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DIAL 3217

GUATEMALA - Mort de sept Indiens dans une manifestation

Louisa Reynolds

vendredi 7 décembre 2012, mis en ligne par Dial

Dans ce numéro de DIAL, les deux premiers textes sont consacrés à des luttes sociales en cours, au Guatemala et au Chili et les deux derniers à des questions géopolitiques. Ce texte de Louisa Reynolds, publié par Noticias Aliadas le 8 novembre 2012, décrit les raisons de la colère ayant conduit à la mobilisation et la répression violente dont elle a fait l’objet.


Des manifestants ont bloqué une route pour protester contre l’augmentation des tarifs de l’électricité.

Après la multiplication par deux, en un an, du coût de l’électricité dans le département de Totonicapán (nord-est), atteignant ainsi presque 12 dollars mensuels, la leader maya quiché Juana Celestina Batz Puac, a décidé qu’il fallait protester. « Trop c’est trop », a-t-elle dit, secouant la tête pour appuyer ces mots.

Pour Batz Puac, il est injuste que les familles rurales qui n’ont qu’une seule lampe chez elles soient soumises à une augmentation de prix qui semble arbitraire. « On doit écouter nos réclamations », a-t-elle déclaré. « Nous, peuples indiens, consommons leur énergie et eux, ils s’enrichissent sur le dos des gens ».

Les habitants des 48 cantons de Totonicapán sont particulièrement mécontents car l’éclairage public n’arrive pas aux zones rurales alors son utilisation leur est facturée chaque mois. En mai, des manifestants ont occupé les bureaux d’Energuate, l’entreprise qui distribue l’électricité, dans la capitale du département, également nommée Totonicapán. Cependant l’entreprise – dans laquelle le groupe britannique d’investissement Actis est majoritaire – a souligné qu’elle ne facture que ce qui est stipulé par la Commission nationale de l’énergie électrique, organisme d’État. Les revendications des manifestants n’ont pas été prises en compte.

Totonicapán est un des départements les plus pauvres du Guatemala (82% de la population souffre de malnutrition chronique, d’après le Secrétariat de sécurité alimentaire et nutritionnelle). Quoi qu’il en soit, ses actions collectives ont marqué l’histoire.

En 1998 et 2002 la population des 48 cantons est descendu dans les rues pour protester contre une augmentation de la fiscalité et, en 2007, elle a fait échouer l’approbation par le Congrès d’une loi controversée sur la privatisation du service de l’eau potable.

Forts de ces antécédents, les leaders indiens du département ont bloqué le 4 octobre la Panaméricaine en deux endroits, à Cumbre de Alaska (kilomètre 170) et au carrefour très fréquenté connu sous le nom de Cuatro Caminos (kilomètre 188). La veille, les leaders indiens avaient annoncé leur intention de bloquer la route, en vue de quoi des policiers antiémeute sont arrivés très tôt. À 14h, tandis que le barrage était mis en place, les dirigeants des 48 cantons de Totonicapán sont arrivés au Palais présidentiel, mais ils furent refoulés et on les informa de ce que le président Otto Pérez Molina, militaire à la retraite peu amène au dialogue, ne les recevrait pas.

Versions contradictoires

Des dizaines de véhicules de police et deux véhicules militaires au moins ont été envoyés à la Panaméricaine. Ce qui s’est passé ensuite est en cours d’investigation par le ministère public car il existe des versions différentes des événements.

Selon le ministre d’État Mauricio López Bonilla, lorsque les manifestants ont refusé de lever les barricades, la police a lancé des bombes lacrymogènes pour disperser la foule et l’armée a été envoyée à l’appui de l’action de la police. Cependant López Bonilla a affirmé que les soldats n’étaient pas armés et que la majorité des victimes blessées par balle et par machette l’avaient été au cours d’un affrontement entre les manifestants eux-mêmes.

