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PANAMÁ - Un point d’inflexion dans la lutte

Abdiel Rodríguez Reyes

vendredi 2 septembre 2022, mis en ligne par Françoise Couëdel

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28 juillet 2022 - Le peuple panaméen, dans sa clairvoyance, a désormais cessé de croire dans le modèle néolibéral, instauré il y a plus de quatre décennies, et dans le système des partis imposé par l’invasion étatsunienne, en 1989.

Le mouvement social, populaire, paysan et des peuples indiens est parvenu à asseoir le gouvernement autour d’une table unique de dialogue, MUD (Mesa unida de dialogo) grâce à la médiation de l’Archidiocèse de Panamá. Fait inédit dans notre histoire récente, de larges secteurs de la société, aux intérêts divers, sont parvenus à obtenir cette réunion avec le gouvernement, respectant l’équité, pour trouver des solutions aux besoins de la population, concernant l’alimentation, le coût de certains services, les améliorations de l’éducation et l’accès aux médicaments.

Cette MUD et tout ce qu’elle a obtenu grâce au consensus, sont un succès du mouvement social, populaire, paysan et des peuples indiens. De lui-même le gouvernement ne se serait pas assis en face du peuple, n’aurait pas apporté de réponses satisfaisantes aux revendications. Les gouvernements ont tout simplement leurs agendas et tous les cinq ans instrumentalisent la démocratie. Nous sommes arrivés à un point d’inflexion de la lutte. Le peuple, clairvoyant, a désormais cessé de croire dans le modèle néolibéral, instauré depuis déjà plus de quatre décennies et selon le système des partis imposé par les États-Unis en 1989.
Dans un article récent, Claire Nevache du CIEPS (Centro internacional de estudios politicos y sociales [Centre international d’études politiques et sociales]) a décrit les « cinq crises du Panamá », une d’entre elles est la « crise de représentativité et de confiance » ; ainsi l’indignation généralisée des gens dans la rue n’a rien de surprenant, parce qu’ils n’ont tout simplement pas confiance dans ceux qui gouvernent.

Le 19 juillet 2022, la route interaméricaine, à la hauteur de Veraguas, a été la proie des flammes pendant plusieurs heures. Ce fut une insurrection de courte durée. Le président de la République a pris la parole deux jours plus tard à Coclé, mais sans donner plus de détails, pour annoncer seulement qu’il chargeait une équipe du Gouvernement de négocier, au Centre du Christ rédempteur à Penonomé, sous la coordination du vice-président depuis l’hôtel Coclé. Le 21 juillet la MUD a ouvert les débats, après deux tentatives de dialogue infructueux, venant de Chiriquí et de Veraguas. Les thèmes prioritaires de la MUD sont « 1- baisse et gel du prix du panier de la ménagère sans qu’il affecte le producteur national, 2-baisse et gel des prix des combustibles, 3- baisse et fourniture de médicaments dans les CSS et MINSA (caisses de Sécurité sociale et Ministère de la santé), et pas de privatisation, ; 4- application de la loi du 6% du PIB, pour l’éducation , 5- baisse du prix de l’énergie , 6- débat concernant la CSS7 et le MINSA , corruption et transparence, 8- table de négociation paritaire avec suivi.

Ces points supposeraient de meilleures conditions de vie pour toute la population. Si nous écoutons les revendications de la MUD, nous voyons à quel point le gouvernement peine à les entendre. Il le fait sous la pression mais pas de sa propre volonté. Pour cette raison, quand on parle de la « volonté du gouvernement national » de résoudre les problèmes, c’est purement déclaratif car ce n’est réellement pas sa volonté, c’est uniquement sous la pression des mouvements sociaux, populaires, paysans et de peuples indiens qu’il le fait. Cela explique le peu de confiance dans le système des partis et la nécessité de démocratiser la démocratie, car telle qu’elle est elle ne répond pas aux intérêts des majorités.

