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Lettre du CEFAL n° 65 - juin 2006

BRÉSIL - Soutien de Mgr You à la Pastorale de la terre

vendredi 30 juin 2006, mis en ligne par CEFAL

Xinguara, le 09.05.06

Le 29.04.06, le syndicat rural (des
propriétaires terriens) de Xinguara
a remis une lettre à l’évêque du
Diocèse de Conceição do Araguaia,
Dom Dominique You, pour se plaindre
de l’activité en faveur des sans terre de
la Commission Pastorale de la Terre et
du Frère Henri des Roziers et pour
demander que ce dernier soit déplacé
de la région. La lettre contient également
des menaces voilées contre la
CPT et le Frère Henri au cas où les
revendications qu’elle présente ne
seraient pas acceptées.
Le 07.05.06, Dom Dominique a publié
une lettre ouverte pour défendre la CPT
et le Frère Henri.

CPT Xinguara


Lettre ouverte de Dom Dominique à
la paroisse de Xinguara

Xinguara le 7 mai 2006.

En ce jour de la fête de Saint Joseph
Charpentier, nous voulons donner toute
sa valeur à la dignité du travail par
lequel un homme ou une femme fait
don de sa vie à ses fils et ses filles ou
encore à la communauté ou à la société.

Aujourd’hui, nous ne pouvons oublier
les tristes événements qui, au cours de
ces dernières semaines, ont affecté
cruellement la commune de Xinguara
en atteignant plusieurs centaines de
familles qui sont privées du droit de travailler,
dès lors que leur est refusé celui
d’accéder à la terre.

Je tiens aujourd’hui à exprimer publiquement
la reconnaissance du diocèse
de Conceição do Araguaia pour l’activité
de la CPT en faveur des plus
pauvres.

La CPT est liée à la CNBB (Conférence
Nationale des Evêques du Brésil) pour
assurer, sur les pas de Jésus le Bon
Pasteur, une présence qui aide les travailleurs
ruraux à défendre leur droit à
la terre ou à demeurer sur celle-ci. A
leur côté, la CPT défend leur droit à
faire vivre leurs familles de leur travail,
ainsi que le respect qui est dû à leur
dignité.

Avec les autres pastorales agissant
dans d’autres domaines, la CPT a également
la mission de s’efforcer d’impliquer
l’ensemble de la communauté et
de la société dans cette cause.
A Xinguara, lors de tous les épisodes
difficiles, c’est la personne de Frère
Henri et celles de ses collaborateurs qui
ont été les témoins de la présence de
Jésus auprès de ceux qui souffrent de
ces conflits de la terre.

Ainsi que l’a fait Jésus, notre frère ne
donne pas pour vrai ce qui est faux, ni
pour faux ce qui est vrai. Il marche dans
la vérité et pour cela même est vainqueur
de la mort.

Un chrétien ne peut d’un côté reconnaître,
représenté sur un crucifix de bois le
Seigneur qu’il aime, puis, quelques
instants plus tard, s’étant retourné et sorti
de l’église, omettre de le reconnaître en
la personne de ceux qui aujourd’hui sont
atteints par la même exclusion, la même
négation de leur dignité… Ce serait un
mensonge et une tromperie de plus.
Le combat que notre frère mène – toujours
dans les limites de la légalité –
contre l’impunité est un combat contre
les racines de la corruption.
En effet, l’impunité
démultiplie l’injustice.
Elle est la pire des incitations
qui puisse exister : l’incitation à persévérer
dans le crime.
Son action auprès des
« sans défense » de la
campagne est un motif
de fierté pour les chrétiens,
pour ceux qui
cherchent la justice et
veulent voir le règne de
Dieu changer la face de
notre monde.

Je sais que le 19 mai
prochain, un titre de
plus sera attribué à ce combattant de la
justice sans laquelle il n’est pas de Paix
véritable. Le titre de Citoyen d’Honneur
de la ville de Xinguara. Xinguara rejoint
ainsi les nombreuses collectivités et
instances nationales et internationales
qui reconnaissent les mérites de leur
contemporain.

Félicitations Xinguara.

Félicitations Frère Henri.

Dom Dominique You
Evêque du diocèse
de la Très Sainte Conceição
do Araguaia.


Prise de position publique

Diocèse
de la Très Sainte Conceição
do Araguaia.

