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DIAL 2935

AMÉRIQUE LATINE - La vérité, Pilate, c’est...

Pedro Casaldáliga

mardi 1er mai 2007, mis en ligne par Dial

Les lettres circulaires de Pedro Casaldáliga, ancien évêque de la Prélature de São Felix de Araguaia (Brésil), sont un bain de fraîcheur, de vigueur évangélique, de solidarité fraternelle et de poésie. En cette lettre circulaire du 24 mars 2007, tout en posant quelques questions de fond, il brosse une esquisse de la situation mondiale, parle de la prochaine conférence de l’épiscopat latino-américain et caraïbéen à Aparecida au Brésil et évoque le procès fait à son « cher » Jon Sobrino, théologien de la libération, avec lequel il se solidarise sans restriction.


En fraternelle et totale communion

avec Jon Sobrino,

théologien du Dieu des pauvres,

compagnon fidèle de Jésus de Nazareth,

témoin de nos martyrs.

Qu’est-ce que la vérité ? Qui détient la vérité ? Quelle est la politique vraie ? Quelle est la vraie religion ? Ces interrogations, sur quelque ton qu’elles soient prononcées, et si, parfois, elles sont source de désarroi et d’indignation, sont des interrogations universelles et quotidiennes auxquelles nous ne pouvons nous soustraire, ni en politique, ni en religion. Si, par un certain côté, la globalisation nous enchaîne à l’impitoyable esprit de lucre, d’un autre côté elle nous ouvre de nouveaux espaces de dialogue et de coexistence, dans la vérité partagée.

Notre Agenda Latino-américain Mondial met à l’ordre du jour, en ces années 2007 et 2008, la démocratie véritable et dénonce la politique mensongère. En 2007 « Nous exigeons et nous mettons en place une autre démocratie » et en 2008 « La politique est morte, vive la politique ».

Ici, en Amérique, entre ambiguïtés, crispations et désillusions, on est en train de prendre un virage à gauche. Mais dans les congrès et les publications, inévitablement, des questions sont posées : qu’est-ce que la gauche ? qu’est-ce que la démocratie ? Quelle est la politique vraie, quelle est la vraie religion, quelle est l’Eglise vraie ?

Il n’y a pas de doute, nous avançons, malgré les statistiques dramatiques que le PNUD et autres instituts de sondage nous communiquent. Il y a dans le monde 834 millions de personnes qui ont faim, et auxquelles, chaque année, viennent s’ajouter quatre autres millions. Quarante pour cent de la population mondiale vit dans l’extrême pauvreté. En Amérique Latine quelques 205 millions de personnes vivent dans la pauvreté et en Afrique Subsaharienne 47 millions. L’économiste Luis de Sebastian rappelle que « L’Afrique est un des péchés de l’Europe », elle est à ce jour la dette la plus lourde contractée par l’humanité. Le monde emploie chaque année un milliard de dollars pour l’armement soit une quantité quinze fois supérieure à celle destinée à l’aide internationale… L’inégalité dans notre village global est un véritable blasphème contre la fraternité universelle. A titre d’exemple : le revenu annuel moyen des personnes les plus riches des Etats-Unis est de 118 000 dollars ; le revenu annuel moyen des personnes les plus pauvres de Sierra Leone est de 28 dollars.

Encore marginal et minoritaire, le dialogue œcuménique et interreligieux avance. Le phénomène grave et mondial des migrations exige des réponses et des décisions qui désormais relèvent des divers peuples, cultures et religions. Qui détient la vérité ? Qui ne la détient pas ?

L’Eglise, l’Eglise catholique, célèbre, à Aparecida (Brésil), en ce mois de mai, la cinquième Conférence de l’Episcopat Latino-américain et Caribéen. Déjà des voix se sont élevées, sincères et dignes d’être prises en compte, qui réclament « ce qui ne peut être absent à Aparecida » : l’option pour les pauvres, l’œcuménisme et le macro-œcuménisme , la liaison foi et politique, la préservation de la nature, la contestation prophétique du capitalisme néo-libéral, le droit des peuples indigènes et afro-américains, la participation des laïques, la reconnaissance effective de la participation des femmes dans toutes les instances ecclésiales, la coresponsabilité et la subsidiarité appliquées à l’Eglise dans sa totalité, l’activation des communautés ecclésiales de base, le souvenir de nos martyrs qui engage notre vie, l’inculturation sincère de l’Evangile dans la théologie, la liturgie , la pastorale, le droit canonique. Enfin, la continuité, réactualisée, de notre « imprescriptible tradition latino-américaine » qui prend sa source, essentiellement, à Medellín [1].

