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PARAGUAY - Le boom des 16 000 logements vides à Asunción

Romina Cáceres

samedi 29 mars 2025, mis en ligne par Dial

La spéculation immobilière et la multiplication des logements vides dans les capitales sont des maux fréquents en ce début de XXIe siècle et Asunción, la capitale du Paraguay, n’y échappe pas, comme le décrit cet article de Romina Cáceres publié par El Surti (Paraguay) le 24 septembre 2024 [1].


Le rêve de posséder sa propre maison est noyé par des prix inabordables pour les familles qui veulent vivre dans la capitale. Les problèmes d’une ville qui s’étend.

L’annonce de la construction d’un gratte-ciel en verre de 250 mètres de haut fait la une des médias. On dit que ce sera le plus haut bâtiment du Paraguay et le quatrième d’Amérique du Sud, avec des appartements, un hôtel et une place à l’européenne. Le tout sur l’avenue Santa Teresa, dans le quartier des affaires, où le mètre carré peut coûter 2,500 dollars (voire plus). On fait également la promotion de 50 nouveaux bâtiments et annoncent que le niveau d’investissement va relancer la construction. Sur les réseaux sociaux, on invite les investisseurs à investir dans des appartements et à ne pas les considérer comme leur maison.

Le revers de la médaille de ce boom immobilier très médiatisé, ce sont des tours où personne ne vit, mais qui rendent la vie de plus en plus difficile dans la capitale.

Selon le recensement de 2022, Asunción est la ville qui compte le plus de logements inoccupés, suivie par Ciudad del Este dans le département de l’Alto Paraná. Au niveau national, 335,809 bâtiments sont inoccupés, ce qui représente 16 % du nombre total de logements dans le pays. Ce chiffre comprend les résidences secondaires, les maisons en cours de réparation ou de construction, et celles à usage commercial ou professionnel. Si l’on exclut ces types de logements, la capitale compte 16,099 logements inoccupés : 11,865 sont inhabités, 2,920 sont à louer ou à vendre et 1,314 sont abandonnés, comme ceux du centre historique. Cela équivaut à la quasi-totalité des maisons occupées dans les villes de Concepción, Caacupé ou Villarrica. La même tendance, bien que dans une moindre mesure, s’observe à Luque, San Lorenzo et Capiatá.

« À Asunción, énormément d’immeubles sont construits pour faire des logements mais ils restent inoccupés, ou bien les logements sont abandonnés et sont maintenant à louer ou à vendre », explique Norma Medina, directrice générale de la production statistique à l’Institut national de statistique (INE). Même s’il n’existe pas encore une analyse du déficit de logements prenant en compte les résultats du dernier recensement, l’enquête permanente sur les ménages de 2020 indique que la demande de nouveaux logements dans le pays est de 73 421 unités et que le déficit qualitatif, qui se réfère aux améliorations et aux extensions, est plus important.

Alors que la ville se vide, certaines familles rêvent encore d’acheter une maison dans la capitale

Mabel Villagra, 36 ans, travaille dans son entreprise de thermos munis de housses et vit avec son mari et leur fille dans un duplex à Asunción, qu’ils louent pour environ 330 dollars par mois (2 500 000 guaranís paraguayens, ou PYG). Pour des raisons professionnelles et scolaires, ils souhaitent rester dans la capitale. Ils ont commencé à chercher une maison il y a un an mais, comme tous les deux sont travailleurs indépendants, ils ont du mal à obtenir un prêt conséquent. La stratégie recommandée par un conseiller est que chacun accumule au moins deux années de facturation de la TVA avant de demander un prêt.

« Comme je ne suis pas salariée, je n’ai pas d’IPS [2] et mon mari non plus, et donc cela coûte très cher, sans compter que les montants à rembourser sont très élevés. Nous cherchons une maison ou même un duplex, mais à Asunción, c’est très cher et les logements sont très petits. Nous avons un gros chien, notre fille, nous voulons un autre bébé, et tout ce qu’on nous propose, c’est un appartement à deux chambres. Pour nous, acheter un appartement à Asunción n’est pas une option. »

Les statistiques officielles montrent que six travailleurs sur dix au Paraguay sont informels, c’est-à-dire qu’ils ne cotisent pas au système de retraite, ce qui constitue un obstacle à l’accès au crédit. L’autre obstacle est lié au revenu, qui s’élève en moyenne à près de 350 dollars, soit 2 700 000 PYG (un peu moins que le salaire minimum). L’architecte Nicolás Morales Saravia, professeur à la Fada UNA [3], explique que c’est la raison pour laquelle les promoteurs immobiliers proposent aujourd’hui une grande partie de l’offre sous forme de studios ou d’appartements de type T2, qui sont les options que les jeunes et les familles nouvellement formées peuvent louer ou acheter.