Sept personnes sont mortes dans le désordre qui s’en est suivi, a-t-il dit, et les manifestants ont également jeté des pierres aux agents et incendié divers véhicules de la police et de l’armée. López Bonilla a ajouté que la libre circulation doit être défendue et respectée par-dessus tout.

Des dizaines de citoyens ont été intoxiqués par les gaz lacrymogènes. Finalement l’affrontement s’est soldé par 34 blessés et sept morts : Santos Nicolás Hernández, Jesús Francisco Puac, Arturo Félix Fapón, Eusebio José Puac, Jesús Cano, Santos Nicolás Menchú et Rafael Batz, tous du département de Totonicapán.

La version des manifestants est très différente. « Ceux qui participaient à la manifestation nous ont dit que ce sont des militaires qui ont tiré sur eux » a affirmé la leader indienne Carmen Tacam lors d’une conférence de presse. Elle a insisté sur le fait que les manifestants n’étaient pas armés et expliqué que certains portaient le « bâton » de l’autorité communautaire, bâton en bois, qui est remis au leader ou à la leader de la communauté une fois élu(e), lors d’une cérémonie traditionnelle maya.

Le bureau du procureur en charge des droits humains a également fait savoir que, contrairement à ce qui avait été indiqué par López Bonilla, les soldats envoyés en renfort de la police pour disperser la foule étaient armés de fusils israéliens Galil utilisés par l’armée pendant les 36 ans de guerre civile.

Le gouvernement a également affirmé que des agitateurs en civil avaient infiltré la manifestation et ouvert le feu contre la police qui a immédiatement répondu – ce qui a été catégoriquement nié par les manifestants.

Les Nations unies et le corps diplomatique ont énergiquement condamné les actions du gouvernement pendant la manifestation. « Il est lamentable qu’une manifestation légitime se soit terminée par sept morts. Il y a un risque très élevé à charger l’armée d’opérations de sécurité publique », a déclaré Alberto Brunoni, représentant du Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) pour le Guatemala.

Manque de respect

Le 5 octobre, les établissements commerciaux de tout Totonicapán ont fermé en signe de deuil pour les manifestants décédés. La population a envahi les rues du centre de la capitale départementale portant des pancartes qui réclamaient la justice et la fin de la politique répressive du gouvernement. La leader indienne Rigoberta Menchú, Prix Nobel de la paix, a fait le voyage pour mener une investigation sur les événements en tant que représentante de son organisation humanitaire, la Fondation Rigoberta Menchú.

Tandis que Totonicapán pleurait encore ses morts, la tristesse se transforma en colère lorsque le ministre des affaires étrangères, Harold Caballeros, tenta de minimiser la gravité de l’incident en disant que nombreux sont ceux qui meurent chaque jour en conséquence de l’augmentation de la violence. « Tous les jours les morts se multiplient par deux, il n’y a donc pas lieu de donner à cela une importance démesurée » a-t-il affirmé.

Sur son compte Twitter, Caballeros a insulté ses critiques les traitant d’« ânes » et de « crétins ». Il s’est excusé ensuite et a indiqué que ses commentaires étaient le fait de la colère. Cependant Menchú et d’autres leaders indiens répondirent en faisant remarquer que le ministre est « raciste » et en demandant sa destitution immédiate. Le président Pérez Molina a déclaré qu’un haut fonctionnaire du gouvernement « ne peut pas s’offrir le luxe de répondre de cette manière ».

Le parti Unité nationale de l’espérance (UNE) et Winak, le parti de Menchú, ont réclamé la venue de Caballeros au Congrès pour qu’il y rende des comptes à propos de l’incident et soit blâmé pour ses agissements. Mais pour le destituer, il faudrait que les deux partis lancent une interpellation législative et s’assurent une majorité de votes de censure ce qui est difficile puisque que le Parti patriote, actuellement au pouvoir, détient plus de la moitié des sièges à l’assemblée législative.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3217.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 8 novembre 2012.

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