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AMÉRIQUE LATINE - La théologie indienne latino-américaine

Alain Durand

jeudi 22 juin 2006, par Dial

On a beaucoup parlé et on parle toujours beaucoup de la théologie latino-américaine de la libération. Il ne faudrait pas que l’importance accordée légitimement à celle-ci ait pour conséquence de laisser dans l’ombre un autre courant théologique, moins connu mais caractéristique de la culture latino-américaine : la théologie indienne. Il s’agit d’un courant théologique chrétien qui enracine son expérience et sa réflexion dans la culture et la tradition des peuples originaires. C’est un cas magnifique d’inculturation de la foi chrétienne, c’est-à-dire du respect et de la prise en compte de schèmes culturels extérieurs au christianisme, dans lesquels celui-ci s’immerge et qu’il utilise pour se penser à de nouveaux frais. Il se passe aujourd’hui avec la théologie indienne ce qui s’est passé pour la foi chrétienne avec la culture grecque : la naissance d’une façon originale de vivre et de penser le message évangélique.

I - Quelques traits culturels spécifiques de la culture indienne

Tout d’abord quelques traits caractéristiques de la culture des peuples indigènes :

1. L’importance de la Terre

Il ne s’agit pas ici du petit bout de terrain sur lequel le français moyen aime aller jardiner le soir en rentrant de son travail s’il dispose de quelque surface au pied de sa maison. Il ne s’agit pas de la terre gadget et lieu de détente.

La terre est la Terre-Mère, la Pachamama. Elle est la source même de la vie. L’homme doit tout à la terre. Il ne peut pas vivre sans elle. Lui prendre sa terre, c’est le tuer. L’homme entretient avec la terre une véritable relation, comme avec un vivant. Nous avons, nous occidentaux, une relation de maîtrise et de domination à la terre. L’Indien a une relation de communion et de reconnaissance. Il s’agit de vivre en harmonie avec la Terre-Mère et non pas de la dominer. Cette harmonie s’étend à l’ensemble des êtres passés et présents. Un indigène vivant à la frontière de la Colombie et du Venezuela déclarait récemment : “Nous sommes les fils de la terre. Elle est notre mère. Sans elle nous ne sommes rien. La terre nous nourrit et c’est sur elle que nous construisons nos maisons. La terre est l’âme de ceux qui vivent dans la Sierra... Pour nous, la terre n’est pas seulement la surface ou la plate-forme où nous vivons, elle est notre vie. Oui, c’est ce qu’elle est et c’est ce qu’elle donne : la vie. Sabaseba (celui qui a façonné l’homme et la femme) l’a faite pour qu’elle soit une mère généreuse dont le ventre produit les arbres, les fleuves, les animaux et les Barí eux-mêmes. C’est pourquoi il est normal que nous les Barí nous nous considérions comme les enfants de la terre (nous sommes nés des entrailles de l’ananas que Sabaseba a ouvert) et quand nous mourons, on nous enveloppe dans notre hamac ou on nous rend au ventre de cette terre qui est la nôtre. Notre au-delà, notre ciel, est une autre vie où nous chassons, nous pêchons et nous mangeons les produits d’une terre d’abondance et de générosité.
Aussi, comment ne pas l’aimer si elle nous a vus naître depuis des temps immémoriaux ? Comment ne pas répondre à ceux qui nous disent que nous ne savons pas travailler la terre, juste pour qu’on la leur donne, qu’ils s’en emparent et clôturent ce qui nous a appartenu depuis si longtemps ? Comment ne pas souffrir quand on transforme notre faune, notre flore et notre environnement à cause des mines de charbon et des puits de pétrole ou d’autres minerais qui vont nous appauvrir irrémédiablement en nous privant de nos terres ? (...)

Ce sont ces questions que nous ne cessons de nous poser et qui créent dans nos communautés le désespoir et la désillusion face à ceux qui viennent d’un monde civilisé et qui convoitent nos terres.

(...) Nous, nous sommes notre terre, c’est pourquoi nous comprenons difficilement que d’autres prétendent nous la prendre ou nous en retirer une partie.” (DIAL D 2248)

