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DIAL 3012

BOLIVIE - Lettre d’Adolfo Pérez Esquivel au cardinal de Bolivie

mardi 1er juillet 2008, mis en ligne par Dial

Le cardinal de Bolivie a son siège à Santa Cruz, le département très riche situé à l’est du pays où les grands propriétaires terriens viennent d’organiser avec succès un référendum local – sans validité légale – pour l’autonomie. Le cardinal a pris publiquement partie pour cette autonomie et affirmé, contre toute évidence, qu’il n’existait pas d’esclavage dans la région. Encore une fois, l’Église officielle s’est rangée du côté des riches et des puissants alors qu’elle devrait, à la lumière de l’Évangile, prendre le parti des pauvres et des Indiens.

Adolfo Pérez Esquivel, catholique convaincu, le tutoie, car il est son frère en religion et on se tutoie entre frères. Il lui reproche ses positions partisanes et essaye de le convaincre avec véhémence en avançant des arguments évangéliques qui lui paraissent évidents et en lui décrivant les réalités concrètes du pays que personne ne peut ignorer.


Au Cardinal Julio Terrazas
Santa Cruz de la Sierra,
Bolivia.

Buenos Aires, le 8 mai 2008.

Cher frère dans le Christ,

Reçois un fraternel salut de Paix et de Bien.

J’aurais aimé pouvoir te rencontrer pour converser personnellement avec toi pendant ma récente visite en Bolivie. J’ai essayé d’établir un contact mais je n’y suis pas arrivé car tu te trouvais à Lima, au Pérou, et j’ai appris que tu ne reviendrais à Santa Cruz que le 4 mai, après mon retour en Argentine.

Je voudrais partager fraternellement avec toi quelques préoccupations en tant que frère dans la foi. L’Évangile est très clair : Jésus a exprimé quelques options concrètes en relation avec les pauvres et ceux qui sont dans le besoin. De plus, il nous a toujours enseigné à rechercher la Vérité et la Justice qui sont les bases fondamentales pour construire la Paix. Il n’a jamais manifesté aucune discrimination envers les pauvres, soit à cause de la couleur de leur peau, de leur “race” ou de leur condition sociale.

Il est bon, cher frère, de garder présent à l’esprit ce message de Jésus : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il prenne la dernière place et devienne le serviteur de tous. Celui qui reçoit un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi-même qu’il reçoit… » (Mat. 9 – v:35-37).

Je veux te dire que je suis stupéfait par les options que tu viens de choisir. Je ne suis pas là pour te juger, mais je veux simplement partager avec toi les préoccupations que nous avons tous, nous, les chrétiens et les non-chrétiens, qui attendions de toi une position cohérente avec l’Évangile.

Cela me préoccupe beaucoup que tu soutiennes ceux qui prétendent déstabiliser un gouvernement démocratique et que tu appuies les Comités civiques de Santa Cruz, eux qui saluent à la façon des Nazis et qui menacent d’expulser de la région tous les « Collas », ces Indiens locaux. C’est vraiment un retour en arrière pour la Bolivie et pour l’humanité toute entière.

Cela nous préoccupe beaucoup que tu soutiennes les grands propriétaires terriens qui recherchent leur intérêt propre et non pas le bien du peuple.

Frère, est-ce que tu ignores toutes ces choses ou est-ce que tu les admets ?...

Cela nous préoccupe beaucoup que tu en viennes à nier la situation d’esclavage à laquelle sont soumises les communautés guaranis par les grands propriétaires. Tu sais très bien qu’il y a des évidences déjà dénoncées par le gouvernement bolivien. Tu ne peux pas ignorer que des fonctionnaires envoyés à Santa-Cruz par le gouvernement sont menacés par des bandes armées qui les empêchent de rentrer dans les haciendas.

Cela nous préoccupe beaucoup que tu aies voté pour un référendum anticonstitutionnel et illégal, dénoncé par l’OEA (l’Organisation des États américains), par l’Union européenne et par les peuples et les gouvernements de toute la région.

Que tu aies voté oui ou non, c’est l’affaire de ta conscience, mais tu ne peux pas ignorer que ce référendum est raciste, discriminatoire, qu’il est chargé d’exclusion sociale et donc, qu’il est contraire au message de Jésus. Tu sais très bien aussi que le Nouveau Statut ainsi que toute cette campagne d’autonomie déclenchée par les grands propriétaires, sert avant tout à protéger leurs intérêts économiques et qu’en fait ils cherchent à faire un coup d’État contre un gouvernement démocratiquement élu par le peuple à une grande majorité.

Tu sais très bien aussi que pendant les nombreuses années où ces seigneurs féodaux ont gouverné le pays, ils ne se sont jamais intéressés à promouvoir les autonomies départementales et, beaucoup moins encore, à mettre sur pied un processus qui décentralise le pouvoir vers le peuple. S’ils réagissent ainsi maintenant, c’est qu’ils sentent que leurs intérêts économiques sont menacés. Ils cherchent comment ils pourraient déstabiliser les institutions du pays et ils font la promotion du séparatisme, ensemble avec d’autres régions qui forment ce qu’on appelle la « Demi-lune ». Tout cela menace la souveraineté nationale et l’intégrité de la Bolivie. L’Amérique latine n’a pas besoin de « pactes d’autonomie » comme le prétendent les grands propriétaires afin d’en tirer eux-mêmes les bénéfices et de porter ainsi préjudice au peuple.

