques compromis dans des cas de corruption, qui va en augmentant depuis le commencement des années 90, se trouve une vingtaine d’hommes qui sont passés par des fonctions gouvernementales, dont deux occupent encore leur poste.

Parmi eux il y en a qui ont été en prison, d’autres qui sont encore sous les verrous, certains en liberté qui sont sous le coup d’un procès et d’autres, suspectés, qui pourraient être jugés.

Sur la liste « Perception de la corruption » de Transparency International, où les pays sont classés selon une échelle qui va de zéro (haute corruption) à 10 (haut niveau d’honnêteté), les pays les plus sains en Amérique latine sont le Chili (7,5 points) et l’Uruguay (6,2). Le reste des pays de la région va de 4,9 pour descendre jusqu’au pire avec Haïti noté 1,5.

La liste qui est diffusée chaque année par Transparency International, organisation non gouvernementale dont le siège est en Allemagne, se fonde sur des enquêtes faites auprès d’entrepreneurs, d’analystes et d’étudiants.

« L’Amérique latine est marquée par la corruption, mais il y a des signaux qui indiquent que son combat n’est pas vain », a dit a IPS le mexicain Arturo del Castillo, directeur de CIE Consulting and Research, un centre d’investigations et de consultations spécialisé sur les thèmes en relation avec la lutte contre ce mal politique.

Pour cet expert, la vague de dénonciations contre des gouvernements et des ex-présidents est une preuve que ce combat progresse. A. del Castillo a déclaré que, en aucun autre moment de l’histoire de l’Amérique latine, il y eut tant d’anciens hauts responsables politiques mis en accusation comme on l’observe depuis le début des années 90.
« Le nombre des accusés a commencé à augmenter de façon importante à partir de 1972, lorsque le président en fonction au Brésil, Fernando Callor de Mello, acheva brutalement son mandat à cause d’un scandale de corruption dans un contexte de mobilisation populaire », a expliqué le directeur de CIE Consulting and Research.

Nicaragua et Costa Rica

En tête de la liste des accusés, apparaît aujourd’hui le président du Nicaragua, Enrique Bolaños, dont la Controleria General du pays à demander la destitution pour avoir refusé de dire l’origine des comptes bancaires bien remplis utilisés durant sa campagne électorale de 2001, ce qui s’apparenterait à un délit électoral.

Bolaños a succédé à la présidence à Arnoldo Alemán (1997-2002), lequel fut condamné en première instance fin 2003 à 20 ans de prison pour blanchiment d’argent.

Abel Pacheco, du Costa Rica, a été confronté à un problème similaire à celui de Bolaños. Abel Pacheco est aussi au centre d’une enquête depuis 2003 pour le financement de sa campagne politique que l’on suspecte d’être irrégulier.

Sur la dernière liste de Transparency International, le Costa Rica a été noté 4,9 et le Nicaragua à peine 2,7.

Le prédécesseur de Pacheco, Miguel Angel Rodríguez (1998-2002), lequel est entré en fonction comme secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains (OEA) le 15 septembre, a dû y renoncer moins d’un mois après. Il doit répondre de l’accusation d’avoir perçu des commissions illégales durant son mandat présidentiel, lors de négociations pour des marchés de télécommunication avec l’entreprise française Alcatel.

Cet éphémère secrétaire général de l’OEA est retourné dans son pays et a été immédiatement arrêté et menotté. Au Costa Rica, il y a aussi un cas similaire : celui de l’ancien président Rafael Calderón (1990-1994), qui ne peut quitter le territoire jusqu’à la conclusion de l’enquête sur sa participation présumée dans un cas de corruption touchant aux ressources de la Sécurité sociale.

Dans le cas de Bolaños au Nicaragua, l’OEA a décidé d’intervenir en envoyant fin octobre une mission spéciale afin de tenter d’éviter une crise institutionnelle dans ce pays centraméricain puisque l’opposition, majoritaire au Congrès législatif, a le pouvoir et la faculté de le destituer.

« Pour les opposants politiques, il est toujours tentant de brandir l’arme de la lutte contre la corruption. Il est donc important de prendre cette accusation avec beaucoup de précaution. En effet, le combat contre les personnes corrompues n’a pas pour but de mettre en crise constante les institutions, car ceci n’aide personne », avance A. Del Castillo.
L’expert n’a pas voulu signaler quels sont les cas qui proviendraient de revanches politiques, arguant qu’ « il s’agit d’un terrain glissant ».

Selon lui, l’origine des accusations contre les présidents ou contre ceux qui ont exercé le pouvoir est liée à l’existence d’une meilleure conscience citoyenne sur le mal social engendré par la corruption, mais aussi à l’adoption de lois et d’accords internationaux sur le sujet et, pour finir, au rôle de vigilance qu’ont assumé beaucoup de médias.

Argentine

Selon l’indice de Transparency International, le problème de la corruption en Amérique latine est important. En Argentine, pays avec un indice de 2,5 sur l’échelle allant de 0 à 10 du plus au moins corrompu, l’ancien président Carlos Menem (1989-1999) est en procès pour diverses accusations, notamment pour sa possible responsabilité dans une affaire de contrebande d’armes en Croatie et en Equateur.

Menem, qui a déjà été détenu plusieurs semaines en Argentine, vit aujourd’hui au Chili [1].
Un mandat d’arrêt international pèse sur lui pour avoir refusé de comparaître dans plusieurs procès le concernant.

Il faut souligner qu’une enquête de KPMG, réalisée sur 1 000 entrepreneurs, recteurs d’universités, leaders de la société civile et fonctionnaires des trois pouvoirs de l’Etat, conclut que les niveaux de corruption en Argentine sont les plus bas de ces 20 dernières années.

