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DIAL 2276

MEXIQUE - Indianité et catholicisme

Luis Hernández Navarro

lundi 1er février 1999, mis en ligne par Dial

Face à l’émergence des peuples indigènes, la majorité des hommes politiques latino-américains restent rivés à une vision dépassée de l’État-nation, alors que l’Église catholique a évolué au point que les indigènes sont devenus pour elle des interlocuteurs avec lesquels elle maintient un dialogue interculturel et dont elle défend les droits. Article de Luis Hernández Navarro, paru dans La Jornada, 26 janvier 1999 (Mexique).


L’exhortation apostolique l’Église en Amérique a rendu manifeste l’avantage relatif de l’Église catholique sur les élites dirigeantes du continent en ce qui concerne la question ethnique. Sa compréhension de ce qui est en jeu est bien meilleure que celle qui existe dans les circuits de la politique institutionnelle. Sa reconnaissance du fait que les peuples indiens sont les peuples originaires et son invitation à respecter leurs terres et les accords conclus sont en harmonie avec le programme du mouvement indigène.

À l’heure des droits, de la mobilisation politique sur des bases ethniques et de la gestation d’une pensée politique propre au monde indien en Amérique latine, l’institution ecclésiale a un enracinement social et un diagnostic sur les situations qui la placent sur un terrain privilégié pour comprendre ce phénomène nouveau. Par contre, les classes dirigeantes du continent sont trop compromises dans les politiques d’ajustement et de stabilisation. Elles sont ancrées dans une vision qui fait du métissage le destin final des peuples qui forment l’Amérique hispanique. Il leur est difficile de comprendre ce qui est en jeu dans la nouvelle lutte indienne.

Les relations entre le monde indien et l’Église catholique sont loin d’être simples et harmonieuses, et les hommes d’Église qui ont contribué à modifier radicalement cette situation ont été souvent critiqués à l’intérieur de leur institution. Une partie des nouveaux leaders indigènes considèrent que le travail d’évangélisation est ethnocide car il porte atteinte à la cosmovision, aux croyances, aux coutumes sociales et aux formes d’organisation de leurs peuples.

Le pape Jean-Paul II lui-même a ressenti ce désaccord dans sa propre chair. Au cours de sa visite au Pérou en 1985, un groupe d’indigènes lui remit la Bible en lui disant : « Au cours de cinq siècles, elle ne nous a apporté ni amour, ni paix, ni justice. S’il vous plaît, prenez votre Bible et remettez-la de nouveau à nos oppresseurs parce qu’ils ont plus besoin que nous de ses préceptes moraux. En effet, depuis l’arrivée de Christophe Colomb, on a imposé à l’Amérique, avec force, une culture, une langue, une religion et des valeurs propres à l’Europe. »

Dans le monde indien, un pluralisme religieux inhabituel s’est développé au cours des quatre dernières décennies. Au côté du catholicisme se sont développées des Églises chrétiennes différentes, des dénominations parachrétiennes et on a retrouvé les religions traditionnelles. Le célibat des prêtres n’a pas aidé à maintenir vivant l’appel du catholicisme à l’intérieur des cultures car pour celles-ci l’autorité est liée à l’accomplissement de responsabilités familiales. Les changements profonds qu’ont vécu les communautés indigènes à la suite des effets produits par l’économie de marché, les moyens de communication, la construction des routes, la scolarisation et la réforme agraire ont trouvé dans la religiosité un lieu privilégié pour s’exprimer. L’influence de l’Église catholique dans ces populations a diminué.

Dans la gestation de ce nouveau mouvement indigène, l’institution ecclésiale a joué un rôle fort important. La conversion des catéchistes en animateurs et organisateurs populaires est un phénomène qui dépasse les frontières du diocèse de San Cristóbal de Las Casas. Avant que la théologie de la libération ne connaisse l’élan qui fut le sien, le travail social des différentes paroisses avait déjà construit les bases des organisations revendicatives. Cependant, la majorité de ces mouvements s’est laïcisée à tel point que, sans renoncer à leur foi, les dirigeants indigènes, devenus une force autonome, agissent en dehors de l’autorité ecclésiale.

L’Église catholique a également subi une transformation significative au cours de ces années. Entre la seconde Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, célébrée à Medellín, Colombie, en 1968, et la 4ème Conférence qui s’est déroulée en 1992 à Saint-Domingue, un grand changement s’est produit dans sa vision de la réalité indigène. Les Indiens ont cessé d’être ceux qui devaient être libérés de leurs préjugés et superstitions, de leurs complexes et inhibitions, de leurs fanatismes, de leur incompréhension craintive du monde, de leur manque de confiance et de leur passivité. Ils sont devenus la base de la culture actuelle, les promoteurs d’un projet de vie qui doit être connu et encouragé, comme exemple à suivre, afin que l’on apprenne d’eux leur façon de vivre dans la sobriété, leur sagesse en ce qui concerne la préservation de la nature, leur mentalité concernant la valeur de la terre. À partir de Saint-Domingue, les indigènes sont des interlocuteurs dans l’Église, avec lesquels on doit, entre égaux, maintenir un dialogue interculturel.

L’émergence vigoureuse de l’indigène comme acteur déterminé est la donnée centrale qui explique les transformations à l’intérieur de la doctrine et de l’Église catholique. Bien que les résistances aux changements persistent, certains membres hiérarchiques de l’institution s’en sont rendus compte. Il n’en a pas été de même pour la majorité des hommes politiques latino-américains. Ils restent rivés à une vision dépassée de l’État-nation.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2276.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : La Jornada, janvier 1999.
 
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