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PÉROU - Les glaciers continuent à disparaître… Quelles sont les conséquences pour nous ?

Evelyn Ayala

vendredi 21 avril 2023, mis en ligne par Dial

L’été 2022 a été très chaud en Europe de l’Ouest, après un hiver marqué par un très faible enneigement. En Suisse, où l’épaisseur de tous les glaciers a été mesurée, les scientifiques ont calculé qu’en 2022, ils avaient perdu en moyenne 5 à 6% d’épaisseur. Le glacier Blanc, situé dans le Parc national des Écrins (France) a perdu en 2022 quatre fois plus de masse que la moyenne des 23 dernières années observées, soit un équivalent de 17 millions de mètres cube de glace [1]. À ce rythme, il disparaîtrait en une trentaine d’années. Dans la cordillère des Andes, le réchauffement climatique a aussi des conséquences directes sur les glaciers, au Pérou notamment, où leur surface a diminué d’environ 53% en 54 ans. Article d’Evelyn Ayala publié sur le site Salud con lupa le 2 février 2023.


Bien que la disparition d’un glacier évoque une catastrophe à venir, la fonte des glaces entraîne dès aujourd’hui des conséquences directes sur la régulation de notre écosystème et la qualité de l’eau que nous consommons.

La vie au Pérou est intimement liée aux glaciers. Soixante-dix pour cent des glaciers tropicaux (situés dans les régions chaudes de la Terre) de toute la planète se trouvent au Pérou, ce qui en fait l’un des neuf pays mégadivers d’Amérique latine. En outre, des milliers de Péruviens dépendent de l’eau de ces structures puisqu’elles alimentent les rivières des zones désertiques, dont celle de Lima.

Mais cette forte dépendance à l’égard des glaciers signifie également une grande vulnérabilité au changement climatique. Selon des données de l’Institut national de recherche sur les glaciers et écosystèmes de montagne (INAIGEM), au Pérou les hautes températures des dernières années ont provoqué la disparition de plus de la moitié de la surface de glaciers que possédait le pays il y a 50 ans.

« Nous relevons que la surface des glaciers du Pérou a diminué d’environ 53% en l’espace de 54 ans. Dans la seule cordillère Blanche, elle s’est rétrécie de 38% pendant la même période », explique Jesús Gómez, directeur de la recherche sur les glaciers à l’INAIGEM.

Et il ressort de données du ministère de l’environnement que cette tendance va s’aggraver. Il en ressort que neuf glaciers du pays disparaîtront dans les 20 prochaines années à cause de la hausse des températures. Selon des données de l’INAIGEM, le glacier Quelccaya, situé dans la cordillère de Vilcanota, en est un exemple concret, la surface de glace ayant diminué de 46% entre 1976 et 2020, ce qui lui a fait perdre sa place de plus grand glacier tropical du monde.

Les glaciers du Pérou sont une illustration parfaite du fait que le changement climatique n’est pas un problème du futur. « Le changement climatique est déjà là, mais beaucoup de gens le voient comme un phénomène de demain, surtout s’ils ne vivent pas à la montagne ou sur les glaciers, parce que c’est un phénomène qu’il est très difficile d’observer », indique Jahir Anicama, chercheur au Centre latino-américain d’excellence sur le changement climatique et la santé (Centre Climat).

Comment sait-on que ce dégel est anormal ?

Le dégel est un phénomène courant, mais son processus naturel ne se déroule pas comme dans le passé. Aujourd’hui, le problème est tellement évident qu’on peut le mesurer de deux façons : la première consiste à calculer directement combien un glacier a perdu de glace, et la seconde à analyser combien d’eau la fonte a produit.

Le Pérou abrite par exemple la cordillère Blanche (la cordillère tropicale la plus étendue et la plus haute du monde), qui approvisionne en eau les départements d’Ancash et de La Libertad, et qui a perdu chaque année près de 5 km2 de sa superficie glaciaire, selon l’Inventaire national des glaciers.

De même, la cordillère de Huayhuash a perdu presque 34% de ses glaces en 54 ans, celle de Raura près de 54%, celle de Huagoruncho 68%, la cordillère Centrale près de 64%, etc.