Le thème de la Vème CELAM est « Disciples spirituels et missionnaires § les mots disciples et missionnaires sont au masculin dans le texte original, ce qui explique les remarques faites dans la parenthèse qui suit cette phrase § de Jésus Christ, pour que nos peuples trouvent en Lui la vie. Je suis le chemin, la vérité et la vie ». (Les femmes disciples et les femmes missionnaires n’intègrent pas cet énoncé, souhaitons qu’elles soient incluses dans les décisions de la conférence…). Les disciples dans leur ensemble, et leur mission représentent la mise en pratique concrète et passionnée de la continuation de Jésus « en quête du Royaume ». Le théologien A.Brighenti [2] fait remarquer que le déficit du point de vue ecclésial du Document de Participation s’exprime, surtout, à travers l’absence de référence au Royaume de Dieu qui n’est cité que deux fois dans tout le document. Pourquoi tant de crainte à l’égard du Royaume de Dieu qui fut la préoccupation constante, le sens de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus ?

Tout n’est pas que sérénité en vue de ce congrès de la CELAM. De très mauvais augure – pour parler un langage châtié- à la veille de la Conférence a éclaté ce procès de notre cher Jon Sobrino [3]. Il est très symptomatique car un cardinal de la Curie romaine a déjà déclaré qu’avant Aparecida la théologie de la libération sera liquidée. Cet illustre porteur de la pourpre cardinalice devra, je pense, accepter qu’après Aparecida le Dieu des pauvres restera vivant et actif, et l’Evangile de la libération restera subversif ; et, aussi, malheureusement, que la faim, la guerre, l’injustice, la marginalisation, la corruption, la cupidité continueront à réclamer de la part de notre Eglise un véritable engagement au service des pauvres de Dieu.

J’ai écrit à Jon Sobrino pour lui rappeler que nous sommes des millions à ses côtés, et que par-dessus tout, celui qui est à ses côtés c’est Jésus de Nazareth. J’ai rappelé à Jon ce poème que m’avait inspiré le martyr de ses compagnons de la UCA [4] : « Vous êtes la vérité crucifiée/ la prophétie de la connaissance/ et tous nous vous accompagnons/ compagnons de Jésus. » J’ai dit à Jon à cause de toi, par ta sainte faute, nous sommes nombreux à entendre, redevenue d’actualité, la question capitale de Jésus : « Et pour vous, qui suis-je ? » Parce que celui que nous voulons suivre c’est le vrai Jésus.

Pilate, avec mépris, demande à Jésus quelle est la vérité et il ne s’attarde pas à écouter la réponse. De plus il l’envoie à la mort et se lave les mains. Maxence van der Meersh répond à Pilate et nous répond à tous : « La vérité, Pilate, c’est d’être à côté des pauvres ». La religion et la politique doivent recevoir cette réponse et la porter à ses conséquences ultimes. La vie toute entière de Jésus n’est en outre que cette réponse elle-même. L’option pour les pauvres détermine toute politique et toute religion. Autrefois c’était « Hors de l’Eglise point de salut », ce fut ensuite « Hors du monde point de salut ». Jon Sobrino nous rappelle une fois de plus que « Hors des pauvres il n’y a point de salut » ; Jean XXIII plaidait pour « une Eglise des pauvres afin que ce soit l’Eglise de tous. » Ce qu’il y a de certain c’est que les pauvres, avec leur vie confisquée et leur mort « prématurée » déterminent la vérité ou le mensonge d’une société, d’une Eglise. Notre Jon Sobrino dit « Celui qui n’a pas de Dieu une connaissance claire l’a rencontré s’il a aimé les pauvres » et l’Evangile le redit sans cesse à travers la parole et la vie de Jésus, de la crèche au calvaire, de béatitudes en paraboles, jusqu’au jugement dernier…

Frères, sœurs, chers à nos cœurs et si proches dans une même inquiétude et un même espoir, continuons. Cherchons à « construire la vérité à travers l’amour » comme le dit le Nouveau Testament, dans une fraternelle communion et une praxis libératrice. « Avec les pauvres de la terre ». « Vies offertes pour le Règne de la Vie ». Comme nous le revendiquions haut et fort au Pèlerinage des Martyrs de la Caminada.

Que ce bref écrit soit la très amicale expression d’un engagement, d’une gratitude et d’un inébranlable espoir, dans le Royaume.

24 mars 2007. Pâques de Saint Romero.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2935.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Servicios Koinonia.

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[1Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, qui a eu lieu en 1968 et qui a profondément marqué l’Eglise latino-américaine, notamment en matière d’engagement pour les pauvres et contre la pauvreté - NDLR.

[4Allusion au massacre des compagnons jésuites de Jon Sobrino qui eut lieu à l’Université Centre-américaine à San Salvador en 1989, par une unité de l’armée salvadorienne - NDLR.

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