« Tuto » Quiroga, le meneur des indépendantistes, qui parle tant aujourd’hui de démocratie a été l’allié du dictateur Hugo Banzer et même le vice-président de la Bolivie à cette époque. Il a même été avec ce dictateur coresponsable d’un génocide et de crimes contre l’humanité. De plus, quand il a participé à cette présidence, il n’a jamais rien fait pour le peuple et en particulier pour les plus pauvres qui ont dû, sous ce gouvernement dictatorial, supporter l’humiliation et le mépris des seigneurs féodaux qui gouvernaient alors la Bolivie.

En réalité, aujourd’hui, ils ne supportent pas qu’un frère indien aymara, Evo Morales, soit le président de la Nation, qu’une sœur « colla » soit ministre de la Justice et que les Indiens et les paysans soient enfin respectés et reconnus dans leurs cultures, leurs identités et leurs valeurs sociales et spirituelles. Surtout, ils ne supportent pas que le gouvernement récupère les ressources naturelles et fasse la promotion de la réforme agraire et du droit et de l’égalité pour tous et non pas seulement pour quelques-uns. Le Président Morales a accepté la demande d’un autre référendum dans tout le pays pour que le peuple décide si son gouvernement a bien rempli ses obligations et s’il veut que la Bolivie soit un peuple libre et souverain ou qu’elle vive esclave et à genoux devant ses oppresseurs comme autrefois.

Mais toi, frère, où est-ce que tu te situes à la lumière de l’Évangile ?...

Peut-être ignores-tu que le gouvernement d’Evo Morales en deux ans a mené à bien des politiques de transformation et de dignité pour le peuple bolivien, ce que n’ont jamais fait les gouvernements antérieurs ? Sais-tu qu’il a eu le courage politique de récupérer la souveraineté du pays sur ses ressources naturelles et énergétiques et qu’il a décidé volontairement de s’attaquer à l’analphabétisme et d’améliorer la santé du peuple ?

Est-ce que tu ne te sens pas mal à l’aise quand des pays frères comme le Venezuela et Cuba viennent aider solidairement le peuple bolivien et encouragent le gouvernement pour qu’il développe davantage de programmes de santé et d’éducation afin d’élever le niveau de vie de tous ?

D’autre part, tu sais très bien aussi que les moyens de communication du pays sont entre les mains des grands propriétaires et qu’ils développent une campagne sordide contre le gouvernement tout en gardant le silence sur les manipulations de l’ambassade des États-Unis qui continue à conspirer contre le gouvernement en recherchant ses propres intérêts.

Que le gouvernement bolivien ait commis quelques erreurs, c’est certain. Il les reconnaît et il sait qu’il doit les corriger. Mais toi, qu’as-tu fait pour lui venir en aide et pour cheminer avec le peuple ? Toi, frère, qui est à la tête de l’Église de Bolivie, quelle est ton option et quelle lecture fais-tu de tout ce que je viens de te signaler et que tu sais très bien déjà ?

Il faut à tout prix choisir entre deux options : ou bien suivre l’Évangile, ou bien rester englué dans le mensonge et les injustices, dans les discriminations, la haine, le racisme et l’exclusion sociale. Il faut « donner à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

En tant que frère dans le Christ, je te demande de méditer, de prier et de demander à Dieu qu’il t’illumine et qu’il te guide. De notre côté, nous prierons pour toi et pour tous ceux qui luttent afin de construire un monde plus juste et plus fraternel en renforçant la démocratie et le respect des droits humains.

Avec de nombreux frères et sœurs dans la foi, avec des communautés religieuses et avec toutes les églises chrétiennes, nous restons unis dans la prière et nous demandons au Seigneur que, dans son infinie bonté, il fortifie tous les Boliviens dans les chemins de la Vérité et de la Justice pour parvenir à la Paix et à l’unité de tout le peuple.

Ton frère dans le Christ,

Adolfo Pérez Esquivel
Prix Nobel de la Paix.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3012.
 Traduction et introduction de Francis Gély.

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Messages

  • Bonjour,
    j’ai l’intention de diffuser cette lettre dans la communauté des chrétiens de mon diocèse. mais - et c’est une règle bien connue des journalistes - afin d’être totalement crédible il est indispensable de citer avec le maximum de précision dans quelles circonstances, à quelle date, en quels termes, et par quel document éventuel :
    "le cardinal de Bolivie a pris publiquement partie pour cette autonomie et affirmé, contre toute évidence, qu’il n’existait pas d’esclavage dans la région."

    J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, de poser à Témoignage Chrétien les mêmes questions à propos d’une lettre ouverte au président des Etats Unis, du Cardinal de Boston, Bernard Law. A la suite de quoi ils m’ont répondu qu’ils étaient en train de passer un rectificatif avec leurs excuses, car c’était un homonyme, d’une Eglise Evangélique, qui était l’auteur de cette lettre, et non le cardinal de Boston...

    Je vous remercie de me fournir le maximum d’infos à ce sujet.

    Cor "dial" ement...

    Bernard Maréchal (un ami de Jean-Louis, prêtre à Ciudad Quetzal)

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