Le spécialiste Jesús Gómez, de l’INAIGEM, explique qu’une façon d’étudier la vulnérabilité des glaciers face au changement climatique consiste à réaliser un bilan massique à partir de deux valeurs qui sont l’accumulation et l’ablation : « Pour nous, l’accumulation signifie la façon dont un glacier s’alimente par les précipitations de neige ou de grêle, et on parle d’une zone d’ablation lorsque dans les faits le glacier commence à perdre de sa masse. »

Ainsi, pour savoir si un glacier perd de la masse (de la glace), il faut comparer la quantité d’eau qui entre dans le glacier avec la quantité qu’il perd pendant une durée déterminée, dans ce cas à cause de l’évaporation et la fonte. La ligne qui sépare la zone d’accumulation de la zone d’ablation s’appelle précisément la ligne d’équilibre lorsque l’INAIGEM a pu étudier l’état des glaciers au fil des ans.

Par exemple, selon l’inventaire du gouvernement péruvien, s’agissant de la cordillère Huallanca, la quantité d’eau accumulée a été établie à 108 147,5 m², et celle de la zone d’ablation à 245 177 m², ce qui donne un bilan massique de 506 777 m3 de glace perdue.

Il est intéressant de voir que ce modèle d’accumulation et d’ablation est lié aux températures. « La perte de masse obéit à une dynamique naturelle, mais la température augmente année après année d’une manière telle que les écarts se creusent », assure Anicama.

Dans les Andes, l’accumulation se produit pendant la saison des pluies et l’ablation à longueur d’année tout en dépendant des conditions climatiques. Il ressort de l’inventaire que pour cette zone l’ablation sera plus forte pendant la saison des pluies du fait de l’humidité et de la hausse de la température.

Un autre élément important est l’altitude des glaciers du Pérou. La hauteur des montagnes fait que l’atmosphère se refroidit à mesure que l’on se rapproche du sommet et la condensation de l’air provoque la formation de nuages qui déversent de la neige au sommet.

C’est important, explique le chercheur de l’INAIGEM, parce que les glaciers à basse altitude seront encore plus vulnérables que ceux situés dans les hauteurs. « On sait que tous les glaciers ou les zones enneigées à moins de 5 500 mètres d’altitude sont beaucoup plus vulnérables au changement climatique et risquent donc davantage de disparaître à court terme », affirme-t-il.

Mais tout ne dépend pas de l’altitude, parce c’est justement dans les hauteurs que se pose un autre problème : la concentration de suie, aussi connue sous le nom de noir de carbone, produite par l’utilisation de combustibles fossiles et d’autres activités humaines. Toutes ces particules en suspension créent un effet totalement contraire au travail de réflexion de la lumière par la neige. La suie attire fortement la chaleur vers les glaciers, favorisant ainsi l’accélération de leur fonte, selon les données du Système national d’information environnementale (Sinia) du Pérou.

Plus d’eau, mais sera-t-elle meilleure ?

Un autre indicateur de la fonte des glaciers est l’eau qui se déverse dans les lacs existants ou qui forme de nouveaux lacs, chose qui, aussi bizarre que cela puisse paraître, n’est bonne pour personne. En septembre dernier, le ministère de l’environnemental du Pérou a annoncé la formation de 3 000 nouveaux lacs, conséquence de la fonte des glaciers sous l’effet du changement climatique.

On peut logiquement trouver bon que la glace des montagnes fonde et descende jusqu’à nous, surtout en ces temps de sécheresses extrêmes, comme celle de l’an passé. Mais ce serait une gageure de la stocker, surtout quand on sait que, généralement, les glaciers s’écoulent également vers les océans ; autrement dit, il se peut que l’eau douce se perde dans l’immensité de la mer salée, ce qui signifierait une perte considérable d’eau potable et propre à la satisfaction de nos besoins alimentaires.

« Le rétrécissement des glaciers pourrait également nuire à la qualité de l’eau destinée à la consommation des humains et du bétail », affirme Anicama. Même si le stockage était possible, il faudrait faire attention à la qualité de l’eau car une fois que les glaciers ont commencé à fondre, sont libérés divers composés chimiques nocifs pour notre santé.

Plusieurs études corroborent la présence de métaux lourds dans la neige des glaciers à travers le monde. Une d’elles, parue en 2022, fait état de plomb et d’arsenic dans les échantillons extraits de la neige qui recouvre le glacier Huaytapallana.