2. L’importance de la communauté

La relation à la terre et à la communauté ne sont pas séparables. Il ne s’agit pas d’abord d’une relation individuelle à la terre, mais de la relation de la communauté. La terre est pour tous, enfants et vieillards, hommes et femmes. Dans la tradition indigène, la terre n’est pas l’objet d’une propriété individuelle : elle appartient à la communauté et n’est pas aliénable. Actuellement, dans le cadre de restitutions de terres faites aux indigènes dans certains pays, le droit mis en oeuvre est collectif : la terre est remise à une communauté. A propos d’une communauté du Guatemala récemment installée sur des terres en 1996, le principal “animateur” écrivait : “La propriété des terres qui ont été achetées et de celles que nous avons encore à acheter sera entièrement collective, c’est-à-dire qu’elle sera la propriété de notre communauté.” L’usage lui-même sera largement collectif : “Nous avons commencé à travailler la terre et elle sera travaillée dans l’avenir en grande partie de façon collective.” (DIAL 2123). C’est le même écho dans une autre communauté d’Équateur, elle aussi récemment installée sur la terre de Tunibamba et dont l’objectif était exprimé de la façon suivante : - récupérer la terre communautaire de nos ancêtres qui nous fut arrachée il y a 500 ans par les Espagnols ; - revenir à la vie communautaire de nos ancêtres ; (...) - faire revivre le travail communautaire et mettre la production au service du peuple.” (DIAL D 2198). La terre est sacrée. La terre par excellence est la terre des ancêtres.

La communauté n’inclue pas seulement les vivants. Elle comprend aussi les ancêtres. Dans les célébrations rituelles, dont le but est de rétablir l’harmonie, on invoque évidemment les ancêtres pour être en harmonie avec eux comme avec les vivants. Cette évocation des ancêtres se fait souvent de façon symbolique par l’évocation des différents noms de montagnes, ce qui est, je pense, une des manifestations de ce lien nature-communauté.

Ces communautés ont une tradition démocratique. C’est une démocratie proche des gens eux-mêmes. Les processus de décision peuvent donc être parfois lents, du moins à nos yeux, car il faut du temps pour prendre l’avis de nombreuses communautés. C’est ce qui s’est passé, par exemple, au Chiapas pour la signature des Accords entre l’EZLN et le gouvernement fédéral mexicain sur “Droits et culture indigène” le 16 février 1996.

3. L’égalité homme-femme

L’homme et la femme sont faits pour vivre en harmonie et jamais l’un sans l’autre. L’idée qu’un homme ou une femme puisse vivre sans lien avec une personne de l’autre sexe est complètement étrangère à la culture indienne. Dans les cérémonies liturgiques elles-mêmes, il est nécessaire que des femmes assument des fonctions. On voit tout de suite la difficulté que cela crée pour l’accès des indigènes au sacerdoce catholique. Comme je l’ai entendu dire à Samuel Ruiz : un Indien qui n’est pas marié n’est pas un indien adulte. L’inculturation de la foi et de l’Église passe par la reconnaissance de ce fait.

4. La place des ancêtres

Un indigène ne vit pas seulement avec les personnes qui l’entourent physiquement, mais il vit aussi en compagnie de ses ancêtres. Ceux-ci ont accumulé l’expérience et le savoir nécessaires à leurs descendants pour qu’ils vivent aujourd’hui. L’humanité est en quelque sorte considérablement élargie par cette référence aux ancêtres. Ceux avec lesquels nous sommes en contact remontent dans la chaîne du temps. En ce sens, le temps prend une profondeur que la seule référence aux personnes immédiatement et physiquement présentes ne peut pas lui donner. Les ancêtres sont présents lors des célébrations. Leur lieu symbolique, au moins pour certains peuples à ma connaissance, sont les montagnes. Invoquer les montagnes dans une célébration, c’est se mettre en présence des ancêtres.

II - La théologie indienne

La théologie indienne se présente volontiers comme une théologie éminemment particulière dans ses origines, sa pensée, son langage, mais ayant cependant une valeur universelle. Eleazar Lopez écrivait récemment que les théologiennes et théologiens indiens constataient que “la nouvelle présence indigène dans les sociétés et les Églises est comme un oasis de foi et de spiritualité qui peut humidifier ce monde dans lequel prévaut une sécheresse structurale. Nous les indigènes sommes un peuple d’espérance. ...De différentes manières nous avons montré au monde que les Indiens ne sont pas le problème mais la base pour trouver la solution aux problèmes actuels.. Nos peuples trouvent aujourd’hui comme toujours dans leur expérience historique et spirituelle des réponses humaines qu’il vaut la peine de recueillir et mettre à la portée des autres peuples.... Nous pensons que l’expérience indigène intégrale peut être utile pour affronter les défis actuels et construire l’avenir avec les autres hommes et les autres femmes de bonne volonté.” (Los Indios ante el tercer milenio, 1998, internet Koinonia).

