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DIAL 3727 - « C’est l’heure des peuples »

COLOMBIE - Discours du président Gustavo Petro devant l’Assemblée générale des Nations unies

vendredi 31 janvier 2025, mis en ligne par Dial

La session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a lieu chaque année à partir de septembre, est souvent l’occasion de prises de parole fortes. On se souvient par exemple du discours retentissant du président vénézuélien Hugo Chávez lors de la 61e session de l’assemblée générale, le 20 septembre 2006. Nous publions ci-dessous celui du président colombien Gustavo Petro lors de la 79e session, mardi 24 septembre 2024.


Nations unies, mardi 24 septembre 2024

Ma fille Antonella Petro vient de m’envoyer un texte par lequel elle souhaite que je commence mon intervention. Je vais donc me permettre de vous le lire. Il s’agit d’un paragraphe écrit par une jeune fille de 15-16 ans, qui dit ceci :

« Aujourd’hui, je suis fier de me présenter devant vous en tant que président du cœur de la terre. C’est ainsi que les Indiens de la Sierra Nevada ont nommé mon beau pays. Géographiquement parlant, il est logique que nous soyons le cœur du monde. Cependant, si nous sommes le cœur, nous devons donner l’exemple en matière d’unité, de paix totale et de préservation de la nature. Si le cœur fonctionne, c’est déjà beaucoup ; cependant, toutes les autres parties du corps sont importantes et si l’une d’entre elles est défaillante, les autres le seront également. C’est pourquoi, du cœur de la terre, nous invitons tous les pays à faire un acte de conscience, à mettre de côté l’avidité qui est en train de tuer l’être humain et la terre mère, et à faire un pas vers la paix totale. »

Voilà, ma fille, j’ai suivi tes instructions ; maintenant, je continue.

Mesdames et Messieurs les présidents du monde,

Dans cette enceinte, la capacité de communication d’un président dépend de la quantité des dollars qui composent son budget, du nombre d’avions de guerre dont il dispose et, au fond, de la capacité de son pays à détruire l’humanité. Le pouvoir qu’exerce tel ou tel pays dans le monde actuel ne dépend plus de son système économique ou politique, ou des idées qu’il défend, mais plutôt de son pouvoir de détruire la vie de l’humanité.

Parler désormais, non plus aux gouvernements, mais aux peuples du monde

Ceux d’entre nous qui n’ont pas ce pouvoir de destruction ; ceux d’entre nous qui, au contraire, ont le pouvoir de maintenir la vie sur la planète, nous parlons sans qu’on nous écoute beaucoup, et peut-être souvent parlons-nous uniquement à nos propres peuples.

C’est pourquoi on ne nous écoute pas quand nous votons pour que cesse le génocide à Gaza, quand bien même nous constituions la majorité des présidents du monde et les représentants de la plus grande partie de l’humanité, on ne nous écoute pas. Une minorité de présidents qui peuvent arrêter les bombardements, c’est-à-dire les présidents des pays qui peuvent détruire l’humanité ne nous écoutent pas.

Si nous demandons que la dette soit convertie en action climatique, les minorités puissantes ne nous écoutent pas. Si nous demandons qu’elles arrêtent les guerres pour que nous nous concentrions sur la transformation rapide de l’économie du monde afin de sauver la vie et l’espèce humaine, elles ne nous écoutent pas non plus. C’est le pouvoir de destruction de la vie qui donne du volume à la voix dans l’enceinte des Nations unies et rassemble la majorité de ses représentants et délégués.

Le glas sonne pour la planète

La voix des nations ici présentes qui demandent d’unir les efforts humains afin de préserver l’existence n’est pas entendue. Dans cette enceinte, nous parlons, mais on nous écoute pas.

Cependant, peut-être ne parlons-nous plus pour être entendus par les présidents du pouvoir mondial, ou pour dialoguer avec eux, mais pour être entendus par les peuples du monde.

Aujourd’hui, la situation est pire qu’il y a un an. 11 000 000 d’hectares de forêt amazonienne ont brûlé en l’espace d’un mois seulement, en raison du réchauffement mondial et la crise climatique. Les scientifiques nous ont averti que si la forêt amazonienne brûlait, nous atteindrions le point de non-retour climatique, où les décisions humaines pour arrêter l’effondrement seraient désormais futiles.

Eh bien, la forêt amazonienne brûle. Le glas sonne déjà sur toute la planète, pour toi, pour nous, pour la vie et pour l’humanité, comme dirait Ernest Hemingway. Le glas sonne non seulement pour toi, mais pour toute forme de vie. C’est le début de la fin.

La logique du génocide et de l’inégalité

Il y a un an, j’ai demandé, dans ce même lieu, une conférence de paix pour la Palestine, avant même que n’éclate la première bombe. Aujourd’hui, 20 000 enfants ont été assassinés sous les bombes et, dans les couloirs de cette institution, les présidents des pays de la destruction humaine rigolent. Aidés par le pouvoir de communication des grands médias mondiaux, qui aujourd’hui appartiennent au grand capital, ils réorganisent le monde, sans démocratie, sans liberté.