Cela s’explique, selon un mémoire de recherche de 2022, par le fait que, lorsque la neige fond et la roche de la montagne se trouve exposée, les minéraux réagissent de telle façon qu’ils se dissolvent, et modifient alors le pH de l’eau et la maintiennent acide.

Même s’il est dit dans ce document que le plomb et l’arsenic sont inoffensifs en faibles quantités, il s’agit de composés qui peuvent atteindre notre sang et provoquer des vomissements, des douleurs abdominales, de diarrhées, des lésions de la peau, voire une diminution des capacités cognitives.

Autres conséquences

D’autres facteurs liés au dégel pourraient nous porter gravement préjudice en cas de disparition des glaciers dans les prochaines années. Et la raison en est que ces structures « sont extrêmement utiles à la régulation des écosystèmes, non seulement pour le système naturel mais aussi pour le système écologique, c’est-à-dire pour que différentes entités puissent cohabiter, la flore comme la faune », assure Anicama.

Cela signifie que si les glaciers disparaissent, il n’y aura plus les réserves d’eau douce qui alimentent régulièrement les bassins où s’approvisionnent des centaines de familles péruviennes. En conséquence, elles ne pourraient pas non plus élever du bétail ni cultiver.

La perte des glaciers est un processus qu’analyseront divers scientifiques spécialisés. « Quand il faudra leur dire adieu, il sera intéressant d’étudier la situation aussi sur le plan sociologique pour comprendre ce qui se passera dans notre société à la disparition des glaciers parce que, dans notre histoire environnemental, nous avons des références, des perceptions, des visions de ce que sont un séisme, une inondation, une sécheresse, alors qu’il n’y a pas de précédent de la perte de glaciers », analyse Anicama.

D’autre part, le risque de catastrophes existe. Chaque fois qu’un morceau de glacier monumental se détache, les personnes qui vivent à proximité ou qui sont en visite se retrouvent ensevelies sous d’immenses couches de glace.

La cordillère Blanche, par exemple, est cataloguée comme étant celle qui a connu le plus grand nombre de catastrophes d’origine glaciaire depuis 1702. Les 32 accidents enregistrés par le gouvernement péruvien ont provoqué la mort de milliers de personnes ainsi que la destruction de maisons et de cultures.

À ce jour, des spécialistes comme Jesús Gómez peuvent déjà dire que l’on a perdu 53% des glaciers péruviens en 54 ans. Avec le changement climatique qui agit sur l’évolution du climat et des interactions des écosystèmes, il est difficile de savoir avec exactitude quand nous nous retrouverons sans glaciers.

Une chose est sûre : « Leur rétrécissement se poursuivra tant que les conditions climatiques resteront les mêmes qu’aujourd’hui », prévient le spécialiste.

L’INAIGEM a produit en 2018 des projections et proposé des estimations sur les années où devraient disparaître les glaciers des cordillères péruviennes : cordillère Chila en 2021, cordillère Chonta en 2023, cordillères La Viuda et Huanzo en 2024, cordillère La Raya en 2031, cordillère Urubamba en 2034, cordillère de Carabaya en 2038, cordillère Huallanca en 2039, cordillère Huaytapallana en 2040, cordillères Huagoruncho et de Vilcabamba en 2042, cordillère Centrale en 2048, cordillère Ampato en 2052, cordillère Raura en 2056, cordillère Apolobamba en 2066, cordillère de Vilcanota en 2075, cordillère Huayhuash en 2099 et cordillère Blanche en 2111.

Il semblerait que l’on puisse faire très peu de choses pour sauver les glaciers alors que, en réalité, il est possible d’adopter des lignes directrices pour protéger la masse de glace qu’ils contiennent encore, par exemple en utilisant au minimum les combustibles fossiles afin d’éviter que les températures continuent de grimper. D’autre part, il convient aussi de rechercher des stratégies d’adaptation face à la situation d’une déglaciation qui paraît inéluctable.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3657.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : Salud con lupa, 2 février 2023.

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[1Voir « Glacier Blanc : l’année de tous les records », 2 novembre 2022, https://www.ecrins-parcnational.fr/actualite/glacier-blanc-annee-records.

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