1. S’agit-il d’une théologie ?

La question peut être et est effectivement débattue. De longues discussions existent à ce sujet, dont l’intérêt n’est pas de prime abord évident. Il me semble que le mot de “sagesse”, d’ailleurs souvent employé à ce sujet, serait le plus adéquat. Nous pourrions parler, me semble-t-il, de “sagesse théologique”. J’ai le sentiment que l’enjeu qui se trouve derrière ces débats est avant tout, de la part des théologiens indiens latino-américains, un enjeu de reconnaissance et de revendication d’égalité avec ce que nous-mêmes, dans notre univers occidental, nous appelons théologie. Il ne s’agit pas d’une théologie éminemment conceptuelle et structurée à l’intérieur d’elle-même par les apports d’une raison philosophique autonome comme nous pouvons l’observer chez nous - du moins en principe.

Pour les peuples indigènes, la pensée mythique fait partie de la pensée théologique, de même qu’appartiennent à ce qu’ils appellent aujourd’hui “théologie” des pratiques que nous appellerions plus volontiers liturgiques, rituelles, voire pastorales. Ces réalités là sont traitées à la fois comme étant la théologie indienne en même temps qu’elles sont aussi considérées comme les sources de cette théologie. Je crois que nous-mêmes, nous avons plus nettement tendance à séparer les deux, la théologie et ses sources. D’autre part, la théologie indienne n’a pas pour but de parvenir à une construction théorique mise en oeuvre par la raison raisonnant dans la foi, mais elle use d’un langage symbolique, toujours chargé d’expériences et d’images, jamais éloigné du monde émotionnel, un langage encore tout frémissant des échos de la vie qui oeuvre dans la nature. Les théologiens indiens raisonnent, bien sûr, mais leur raisonnement est au service de l’expression symbolique : là est le but ... et la saveur même de leur pensée.

Si nous appliquons le mot “théologie” à cette sagesse indienne chrétienne, cela devrait nous faire davantage penser à la théologie d’avant la naissance de la scolastique, à la théologie plus symbolique que des Pères de l’Église ou des théologiens monastiques ont pratiqué. Ce n’est une théologie ni inférieure ni supérieure à la nôtre, c’est une autre théologie et une autre façon de faire de la théologie.

“La théologie indienne, écrit Eleazar Lopez, ne consiste pas à parler de Dieu mais à parler avec Dieu.” Cette théologie est d’abord vie. Elle n’a jamais donné lieu à des élaborations systématisées, répartissant les données de la foi en différents traités articulés entre eux.
Vous comprendrez aussi, dans ces conditions, qu’il soit plus difficile de faire un exposé de théologie indienne qu’un exposé de théologie scolastique... Il faudrait soi-même savoir user du langage symbolique et, sans doute, être poète...

Pour conclure ce point, voici la définition de la théologie indienne que Eleazar Lopez a rédigé en 1992 dans une Lettre à la congrégation pour la doctrine de la foi : “la théologie indienne est l’ensemble des expériences et des connaissances religieuses que les peuples indiens possèdent et grâce auxquelles ils comprennent, depuis des millénaires jusqu’à aujourd’hui, leur expérience de la foi, à l’intérieur du contexte de leur vision globale du monde et de la vision que les autres ont de leurs peuples. Aussi, la théologie indienne est-elle un ensemble de pratiques religieuses et de sagesse théologique populaire, dont se servent les membres des peuples indiens pour s’expliquer à eux-mêmes les mystères anciens et nouveaux de la vie. C’est pourquoi il ne s’agit pas de quelque chose de nouveau ni d’une création proprement ecclésial, mais d’une réalité très ancienne qui a survécu aux assauts de l’histoire.”

2. Les caractéristiques de la théologie indienne

Je reprends ici les grandes caractéristiques données par Eleazar Lopez et souvent reprises :

a - elle est extrêmement concrète, ne se perd pas dans des abstractions et des discours spéculatifs ; elle contemple et savoure la vie, elle accompagne le projet de vie du peuple.

b - elle est intégrale, en ce sens qu’elle inclut en elle la totalité de la vie du peuple ; il n’y a rien dans la vie du peuple qui n’ait pas quelque chose à voir avec Dieu.

c - elle utilise un langage décidément religieux, ce qui choque parfois les tenants d’un langage plus axée sur la libération ou la révolution.

d - elle a pour sujet le peuple lui-même, qui élabore sa pensée dans les assemblées ; c’est pourquoi les personnes qui servent la communauté y sont appréciées mais non celles qui cherchent à imposer leurs idées personnelles.

e - elle utilise le langage mythico-symbolique, non parce qu’elle serait pré-moderne mais parce que ce langage est celui qui exprime avec le plus de radicalité et de globalité le sens profond que l’Indien a de la vie. Ceci cause parfois des difficultés pour un véritable dialogue théologique avec les occidentaux.

