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ARGENTINE - Élections du 26 octobre 2025 : des données, des gagnants, des perdants et une forte abstention

Nicolás Laguna

vendredi 31 octobre 2025, mis en ligne par Dial

Nicolás Laguna propose une analyse à chaud de la victoire inattendue du gouvernement de Milei aux élections législatives du 26 octobre 2025 [1]. Article publié le 28 octobre par La Izquierda Diario et traduit et publié en français par À l’encontre le 29 octobre 2025.


Une victoire inespérée du gouvernement, d’autant plus qu’il était dans une situation difficile. Une défaite marquée du péronisme qui n’est plus une surprise et une abstention électorale au plus haut depuis 1983. Nouvel instantané du feuilleton en cours de la crise de la représentation politique.

Les élections du 26 octobre 2025 ont été source de surprises et ont donné du grain à moudre aux commentateurs. Personne ne s’attendait à une victoire du gouvernement Milei, tout comme personne ne s’attendait à la victoire écrasante du péronisme le 7 septembre dans la province de Buenos Aires [2]. Dans ce pays en pleine tourmente, les élections de cette année ont plongé un régime politique en décomposition dans une nouvelle crise. Si l’élection du 7 septembre a été une défaite pour La liberté avance plutôt qu’une victoire pour le péronisme, cette élection est similaire, mais à l’envers : s’y est exprimé un vote conservateur contre le péronisme, lié au souvenir indélébile du gouvernement péroniste désastreux d’Alberto Fernández [3], de Cristina de Kirchner [4] et de Sergio Massa [5].

La crise de la représentation politique continue de remodeler le champ électoral, où il n’y a plus deux grands pôles, mais trois blocs distincts, qui ne représentent pas la totalité des électeurs et électrices. Les abstentionnistes, un vote de centre droit et de droite et un vote péroniste, où ne prime pas la sympathie pour son propre camp, puisqu’il ne répond pas aux attentes placées dans leurs gouvernements, mais qui est uni plutôt par le rejet de l’autre. D’un autre côté, il y a aussi un vote de gauche pour le Front de gauche et des travailleurs - Unité (FITU, pour Frente de Izquierda y de los Trabajadores Unidad) qui se consolide et un secteur hésitant qui finit par décider des élections, oscillant entre l’un et l’autre bloc en fonction des circonstances.

La première grande minorité, l’abstention

Tout d’abord, ce qui a augmenté, c’est le niveau d’abstention : sur un total de 35 981 358 personnes inscrites, 24 263 248 ont voté, ce qui signifie que 11 718 110 personnes se sont abstenues, soit plus que le total des votes de n’importe quel parti. Le taux de participation a été de 67,92%. À cela s’ajoutent les 664 944 votes blancs (2,74 %) et les 597 938 votes nuls (2,46%), soit 1 262 882 personnes qui se sont rendues aux urnes mais n’ont choisi aucun candidat. Au total, 12 980 992 électeurs n’ont exprimé aucun choix. Aucune élection ne recueille 100% des suffrages, mais si l’on compare les résultats de 1983 à aujourd’hui, on constate que le taux de participation oscille entre 75% et 85%, avec une baisse à 71% lors des élections législatives au milieu de la pandémie, alors qu’éclatait le scandale d’une réunion, en plein confinement, de responsables péronistes dans la Quinta Presidencial de Olivos (la résidence officielle du président). L’abstention politique a de multiples causes. Dans la tradition politique argentine, surtout depuis 2001, elle est l’expression d’un mécontentement politique et est liée à la conviction que rien ne changera.

TABLEAU

En observant les niveaux d’abstention, nous pouvons constater qu’il existe un secteur social qui s’abstient toujours, représentant entre 15% et 22% des électeurs inscrits. Aujourd’hui, l’abstention a atteint près de 32%, parmi lesquels il y a un nouveau secteur qui s’ajoute à l’abstention régulière qui existait déjà, et représente entre 10 et 17% (selon l’élection à laquelle on se réfère) de nouvelles personnes qui choisissent de s’abstenir. Cela s’ajoute à la faible participation enregistrée lors de toutes les élections législatives provinciales tout au long de l’année, qui se situait entre 50% et 60%.

Le regroupement des votes du centre vers la droite de Milei

Parmi ceux qui sont allés voter, le gouvernement de Milei a remporté la victoire. Sur deux questions centrales, sur le nombre de députés et de sénateurs d’abord, ce qui lui permettra une plus grande marge de manœuvre. Et sur la surprise ensuite, car après la défaite du 7 septembre, tout indiquait que Milei allait être battu. Il a remporté la victoire à Córdoba, dans le Grand Buenos Aires (CABA), à Santa Fe et Mendoza avec une bonne marge et dans la province de Buenos Aires avec un point d’avance. Toutefois, la grande nouveauté réside dans l’obtention de 881 417 nouveaux votes dans la province de Buenos Aires, soit une augmentation de 8 points.