Bolivie

Une autre personne sur le point d’être convoquée par la justice est l’ex-président de droite de Bolivie, Gonzalo Sánchez de Lozada. Ce dernier a quitté son poste en octobre 2003 à cause de la révolte populaire opposée à la vente de gaz naturel à l’Amérique du Nord, dont les conditions de vente étaient considérées mauvaises pour le pays. Il avait ordonné une répression qui a fait 67 morts. Ce pays a 2,2 points sur la liste de Transparency International.

Le 14 de ce mois [2], le Parlement a autorisé la Cour suprême de justice à initier un procès sur la responsabilité de l’ancien dirigeant, qui s’est enfui et vit toujours aux Etats-Unis.

Brésil

L’enquête réalisée sur de la gestion de Collor de Mello au Brésil (qui a 3,9 points selon l’indice de corruption rendu public ce mercredi 20 octobre) est considérée comme le point de départ des études concernant l’actuelle vague d’accusations de corruption contre des dirigeants et anciens dirigeants.

Chili

Au Chili, le pays avec l’indice de corruption le plus faible en Amérique latine selon Transparency International, c’est sur l’ancien dictateur Augusto Pinochet (1973-1990) que pèsent les charges d’enrichissement illégal, en plus de l’accusation de crime contre l’humanité. Il s’agirait de huit millions de dollars placés en secret dans des banques états-uniennes et dont l’origine serait suspecte.

Equateur

C’est en Equateur qu’il y a le plus d’anciens présidents qui affrontent des procès pour irrégularités dans l’ensemble de l’Amérique latine. Abdalá Bucaram, destitué en 1997 par le Congrès pour « incapacité mentale » dans un contexte de protestations sociales, vit au Panama, sans que soient encore terminés les procès pour corruption et gaspillage d’argent public initiés à son encontre.

L’Equateur a 2,4 points selon l’indice de Transparency International. Il y a aussi une enquête contre Fabián Alarcón, le successeur intérimaire de Bucaram (1997-1998), lequel a été détenu six mois pour embauche irrégulière de fonctionnaires. Il y eut ensuite la gestion de Jamil Mahuad (1998-2000), qui a été renversé dans un climat de protestations sociales, en particulier indigènes.

Mahuad, après avoir été remplacé par son vice-président, Gustavo Noboa (2003-2004), est allé vivre aux Etats-Unis d’où il affronte un procès judiciaire pour abus de fonctions.

Noboa est lui aussi parti précipitamment du pays après avoir été accusé de corruption dans le maniement de fonds publics. Il vit aujourd’hui en République Dominicaine comme exilé politique.

Guatemala

La liste des anciens dirigeants en situation embarrassante s’agrandit avec Alfonso Portillo (2000-2004) du Guatemala, que Transparency International gratifie d’un 2,2.

Portillo s’est installé au Mexique après avoir été accusé d’avoir ouvert plusieurs comptes bancaires avec des fonds publics, et il fait aussi l’objet d’autres accusations. Les autorités judiciaires ont informé qu’elles s’apprêtaient à demander l’extradition de Portillo.

Haïti

Aux Caraïbes, l’ancien président d’Haïti, Jean Bertrand Aristide, dont le mandat fut interrompu en février par des mobilisations violentes à son encontre et par l’intervention des Etats-Unis, est accusé de corruption et d’utiliser la violence politique, par des associations humanitaires et des opposants.

Haïti, avec 1,5 point sur l’échelle de l’honnêteté, se partage le bas de la liste établie par Transparency International, avec le Bangladesh qui est à la 145ème place, le dernier sur la liste.

Paraguay

Au Paraguay, qui selon Transparency International est le pays le plus corrompu d’Amérique latine avec 1,9 point, Juan Carlos Wasmosy, qui a gouverné entre 1993 et 1998, a été condamné en première instance en avril 2002 à quatre ans de prison pour avoir commis plusieurs infractions, mais un tribunal d’appel l’a absout en septembre.

Son successeur jusqu’en 1999, Raúl Cubas, a été accusé aussi d’utilisation illégale de fonds publics après avoir renoncé à sa charge, suite à une révolte sociale faisant suite à l’assassinat du vice-président Luis Maria Argaña et de sept jeunes manifestants en mars 1999.
Cubas a fui au Brésil, puis est revenu au Paraguay en 2002, où il est en liberté mais sous le coup de plusieurs procès pour sa gestion quand il était à la tête du gouvernement.

Le président paraguayen suivant, Luis Gonzalez Macchi (jusqu’en 2003), a été à son tour accusé et est actuellement en procès pour détournement de 16 millions de dollars dans le cadre de liquidations de faillites bancaires.

Pérou

Ferment la liste le Pérou, avec 3,5 points, et le Venezuela, avec 2,3 points. L’ancien président Alberto Fujimori (1990-2000) fait face, depuis sa résidence au Japon, où il vit depuis qu’il a renoncé par fax à son troisième mandat consécutif, à une demande d’extradition pour des accusations liées à des crimes contre l’humanité et au vol de deniers publics.

Venezuela

Carlos Andrés Perez, gouvernant vénézuélien de 1974 à 1979 et de 1989 à 1993, a été condamné pour appropriation de deniers publics à une peine de prison à domicile.

Le directeur de CIE Consulting and Research affirme que cette longue liste d’anciens présidents accusés indique que la corruption n’est plus une affaire qu’on peut cacher facilement en Amérique latine. Néanmoins, il ajoute qu’il manque encore à la justice de la région la maturité nécessaire pour effacer les soupçons de revanches politiques qu’il y a derrière certains procès pour corruption.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2781.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, 20 octobre 2004.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Il vient de rentrer en Argentine.

[2Octobre 2004.

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