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DIAL 2771

AMÉRIQUE CENTRALE - « Pourquoi nous disons non à la ratification du Traité de libre-échange entre les États-Unis, l’Amérique centrale et la République dominicaine »

Commission sociale des jésuites d’Amérique centrale

samedi 1er janvier 2005, mis en ligne par Dial

Dans le même esprit que la déclaration faite en 1996 par les jésuites d’Amérique latine sur le néolibéralisme  [1], mais dans une perspective plus limitée et plus concrète, la Commission sociale des jésuites appartenant à la province d’Amérique centrale vient de se prononcer publiquement contre la ratification du traité entre les Etats-Unis et l’Amérique centrale, traité qui concerne également la République dominicaine. Ils dénoncent particulièrement la priorité accordée aux multinationales sur le bien commun des populations d’Amérique centrale, le traitement inégalitaire dont ces pays font l’objet dans les échanges commerciaux, l’absence de prise en considération des migrants, etc. Pour les jésuites, il est encore temps de refuser un tel traité afin qu’« un autre monde soit possible ».


Après un important débat entre divers secteurs, qui a donné lieu à des arguments aussi bien favorables qu’opposés, nous rendons publique notre conviction que le texte actuel du Traité de libre-échange entre les Etats-Unis, l’Amérique centrale et la République dominicaine ne doit pas être ratifié.

Nous sommes en faveur d’un processus de négociation commerciale à l’intérieur des Amériques qui soit très attentif aux grandes asymétries et inégalités des pays. Nous sommes en faveur d’un processus graduel, qui assume la mondialisation de la solidarité et ne consacre pas la situation actuelle insoutenable de misère et de pauvreté massives. Nous sommes en faveur d’un processus d’intégration et de pactes économiques et politiques entre les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, qui nous rendent plus forts pour pouvoir négocier avec le Canada et les Etats-Unis, ainsi qu’avec l’Union européenne et le Japon. Nous sommes en faveur de négociations globales à l’OMC, qui adoptent un point de vue équitable.

Le CAFTA+RD (Central American Free Trade Agreement - Accord de libre-échange avec l’Amérique centrale, plus la République dominicaine) traite de la libéralisation des droits d’investissements étrangers directs, qui sont spécialement ceux des entreprises multinationales et du capital financier. De plus, il traite des droits de propriété intellectuelle, de libéralisation des achats effectués par les pouvoirs publics, d’approfondissement de la privatisation des services publics, de la libre circulation et du droit au travail des responsables et des techniciens des entreprises. Mais il ne fait aucune proposition concernant le phénomène global des travailleurs migrants : libre circulation, travailleurs temporaires, travailleurs sans papiers aux Etats-Unis, entre autres. De plus, la résolution des conflits entre les Etats-Unis et les entreprises reste entre les mains de tables rondes d’arbitrage internationaux dont les membres seront nommés par l’Organisation mondiale du commerce ou la Banque mondiale. Mais la résolution des conflits du travail n’est pas soumise à l’Organisation internationale du travail, pas plus que les controverses sur l’environnement ne sont soumises au Protocole de Kyoto, uniquement parce que les Etats-Unis ne l’ont pas signé.

L’Amérique centrale peut aujourd’hui exporter aux Etats-Unis du sucre, des textiles, des vêtements, grâce aux privilèges concédés dans l’Initiative du bassin des Caraïbes et dans le Système général de préférences. Et elle a dû négocier le Traité de libre-échange en courant le risque de perdre ces privilèges si la négociation n’aboutissait pas. L’Amérique centrale a dû ouvrir ses marchés aux grains de base produits par les États-Unis, tandis que cette même nation n’a pas accepté de négocier la diminution ou la suppression des aides à la production et à l’exportation de ces grains de base. Le CAFTA maintient les barrières douanières n’entraînant pas un paiement de droits (sanitaires et phytosanitaires), et l’Amérique centrale se trouve dans une situation d’infériorité technologique pour les appliquer. A tout cela s’ajoutent aujourd’hui les imprévisibles barrières antiterroristes.

Ce n’est pas la route à suivre. Les Etats centraméricains doivent se doter de lois anti-dumping (contre les prix artificiellement bas) qui protègent leur agriculture et renforcent la souveraineté alimentaire, empêchant une concurrence déloyale sur le marché entre des aliments subventionnés et des produits ne provenant que de la sueur des paysans.

N’est pas négociable la concession de la production et de la distribution de médicaments génériques et leur concurrence sur le marché avec les médicaments de marque, parce que la santé et la vie des personnes sont au-dessus des droits des brevets des multinationales chimiques, biogénétiques ou pharmaceutiques.

Tout traité de libre-échange doit se négocier en ayant en vue la libre circulation des travailleurs, les droits concernant la migration et l’amélioration de la situation des travailleurs migrants. Pour que les personnes ne soient pas contraintes d’émigrer, les Etats les plus développés doivent mettre au service de ceux qui sont moins développés la technologie qui permet de produire de façon plus efficace et effective, et les habiliter pour qu’ils puissent en faire usage. Le transfert de technologie et l’articulation des investissements sur le reste de l’économie de nos pays devraient être des exigences normales posées par les Etats.

Il n’est pas possible d’accepter le présupposé doctrinaire non déclaré des traités de libre-échange, à savoir que l’Etat doit intervenir en se mettant au service non du bien commun mais des entreprises multinationales et de leurs investissements. Avec la doctrine sociale de l’Eglise, nous pensons également que, dans le nouveau capitalisme d’aujourd’hui, « il est du devoir de l’Etat de promouvoir la défense et la protection des biens collectifs, comme le sont l’environnement naturel et l’environnement humain, dont la sauvegarde ne peut pas être assurée par les simples mécanismes du marché... Des besoins collectifs et qualitatifs existent qui ne peuvent pas être satisfaits par les mécanismes du marché (et) qui échappent à sa logique ; il y a des biens qui, par leur nature, ne peuvent pas et ne doivent pas se vendre ou être achetés » (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 1991). L’eau, la santé, la sécurité alimentaire, l’environnement, l’éducation, la sécurité sociale, les pensions et les retraites font partie de ces biens collectifs.

Les Etats centraméricains pourront mieux négocier s’ils appuient la stratégie d’intégration de l’Amérique latine et, à partir de cette force donnée par l’unité, négocier avec les Etats-Unis et le reste du monde à l’Organisation mondiale du commerce. Le Traité de libre-échange peut encore ne pas être ratifié et être combattu comme inconstitutionnel. Pour cette raison, nous nous unissons à beaucoup d’autres secteurs centraméricains pour renforcer le NON et rendre plus forte l’unité des peuples pour que devienne réel le rêve qu’ « un autre monde est possible ».

Francisco Iznardo s.j., Coordinateur de l’apostolat social

Ismael Moreno s.j., Secrétaire apostolique


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2771.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Commission sociale des jésuites d’Amérique centrale

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[1Cf. texte intégral dans Dial
D 2131.

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