« Mais lorsque la famille s’agrandit, elle se voit obligée de migrer », avertit M. Morales, en ajoutant que les familles établies n’ont pas d’alternative. Le recensement montre que le ménage moyen compte aujourd’hui 3,5 personnes, contre cinq en 1950. Il révèle également une augmentation du nombre d’appartements occupés, jusqu’à 44 145 unités dans le pays, bien que les maisons restent prédominantes.

Une recherche rapide sur le portail Infocasas pour un duplex de trois chambres à Asunción, comme celui dont Mabel Villagra aurait besoin, révèle des options à partir de 170 000 dollars, soit 1 314 705 540 PYG. C’est presque trois fois plus que le crédit proposé par Che Roga Porã, le programme du ministère de l’urbanisme, du logement et de l’habitat (MUVH) pour l’achat d’un logement destiné à « la classe ouvrière » – selon le terme employé dans l’annonce gouvernementale – et qui cible les familles dont les revenus se situent entre un et cinq salaires minimums.

Mais même si on peut justifier de ces revenus, le surendettement empêche parfois d’y accéder. « Rapport de dettes vierge », demande le promoteur d’un condominium à Capiatá proposé par Che Roga Porã lors d’une exposition sur le logement en août. L’une des conseillères nous explique que la plupart des demandes sont rejetées parce que les personnes figurent sur cette liste de mauvais payeurs. Ce qu’elle regrette le plus, c’est que la dette concerne des sommes minimes, comme le remboursement d’un appareil ménager qu’on a cessé de payer pendant la pandémie après la perte d’un emploi.

Le programme de l’État propose des maisons d’une ou deux chambres avec des versements fixes d’un montant moyen de 260 dollars (2 millions de PYG) sur une période de 20 à 30 ans. Mais aucune à Asunción. « Ce n’est pas possible parce que c’est trop cher », répond un responsable de l’antenne du ministère de l’urbanisme et du logement, lorsqu’on lui demande pourquoi il n’y a pas d’options dans la capitale.

Cependant, l’idée de payer pour avoir sa propre maison en plusieurs fois « au prix du loyer », comme le promeut le gouvernement, n’est pas une mince affaire dans un pays où 9 % de la population vit dans des logements locatifs. Le taux d’intérêt proposé par l’Agence de financement du développement (AFD) dans le cadre du Che Roga Porã est de 6,5 %, alors que le taux d’intérêt d’un autre de ses prêts pour primo-accédants se situe entre 7,9 et 9,9 %. C’est le taux le plus bas du marché, et la famille de Mabel Villagra envisage donc également cette option. Ils étaient intéressés par un projet à Luque, qui n’est pas si loin, mais lorsqu’ils se sont renseignés, le logement était déjà réservé. Mariano Roque Alonso est une autre ville qu’ils envisagent.

– Si vous aviez la possibilité de vivre à Asunción, resteriez-vous ?

– Oui, je resterais, surtout à cause de la circulation, parce que ma fille va à un collège à Asunción. Si nous allons à Luque, nous devrons chercher un collège dans le secteur. Lorsque nous vivions à Mariano, il y avait une heure et quart de trajet par jour pour l’emmener à l’école, ce qui signifiait qu’il fallait la lever très tôt. Si elle avait d’autres activités, il fallait attendre sur place : on ne pouvait pas faire l’aller-retour parce qu’on aurait dépensé beaucoup de temps et d’essence.

Dispersés et de plus en plus dépendants de la voiture : le manque de planification urbaine nous coûte cher

La règle des 30 minutes, ou constante de Marchetti, postule que la tolérance des gens pour les déplacements est d’environ une heure par jour, soit une demi-heure par trajet. Cela signifie que nos lieux de travail, d’étude et de loisirs, entre autres, devraient se trouver à moins d’une demi-heure de notre lieu de résidence, que ce soit à pied, en bus ou par tout autre moyen. Cependant, se déplacer entre les villes de la zone métropolitaine d’Asunción peut prendre jusqu’à trois heures par jour, et même à l’intérieur de la capitale, les déplacements consomment de plus en plus de temps. Par exemple, parcourir les 13 km entre le centre-ville et le secteur du Centro Paraguayo Japonés via l’avenue de la Costanera Norte peut prendre 40 minutes à six heures du soir.