En commémorant ces jours derniers le
premier mois de ma présence au siège
du Diocèse de la Très Sainte Conceição
do Araguaia, me viennent à la mémoire
des paroles du Pape Benoît XVI qui m’a
demandé d’être un « Maître spirituel sur
les chemins de l’Evangile ». Face aux
événements qui, ce moi-ci, ont entraîné
l’expulsion (ndtr : de terres qu’ils occupaient)
de plus de 600 familles sur le
territoire du diocèse, ce qui représente
environ 1 % de sa population, le Christ
me pousse à exprimer publiquement
la position de l’Eglise sur la problématique
de la terre et la recherche d’une
meilleure répartition de celle-ci.

Quand le sens des choses se perd,
on en devient l’esclave…

Dans la société dans laquelle nous
vivons, on peut dire ou faire tout ce qu’on
veut. Il s’en suit qu’on ne comprend plus
le sens de ce que l’on fait. Le sens, la
signification et l’importance des valeurs
se perdent alors que ce sont elles qui
font que l’existence humaine est différente
de celle d’un animal et est supérieure
à celle d’un esclave.

Les choses ne sont plus évaluées que
par rapport à deux des nouvelles idoles
du monde globalisé : la valeur marchande
et le plaisir qu’en retirent quelques
uns. Ainsi, des valeurs qui ont une
importance fondamentale se transforment
en simple marchandise au service
de ces faux dieux. La santé par exemple.
Il s’agit d’un droit qui a été conquis
après beaucoup de luttes. Nous voyons
pourtant qu’aujourd’hui elle devient une
industrie lucrative. L’embryon devient
une marchandise, la personne âgée un
fardeau.

Quand se perd ainsi le sens des choses,
on entre dans un nouvel esclavage,
sous la coupe de ces idoles qui
imposent leurs priorités arbitraires.
Notre peuple, façonné par l’expérience
de la foi et de la souffrance, éprouve
Soutien de Mgr Dominique You à la Pastorale de la terre au Brésil
Travailleurs de la canne à sucre.
Nordeste du Brésil.

cela dans sa chair ; privé des valeurs
fondamentales sa dignité de personne
humaine se trouve mutilée. Pour notre
peuple, ces valeurs sont des dons de
Dieu à l’homme, même quand elles ont
été conquises de haute lutte…

La terre n’est pas un bien comme les
autres

La terre est précisément une de ces
valeurs fondamentales. Chacun de
nous en éprouve l’importance à sa
façon : elle est le terrain sur lequel est
construite ma demeure et qui est le
garant de ma stabilité, elle est le lopin
de terre sur lequel je travaille et qui est
le garant de ma liberté, lopin de terre
que je transmettrai à mes enfants…
Tous nous percevons combien la terre
est plus qu’une marchandise, beaucoup
plus qu’un objet de spéculation et
de lucre. On ne peut en refuser l’accès
à l’homme et à la femme sans porter
atteinte à leur dignité humaine. Nous ne
pouvons pas laisser la terre se banaliser.
Cette expérience est confirmée
avec force par la parole de Dieu. Celleci
nous révèle que Dieu est un Père infiniment
bon qui invite tous ses fils et ses
filles à s’asseoir à la table de la vie. Il
nous apprend à vivre ensemble en faisant
usage de ses dons répartis entre
tous, sans convoiter le bien d’autrui.
(Gn1, 23-30 et Dt, 5, 18). L’Eglise affirme
ainsi fermement deux convictions :
Dieu donne la terre à tous et, en même
temps, chacun peut recevoir l’usage
d’une propriété privée.

Le propre de la sagesse est de savoir
rester en harmonie avec ces deux affirmations,
en mettant en relief le fait que
la propriété privée des biens de la
terre est au service de leur utilité
sociale et non pas sans lien avec
celle-ci. La propriété privée doit être
vécue non comme un obstacle au
partage des biens, mais comme un
moyen pour mettre en œuvre leur utilité
sociale.

La force de la loi qui règle la possession
et l’usage des biens, celle du pouvoir
judiciaire qui en assure l’application,
celle du pouvoir exécutif qui la fait
connaître et la protège, toutes sont au
service de cet équilibre que la sagesse
nous fait découvrir. Chaque membre de
la communauté humaine accomplit sa
mission quand il se positionne au service
de la paix sociale véritable, fondée
sur le respect intégral du droit.
De l’équilibre entre ces deux principes,
l’Eglise a depuis toujours déduit les
conséquences suivantes qui ont été
reprises en 1997, dans le document du
Conseil Pontifical « Justice et Paix »,
intitulé « Pour une meilleure répartition
de la terre ».

Dans le § 25
 Personne n’a le droit de priver de
la jouissance de la terre quelqu’un
qui en a l’usage, ce serait violer
un droit divin. Pas même un roi ne
peut le faire.
 Par ailleurs, toute forme de possession
absolue et arbitraire,
exclusivement au service d’intérêts
privés est interdite : on ne
peut pas disposer à sa guise des
biens que Dieu a donné à tous.