Le projet démocratique de l’humanité est en train de mourir en même temps que la vie, pendant que les racistes, les suprémacistes, ceux qui croient stupidement que les aryens sont la race supérieure, s’apprêtent à dominer le monde en faisant régner la terreur des bombes sur les peuples.

On est en train de mettre en place le contrôle de l’humanité sur la base de la barbarie, et la manifestation de cela, c’est Gaza, c’est le Liban. Quand Gaza mourra, toute l’humanité mourra aussi.

Le peuple de Dieu, c’est l’humanité toute entière

Le fait est que le peuple de Dieu n’était pas Israël et n’est pas non plus les États-Unis d’Amérique du Nord. Le peuple de Dieu, c’est l’humanité tout entière, et les enfants de Gaza faisaient partie de cette humanité, le peuple élu de Dieu.

Ils sont en train de tuer le peuple élu de Dieu, les enfants de l’humanité. Il y a une raison à cet Armageddon du monde contemporain. La déraison des gouvernements qui applaudissent le génocide et n’agissent pas rapidement pour orienter les économies vers la décarbonation obéit à une logique. Celle-ci ne se trouve pas dans le monde politique ou dans cette arène où s’expriment tous les présidents. Elle est ailleurs et s’appelle l’inégalité sociale.

Oxfam affirme que le 1% le plus riche de l’humanité détient plus de richesses que les 95% de toute l’humanité réunie. C’est dans cette inégalité atteinte, la plus importante dans l’histoire de notre espèce, que se trouve la logique de la destruction massive déclenchée par la crise climatique et la logique des bombes lancées par un criminel comme Netanyahou sur Gaza.

Netanyahou est un héros pour le 1% le plus riche de l’humanité parce qu’il est capable de montrer que les peuples se détruisent à coup de bombes.

La richesse du 1% de la population et la voie vers l’extinction

Si nous mesurons la richesse en émissions de CO2 et non en dollars, nous avons la réponse : le 1% le plus riche de l’humanité est responsable de la crise climatique qui s’aggrave et s’oppose à la fin du monde du pétrole et du charbon parce que c’est sa source de richesse. Les politiques, même les présidents des pays les plus puissants de la terre, ne font que leur obéir.

Les riches payent les campagnes électorales, contrôlent les médias, ce sont eux qui cachent la vérité de la science comme dans le film Don’t Look Up : Déni cosmique. Ce sont eux qui décident ce qui est pensé, ce qui est dit et ce qu’il faut interdire et réduire au silence.

Dans leur pouvoir d’interdiction et de censure, ils crient « Vive la liberté, bordel ! » mais c’est seulement la liberté du 1% le plus riche de la population mondiale qui, avec son esprit marchand et libre, nous conduit à la destruction de l’atmosphère et de la vie.

Le libre marché n’était pas la liberté comme ils le prétendaient, mais la maximisation de la mort. Ce 1% le plus riche de l’humanité, la puissante oligarchie mondiale, est celle qui permet qu’on largue des bombes sur des femmes, des vieillards et des enfants à Gaza, au Liban ou au Soudan, ou qu’on impose un blocus économique à des pays rebelles qui refusent sa domination, tels que Cuba ou le Venezuela, parce qu’ils ont besoin de montrer leur pouvoir de destruction aux 99% restants de l’humanité afin qu’on les laisse continuer à diriger le monde, à s’approprier et à accumuler de plus en plus de richesses.

L’oligarchie mondiale conduit l’humanité à sa propre extinction et la sphère politique lui obéit en abandonnant complètement l’idée de la liberté ou du pouvoir des peuples, l’idée de démocratie. La question qu’il faut poser de cette tribune est si les peuples le permettront.

Il n’y a désormais plus de temps à perdre. Les gouvernements s’avèrent incapables d’arrêter l’extinction de la vie. Aujourd’hui, il faut choisir entre la vie et la cupidité, entre l’humanité et le capital.

Tout ce que je peux faire, c’est dire aux peuples du monde – avec la voix faible d’un pays sans armes de destruction massive, sans dollars, mais magnifique par sa diversité naturelle et culturelle, le pays de la beauté et des papillons de toutes les couleurs – que ce n’est plus désormais l’heure des gouvernements, mais l’heure des peuples.

Il n’y a plus de temps à perdre. Soit nous hissons l’étendard de la vie, soit nos villes et villages se rempliront de cimetières, comme la pandémie nous l’a montré. C’est l’heure des peuples et nous devons agir localement et nous concerter au niveau mondial.

Arrêter le capital fossile

Le capital fossile ne peut plus continuer, les peuples doivent l’arrêter. Le venin rejeté dans l’atmosphère est mortel et les cheminées qui l’émettent doivent s’arrêter. Chaque coin du monde peut mener bataille contre ces cheminées.

Il y a un siècle, les multitudes ouvrières brandissaient le drapeau rouge en parlant d’une révolution contre le capital. Ce monde-là est révolu.