Le fait d’habiter de plus en plus loin du lieu où nous exerçons nos activités correspond à ce que l’on appelle la ville dispersée, laquelle se caractérise par l’utilisation de grandes superficies de terrain et, par conséquent, implique davantage de coûts d’infrastructures et de transport, ainsi qu’une augmentation du temps de déplacement. L’une de ses conséquences est de nous rendre plus dépendants de la voiture.

Selon l’INE, la majorité des habitants de la région métropolitaine se rendent au travail en voiture. La Quatrième Communication sur le changement climatique souligne également que le transport a été le principal moteur de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie, en raison de l’augmentation de la consommation de combustibles fossiles liée à la croissance du parc automobile.

Le manque de planification qui caractérise ce modèle cause des dégâts tant à l’environnement naturel, comme la perte de biodiversité, qu’à la population elle-même. On l’a vu lors des inondations d’avril dernier, où plusieurs villes de l’aire métropolitaine d’Asunción (AMA) ont été fortement affectées, notamment Limpio et Luque, où deux femmes ont été emportées par une crue. Le sol est devenu tellement imperméable qu’il ne peut plus absorber l’eau de pluie.

L’expansion de la ville ne se produit pas parce que nous sommes de plus en plus nombreux ; au contraire, ce qui caractérise ce modèle, c’est sa faible densité de population, c’est-à-dire le nombre de personnes vivant dans une zone donnée. L’Atlas de l’AMA, réalisé avant le recensement de 2022, indique qu’Asunción a une moyenne de 41 habitants par hectare, tandis que sa zone métropolitaine en a 33, ce qui en fait l’une des capitales les moins densément peuplées d’Amérique du Sud. Il explique que cette situation s’est structurée selon un modèle de parcelles de 12 x 30 avec des maisons unifamiliales, surtout depuis 1990.

L’architecte Nicolás Saravia estime que des initiatives telles que Che Roga Porã encouragent cette dispersion au détriment d’une ville compacte et durable. Cela, conjugué aux insuffisances du système de transport public, va exacerber les problèmes de mobilité. Il souligne d’autre part que la prolifération de tours d’appartements haut de gamme constitue ce que les urbanistes critiques appellent la « densification fantôme ». Il considère que le discours sur la bulle immobilière « en est à ses débuts » car plusieurs courtiers (intermédiaires) lui ont dit que « beaucoup de choses se vendent, surtout les petits appartements ».

Carlos Morel, 30 ans, est agent immobilier. Son travail consiste à servir d’intermédiaire dans la vente et l’achat de biens immobiliers, principalement à Asunción et à Ciudad del Este. Ses principaux clients sont des Argentins qui investissent dans des tours destinées au logement et dont l’arrivée dans le pays coïncide avec les restrictions sur l’achat de dollars en Argentine. Il précise également que de nombreux Uruguayens, Brésiliens et Allemands investissent dans l’immobilier. Mais il n’y a pas que des étrangers. Morel note une tendance chez les jeunes qui préfèrent vivre dans des logements loués parce qu’ils investissent leur argent dans autre chose, comme des études à l’étranger.

En ce qui concerne les possibilités offertes à ceux qui veulent acheter un logement, il est catégorique : « À Asunción, vous ne trouverez pas de maison bon marché. »

En effet, l’une des conséquences négatives de la ville fragmentée signalée par l’Atlas de l’AMA est la spéculation immobilière incontrôlée, qui entraîne une augmentation du coût des terrains urbains et, par conséquent, l’éloignement de la population. La capitale se dépeuple, mais ce n’est pas seulement parce que les logements sont inabordables pour les familles de travailleurs.

Óscar Cháves dit en riant que sa famille n’a pas déménagé d’Asunción, mais qu’elle « a été déménagée ». Sa compagne Gisselle et lui sont originaires du quartier Itá Pytã Punta et vivent depuis un an avec leur bébé à Areguá, dans la maison qu’ils ont achetée grâce à un prêt de l’AFD. Ils en ont eu assez de l’insécurité et du sentiment que la ville devient de plus en plus décadente. Gisselle faisait même partie de la commission de quartier pour récupérer le belvédère du quartier, mais elle s’est souvent heurtée à la politique politicienne. Si Óscar reconnaît que c’est un mal partout, à Areguá au moins ils trouvent la paix.

Ils veulent croire qu’il est encore possible de construire quelque chose.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3736.
 Traduction d’Angela Berrocq pour Dial.
 Source (espagnol) : El Surti, 24 septembre 2024.

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[1La relecture et l’édition du texte original a été assuré par Jazmín Acuña.

[2La sécurité sociale paraguayenne – note DIAL.

[3Faculté d’architecture, design et art et de l’université nationale d’Asunción – note DIAL.

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