Dans le § 27
 Le processus de concentration de
la propriété foncière, qui empêche
une grande partie de l’humanité
de profiter des fruits de la terre,
est un scandale qui heurte la
volonté et le dessein de Dieu de
sauver le monde.

Le § 31 poursuit en faisant l’analyse de
la situation actuelle.
 Il condamne l’expulsion des paysans
des terres qu’ils cultivent,
sans que leur soit assuré le droit
de recevoir ce qu’il leur est nécessaire
pour vivre.
 Il reconnaît les occupations de terres
incultes par des paysans qui
n’en sont pas propriétaires,
lorsque ceux-ci vivent dans une
situation d’extrême indigence. En
effet, quiconque se trouve en
situation d’extrême pauvreté a le
droit de prélever sur la richesse
des autres ce dont il a besoin pour
lui.

Dans le § 44
 L’occupation de terres est, dans
de très nombreux cas, la manifestation
d’une situation intolérable et
déplorable sur le plan moral. Elle
est un signal d’alarme qui exige
que soient prises des mesures
efficaces et justes au niveau
social et politique. Le retard et le
report à plus tard de la réforme
agraire retirent toute crédibilité
aux actions gouvernementales de
dénonciation et de répression des
occupations de terre.

Accueillir la liberté qui vient de la
vérité

Ma conviction est que le problème
social brésilien trouvera sa solution par
l’évangélisation. L’action évangélisatrice
de l’Eglise avance, à côté de Notre
Seigneur Jésus Christ, de différentes
manières : celle de la présence auprès
des petits et des humbles, tout particulièrement
de ceux qui souffrent de l’injustice
et avec lesquels Il s’identifie ;
celle de la condamnation courageuse
accompagnée d’actions prophétiques,
susceptibles d’influencer, pour la renouveler,
la façon de penser de notre société ; celle de la formation patiente de la
conscience chrétienne. C’est cela qui
montrera à notre Peuple le chemin pour
que la Parole de Dieu et non pas des
idoles illusoires et éphémères, nous
conduise tous au bonheur véritable.

En effet, Dieu désire pour nous quelque
chose de grand : Son Royaume de justice
et d’amour est aussi le nôtre. Notre
marche de Peuple de Dieu, dans la
Bible et dans l’Eglise, s’enracine dans
une multitude d’hommes et de femmes,
fils de rois ou de pauvres, qui ont
accueilli la Lumière de la vérité et sont
glorifiés d’être appelés chrétiens, rejetant
tout ce qui s’y opposait pour s’ouvrir
à tout ce qui pouvait l’honorer.

Ils vécurent non pas esclaves des idoles
de leurs époques, mais fils et filles
de Dieu. Ils ont reçu du Christ, avec
lequel ils communiaient chaque jour par
l’écoute de la Parole et par l’Eucharistie,
la véritable liberté qui vient de la
vérité. Les peuples savent leur témoigner
la gratitude qu’ils méritent et Dieu
les comble pour l’éternité de son
Amour. Depuis toujours, l’appui de
notre Eglise et notre communion englobent
tous ceux qui s’efforcent de vivre
dans ce monde conformément à la
sagesse et la justice que la Parole nous
révèle.

Le chrétien qui s’engage à annoncer et
à vivre cette Parole ne sait pas si elle
sera acceptée ou rejetée. Il sait cependant
que, même rejetée momentanément,
elle le fait participer au Mystère
de la Croix, elle le fait participer également
à la Victoire de son Amour.

Que Dieu nous donne à tous et à toutes
cette grâce et que l’Immaculée nous
accompagne.

Conceição do Araguaia le 25 avril 2006

Dom Dominique You
Evêque diocèsain.


Comité épiscopal France Amérique latine (CEFAL) - Lettre 65 - juin 2006.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source (Lettre du CEFAL) et l’adresse internet de l’article.

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Messages

  • Cher Dom Dominique !!!!

    Je rends grâce au Seigneur pour le bien que tu fait aux plus petits dans cet terre de mission !!Tu me manque beaucoup...je te garde dans ma prière !!!J’espère que tout va bien avec toi et Suraya...Moi je suis très heureuse au Pérou,je suis partir pour une mission de deux avec Fidesco, je suis très heureuse là où le Seigneur a voulu !!!(après mon année en France où j’ai vécu de très belles choses),le Seigneur est fidèle,je suis témoin de ça !

    Je te souhaite d’avantage un très bonne année 2010,bonne préparation au carême...Que le bon Dieu te garde et te comble de toute bien dans cet terre !!

    De uma menina dos Alagados !!
    Cris

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