Ce n’est pas qu’il s’agisse d’une victoire écrasante, mais il était tellement mal placé que sa remontée était une surprise. Mais la tentative de présenter la victoire du gouvernement comme totale et absolue comporte de nombreuses contradictions. Étant donné que La liberté avance n’est plus un parti autonome, mais qu’il a clairement fusionné avec le PRO [de Mauricio Macri], le parti majoritaire de ce qui était la coalition Ensemble pour le changement [Juntos x el Cambio] [6], il a obtenu 9 341 798 voix, soit 40,65% des suffrages.

Mais si on compare cela aux élections de 2023, dans la catégorie des députés, la somme des deux listes donne 13 255 182 suffrages, soit un total de 54% (au second tour, c’était 55,65%). Cela signifie que les élections de 2025 lui ont apporté 15% de voix en moins, soit une baisse de près de 4 millions. Donc il s’agit d’une victoire assez conjoncturelle et fortement conditionnée par l’impérialisme yankee [7] qui a fait croire à la population que si le gouvernement perdait, Trump retirerait son soutien et l’économie s’effondrerait davantage, ce qui a provoqué un vote conservateur.

Pour analyser la composition du vote Milei, Carlos Pagni, dans son éditorial de lundi, montre dans un graphique préparé pour La Izquierda Diario que les votes de Milei ne sont plus ceux des classes populaires, comme c’était le cas en 2023. Son vote se transforme progressivement en un vote plus classique de droite, un vote des classes moyennes et supérieures. La fin du phénomène de quartier, au sens d’un mouvement ancré dans les classes populaires et plébéiennes, est un processus irréversible. Ce qu’il a réussi à faire par contre, c’est rassembler l’ensemble des votes du centre-droit aux libertariens les plus fanatiques, battant également tous les petits groupes tels que la Coalition civique, ce qui reste du radicalisme (UCR) ou López Murphy [8] dans la ville de Buenos Aires. Ce regroupement n’a plus pour programme la défaite d’une « caste » – de fait, ses principaux candidats sont issus de la caste, comme Patricia Bullrich [9] et Diego Santilli [10] –, mais le maintien d’un dollar bon marché en faveur d’une partie aisée de la société qui voyage à l’étranger et un programme qui ne profite qu’aux grands patrons : la réforme fiscale, du travail et des retraites. La transformation de son vote est liée à son programme néolibéral, sans la fraîcheur de l’outsider anti-caste qu’il prétendait être initialement.

Le déclin constant du péronisme

Tout comme l’élection du 7 septembre n’a pas été une grande victoire pour le péronisme mais plutôt une défaite du gouvernement, cette élection comporte une forte composante de défaite péroniste. Tout d’abord, ce courant n’a même pas réussi à conserver ses votes dans la province de Buenos Aires, obtenant 3 558 527 voix, soit 261 592 de moins qu’il y a 50 jours. Le poids évident des maires dans l’élection s’était fait alors sentir. Bien qu’il ait gagné dans presque toutes les municipalités les plus populaires de la banlieue et perdu dans l’intérieur agricole dédié à la monoculture du soja, le vote de septembre avait surpris. Il a de nouveau gagné à La Matanza, Almirante Brown, Avellaneda, Lanús, José C. Paz, Malvinas Argentinas, Moreno, Merlo, Berisso, etc. mais il a à chaque endroit perdu des voix et La liberté avance a progressé partout.

Au niveau national, le péronisme obtient 31,70%, soit 7 284 477 voix. C’est moins qu’aux élections législatives de 2021, alors qu’il était au pouvoir, en pleine pandémie et avec la photo d’Olivos publiée dans la presse [11]. Il avait alors obtenu 7 962 337 voix, soit 33,74%. Son pic lors des trois dernières élections a été atteint en 2023, avec 37,5 % des voix, soit un total de 9 215 313 votes.

Ce que nous observons lors des dernières élections, c’est un processus dans lequel le péronisme est passé du statut d’un parti recueillant un peu plus de 40% des voix à celui d’un parti recueillant un peu plus d 30%. Ce processus fait qu’il lui est de plus en plus difficile d’obtenir une majorité des voix pour être clairement vainqueur. Le péronisme conserve un nombre important de suffrages, mais semble avoir atteint son plafond, sans grandes possibilités de croissance. […] La perspective d’une unité du péronisme ne semble pas non plus se dessiner mais se poursuivent plutôt les fractures internes et les discussions sans fin.

L’étude de ce plafonnement du péronisme dépasse le cadre de cet article, mais il s’agit d’un processus profond, au cours duquel une partie de l’électorat qu’il a su conquérir s’en est progressivement éloignée. Dans ce processus, il conserve un vote idéologique progressiste de centre gauche et un vote populaire reposant sur des attentes d’ascension sociale, mais il perd des voix et cette perte semble être irréversible.

La perte de voix se fait de différentes manières. Par exemple, un secteur se radicalise et vote pour le FITU, comme lors de l’élection dans la ville de Buenos Aires, où Myriam Bregman [12] a obtenu 9,11% des voix. Il y a également des pertes de voix dues à l’abstention, au fait qu’un secteur populaire a voté pour Milei en 2023. À cela s’ajoutent des pertes de voix au profit de listes mineures. Un goutteà-goutte lent, mais constant.