Perdu dans le gigantisme des États et l’absence de liberté, le drapeau rouge n’a pas trouvé sa place dans l’histoire de l’humanité. Mais aujourd’hui, à plus forte raison, non pas pour défendre une classe ou un système d’idées, mais pour défendre la vie collective, il faut brandir une nouvelle fois le drapeau. Peut-être que cette fois, il ne sera pas rouge mais de toutes les couleurs, un drapeau de toute l’humanité pour défendre sa propre existence sur la planète.

Intelligence collective

Peut-être le mot « socialisme » prend-il aujourd’hui une nouvelle signification. Les cerveaux, qui sont la base véritable du travail, sont aujourd’hui plus connectés que jamais. Aujourd’hui, le savoir humain est plus collectif que jamais. L’entraide a toujours été la clé magique qui nous a permis de survivre pendant un million d’années sur cette planète. Seuls, les individus sont faibles et finissent entre les mains du fentanyl, cette drogue de la mort, de la défaite humaine.

Nous, les personnes, sommes fortes si nous nous aidons les uns les autres, et si cette entraide atteint l’échelle planétaire. L’aide mutuelle, la construction collective du savoir, l’humanité comme nouveau sujet politique, voilà les bases de la nouvelle signification du socialisme. Nous sommes la forme la plus avancée de la vie, la vie intelligente. La vie intelligente doit se défendre et défendre les autres vies contre l’oligarchie mondiale qui l’attaque.

Une nouvelle richesse doit se construire, basée non plus sur le pétrole mais sur l’intensité, sur le travail créateur et libre qui permet d’atteindre la très haute productivité actuelle, en incluant l’intelligence artificielle qui doit être contrôlée par un pouvoir public mondial.

La productivité rend possible le temps libre et créateur, la mise en réseaux des cerveaux humains, la plus grande puissance jamais atteinte, et c’est ce réseau neuronal de l’humanité qui peut nous permettre de vaincre avec notre drapeau levé, le drapeau de la vie. Je ne parle plus à Biden, Macron, Scholz, Xi Jinping ou Poutine.

De la Chine, je retiens son idée d’un dialogue entre les civilisations ; de l’Europe, son projet de pacte social ; des États-Unis, son amour pour la démocratie originelle de ses pères fondateurs ; de l’Amérique du Sud, sa diversité tempétueuse, son cavalier porte-drapeau, Simón Bolívar ; de l’Afrique, ses tambours qui nous appellent à communiquer avec les esprits de la nature ; de Jésus, l’idée de l’amour universel, son union de la lumière et de la vie.

C’est dans ces sources civilisationnelles, et dans d’autres qui se trouvent dans tous les peuples du monde, que nous devons puiser les forces pour mener la plus grande bataille pour la vie dans l’histoire de l’humanité. Cette bataille est, indubitablement, une révolution mondiale.

L’armée de la vie

Nous avons besoin de construire la plus grande armée de tous les temps, composée de guerriers et guerrières de la vie. L’armée de la vie ne se battra pas avec les armes de l’oligarchie mondiale ; elle n’aura pas d’armes nucléaires, ne luttera pas avec des armes et n’aura pas de l’argent plein les mains comme les banques, ni le pouvoir de détruire les enfants dans les génocides de l’oligarchie. Mais elle aura le plus grand pouvoir de tous, le pouvoir d’une humanité unie qui ne se laissera pas voler son existence sur la planète.

Il n’y a qu’un seul petit point de vie infinitésimal dans les millions d’années-lumière de l’univers et il s’appelle la Terre. Et sur cette terre, il y a une vie supérieure qui est la vie intelligente, l’humanité. Nous ne pouvons pas laisser s’éteindre cette perle de l’univers.

Sans la vie, seules domineraient les ténèbres inertes, et ce sont ces ténèbres inertes qui remplissent le cœur et l’âme de l’oligarchie mondiale et ses idoles d’argile. C’est à l’humanité de mener la bataille.

L’heure des peuples

C’est l’heure des peuples. Si les gouvernements n’y sont pas parvenus, comme on l’a montré ici, et ont décidé de jouer avec des bombes et des guerres insensées, d’assassiner des enfants et de se livrer à des jeux de pouvoir, alors il est temps pour les gens, les gens ordinaires de l’humanité, de prendre en main la solution des grands problèmes de l’humanité.

Au lieu de nous adresser à des gouvernants insensibles, tournons-nous vers nous-mêmes, les gens ordinaires, tournons-nous vers les peuples pour décider des actions communes, démonstrations d’un autre pouvoir démocratique.

Au milieu de ce pouvoir de l’humanité transformé en conscience agissante apparaîtront de nouveaux gouvernements, de nouveaux leaders. Si la vie surmonte son extinction, ce ne sera plus l’oligarchie mondiale qui sera aux commandes, elle sera renversée pour construire une démocratie mondiale. Une nouvelle histoire est sur le point de commencer.

Merci de votre attention.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3727.
 Traduction d’Angela Berrocq pour Dial, avec des emprunts à la traduction effectuée par Françoise Lopez pour Bolivar Infos.
 Source (espagnol) : Présidence colombienne. La présidence a aussi mis en ligne la vidéo du discours.

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