Il est naturel que les chefs d’entreprise veillent à leurs intérêts financiers. Il ne pourrait pas en être autrement. Néanmoins, quelques fonctionnaires, chefs d’entreprise, analystes et journaliste non seulement le font ce qui est naturel, il semble en outre qu’ils soient encore en pleine guerre froide. Tandis que la MUD s’appuie sur le besoin de créer techniquement les conditions pour de meilleures conditions de vie, certains tentent d’infuser la peur dans la population. Ces porte-paroles reproduisent un discours idéologique, je veux dire qu’ils reproduisent les idées dominantes des secteurs dominants.

Selon leurs propres communiqués et leurs porte-paroles, leurs intérêts sont « la libre entreprise », « la libre circulation », « l’ouverture immédiate comme base de dialogue », « l’ouverture des voies de transport » et « l’élimination des fermetures » : ce sont les préoccupations du secteur entrepreneurial ; et dans une moindre mesure aussi, ils évoquent le besoin d’un « dialogue transparent » et « l’établissement de mécanismes » qui garantissent que les engagements qu’ils prendront soient viables, mesurables et, le plus important, mis en application.

Ils ne parlent pas de l’évasion fiscale par millions, ni des marges bénéficiaires énormes. Nous entendons aussi un discours propre à la guerre froide comme « le néo-communisme qu’une minorité veut imposer » et même que « tous les communistes doivent être neutralisés ». Ils disqualifient ceux qui pensent différemment, les stigmatisent, sans apporter aucune explication objective sur ce qui se passe et encore moins de solutions concrètes.

Il est important de dire à ceux qui promeuvent la guerre froide que l’intervention de l’État est une proposition keynésienne et pas nécessairement communiste. Ceux qui sont assis à la table du mouvement social, populaire, paysan et des peuples indiens, veulent quelque chose, certes : de meilleures conditions de vie ! D’un autre côté il est question de sacrifice. Que chacun doit porter sa part de sacrifice. Qu’est-ce qu’un sacrifice ? Certains disent que c’est « une offrande à une déité », « l’exécution d’une personne », « un acte d’abnégation… par amour ». Comment interpréter cela ? Qui doit se sacrifier ? Le peuple en a assez de se sacrifier, plus encore, il ne doit plus se sacrifier et c’est pour cela qu’il est dans la rue.

Ceux qui constituent la MUD ne demandent aucun sacrifice à personne, ils demandent au gouvernement qu’il fasse son travail : recouvrer les impôts de manière transparente, et réaliser un meilleur investissement dans le social pour améliorer les conditions de vie de la population. Certains fonctionnaires, chefs d’entreprise, analystes, journalistes, semble vénérer ce que Franz Hinkelammert nomme « le fétiche de la sacralisation du marché ». C’est-à-dire, nous devons lui offrir des sacrifices pour donner la vie au marché.

Olmedo Beluche dans un article récent très justement a relevé les problèmes structuraux de la crise du pays. Maribel Gordon dans la MUD a abondé dans cette direction, et demandé si le Gouvernement veut résoudre les causes ou les effets des problèmes. C’est là le nœud du problème.

De toute évidence le Gouvernement, dans le meilleur des cas, veut s’occuper des effets du problème. C’est au mouvement social qu’il reviendra d’imposer un agenda politique pour débattre de ses causes ; ce mouvement est dans son droit et c’est en outre de sa responsabilité historique de le faire. Démocratiser la démocratie c’est cela, non la caricature d’une démocratie qui fonctionne selon les intérêts de l’establishment, dans laquelle seul un petit groupe décide au nom des millions de Panaméens et de panaméennes comment doivent être réparties nos ressources.

Nous sommes à un moment d’inflexion dans la lutte. Déjà le fait que le Gouvernement s’assoit à la même table, dans des conditions similaires, est déjà un triomphe du mouvement social, populaire, paysans et des groupes indiens. Les leçons immédiates pour le moment sont claires, unis le mouvement est plus fort et pour que les revendications soient mieux entendues il faut un programme politique commun. Comme le dirait Machiavel dans les Discours sur la première Décade de Tite Live, ne prêtons pas attention aux tumultes mais plutôt à leurs résultats.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alai.info/panama-un-punto-de-inflexion-en-la-lucha/.

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