Le bilan de ce changement sera déterminant pour les années à venir : s’agit-il d’un vote qui traduit une orientation vers la droite ou d’un vote qui se détourne d’un péronisme qui ne répond même plus aux attentes minimales des électeurs. Cela concerne en particulier sa base ouvrière composée à 50% de travailleurs au noir, précaires ou soumis au régime fiscal simplifié. Mais se pose aussi la question du bilan de ses années au pouvoir, comme les quatre années d’Alberto Fernández qui continuent d’être cachées sous le tapis comme le grand mal, de la non-résistance dont le péronisme a fait preuve depuis deux ans face au gouvernement libertarien ou encore de son refus de discuter d’un programme politique face à la crise, se contentant de proposer de voter pour freiner les réformes de Milei. […]

Le bon résultat du FITU

Alors que beaucoup veulent faire croire que tout tourne à droite, le FITU se consolide et résiste une fois de plus à la polarisation [13]. L’expression politique de la gauche se réclamant du trotskisme, avec un programme anticapitaliste mettant en avant la politique, la rupture avec le FMI, l’attaque envers ceux qui concentrent les richesses, le soutien aux luttes en cours et une cohérence durable entre les discours et les actes, tout cela a conduit le front politique le plus ancien [14] à avoir une représentation parlementaire constante au niveau national et dans plusieurs provinces à différents moments : comme dans celles de Jujuy, Mendoza, Córdoba, Salta, la ville et la province de Buenos Aires. Avec près de 900 000 voix au niveau national, atteignant 9,11% dans la capitale (CABA), 5,04% dans la province de Buenos Aires (PBA), remportant 3 sièges nationaux, un pour CABA, deux pour PBA, un résultat important à Jujuy avec 9,85%, à Neuquén avec 4,51%, à Chubut 5,13%, parmi les provinces les plus significatives. […]

Maintenant que les élections sont terminées et ont donné des résultats disparates au cours de l’année, ce qui va marquer le rythme politique, ce sont les problèmes structurels qui persistent, les attaques du gouvernement et la réponse de la rue. Le gouvernement, grisé par son triomphe, planifie de nouvelles attaques contre les travailleurs et travailleuses : journées de 12 heures, flexibilisation du temps de travail en vue d’éliminer le paiement des heures supplémentaires, licenciements sans indemnité, etc. Une tentative plus importante encore de reconfigurer la société à l’image et à la ressemblance des grands propriétaires du pays et des exigences du capital étranger [15]. Des attaques qui devront être combattues sur chaque lieu de travail, dans chaque établissement scolaire, dans chaque quartier et dans les rues.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3756.
 Traduction rédaction À l’encontre. Traduction ponctuellement modifiée par Dial.
 Source (français) : À l’encontre, 29 octobre 2025.
 Texte original (espagnol) : La Izquierda Diario, numéro 1775, 28 octobre 2025.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, les traducteurs, la source française originale (À l’encontre - https://alencontre.org) et l’une des adresses internet de l’article.

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[1Les électeurs étaient appelés aux urnes pour renouveler 127 des 257 sièges de la Chambre des députés et 24 des 72 sièges du Sénat. La liberté avance, actuellement au pouvoir, a obtenu 13 sièges au Sénat et 64 à la Chambre des députés et les péronistes de Force de la patrie, 9 sièges de sénateurs et 46 sièges de députés.

[2La liberté avance (LLA), le parti libertarien de Milei, y a obtenu un peu moins de 34% des voix, contre plus de 47 % à l’opposition péroniste de Fuerza Patria – note À l’encontre.

[3Président de la Nation argentine entre décembre 2019 et décembre 2023 – note À l’encontre.

[4Vice-présidente – note À l’encontre.

[5Ministre de l’économie d’août 2022 à décembre 2023 – note À l’encontre.

[6Coalition créée par Mauricio Macri en 2019 – note À l’encontre.

[7Promesse de Trump de renouveler le « prêt » de 20 milliards en cas de victoire – note À l’encontre.

[8Député de Buenos Aires élu en décembre 2021 et ministre de la défense de décembre 1999 à mars 2001 – note À l’encontre.

[9Ancienne ministre de la sécurité du gouvernement Macri de décembre 2015 à décembre 2019, actuelle ministre de la sécurité depuis décembre 2023 – note À l’encontre.

[10Membre du gouvernement de la province de Buenos Aires à diverses occasions – note À l’encontre.

[11Voir ci-dessous – note À l’encontre.

[12Candidate du FITU – note À l’encontre.

[13Entre Milei, ses alliés et le péronisme – note À l’encontre.

[14Il a été créé en 2011 – note À l’encontre.

[15Avec, entre autres, les projets d’investissement des États-Unis dans son conflit avec les projets économiques de la Chine, notamment dans le domaine extractiviste – note À l’encontre.

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