3. Les sources de la théologie indienne

La source principale de la théologie indienne, selon Mgr Felipe Aguirre Franco, (év. de Tuxtla, Chiapas, Mexique) est “l’expérience même de Dieu faite par les peuples indigènes” (articulos p.10). Il y a les mythes, les contes, les rites, les fêtes, l’expérience de la vie et, de façon éminente mais non concurrentielle, la Bible, sans oublier le Magistère qui a d’ailleurs reconnu à Saint-Domingue la nécessité de la théologie indienne. Le religion populaire est le lieu où a pu survivre sous des formes non repérables par l’église catholique, l’expérience religieuse indienne, sans parler des célébrations qui continuaient dans la clandestinité nocturne et les lieux éloignés.

La Bible est le livre sacré le plus important, mais il n’est pas le seul. Les théologiens indiens latino-américains reconnaissent que la révélation de Dieu n’est pas limitée au christianisme. Pour eux, Dieu s’est aussi révélé à leurs ancêtres, au coeur même de leur culture. L’idée du “logos spermatikos” c’est-à-dire du Verbe de Dieu répandu à travers l’univers entier pour y répandre la connaissance de Dieu relève pour eux de l’évidence. Aussi y a-t-il d’autres livres sacrés que la Bible. Il y a, par exemple, la Pop Wuh, que j’ai vu porté solennellement en procession, en compagnie de la Bible, au début d’une célébration réunissant aussi bien des laïques que des évêques catholiques très au fait de la culture indigène.

4. Le visage de Dieu

La théologie indienne est une théologie qui insiste particulièrement sur le visage maternel de Dieu. Cette orientation est dans le droit fil de l’héritage culturel de ces peuples. Ceci les conduit à mettre en valeur les quelque textes bibliques, dans Isaïe notamment, où Dieu assume un rôle maternel (Car Sion disait : ‘Yahvé m’a abandonnée, le seigneur m’a oubliée’. Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit, cesse-t-elle de chérir le fruit de ses entrailles ?” (Is 49, 14-15) Et encore : “Comme un fils que sa mère console, moi aussi je vous consolerai.” (Is 66, 13). Dans ce sens est aussi utilisé le récit de la création dans lequel il nous est dit que Dieu crée l’homme à son image et, ce faisant, il le crée homme et femme : le Créateur se révèle masculin et féminin en faisant l’être humain à son image. Dans des liturgies impliquant des populations indigènes, Dieu peut être invoqué sous le nom de “Père-Mère”. Dieu ne peut pas être pensé uniquement sous les espèces du masculin, de même que l’être humain ne peut être pensé que comme homme et femme. Les deux - conception de Dieu et conception de l’être humain - sont liés.

Il serait intéressant d’évoquer ici le visage de la Guadalupe, souvent appelée Tonantzin Guadalupe pour indiquer son enracinement dans la religion indigène. A ce sujet, Manuel Arias Montes écrit : “la Guadalupe s’est présentée devant les Mexicains comme femme et comme mère, comme la présence féminine et maternelle de Dieu, redonnant ainsi à l’Indien la certitude que le respect de la femme et son rôle dans la communauté avait bien pour fondement leur concept de Dieu Père-Mère de la vie” (Articulos, § 5)
Le Dieu des chrétiens indiens latino-américains se trouve ainsi enrichi par une expérience religieuse qui s’est déroulée pendant des siècles à l’extérieur de la tradition chrétienne. Mais, pour le théologien Manuel Arias Montes, il y a une profonde convergence entre ces deux chemins de vérité. “Nous n’avons pas à tuer notre Dieu pour rejoindre le Dieu chrétien libérateur”, précise-t-il. Il ne s’agit pas de recouvrir de christianisme la théologie indienne traditionnelle, mais de montrer son sens profondément chrétien lorsqu’elle traite de la vie, de l’homme et de la femme, de la communauté, etc. Il s’agit du même Dieu dans la vie indienne et dans la conscience chrétienne. De son côté, Eleazar Lopez écrit : “Par tout ce que nous avons vu et entendu, nous savons que ce Dieu qui est le nôtre et que le Dieu de nos pères est le même que le Dieu chrétien.”

La théologie indienne possède un sens très aigu de la proximité de Dieu dans la vie du peuple “car la communauté est le lieu privilégié de la présence de Dieu. Mais sa présence, toujours selon Manuel Arias Montes, recouvre tout ce qui est vie ; aussi l’expérience de Dieu se donne-t-elle dans tous les lieux de la nature, et le peuple le rencontre dans les lacs, les montagnes, les sources, dans le soleil, les étoiles, la lune, dans le terre-mère, le vent, les rayons du soleil. Il y a aussi des lieux où la présence de Dieu se fait plus explicite : ce sont les centres de célébration - les montagnes sacrées ou les sanctuaires - et les centres de réunion de la communauté, car en eux la vie se réfléchit et se renouvelle.” (Y la Palabra de Dios se hizo indio, extrait dans Voces indigenas, p.7)

Tout cela est rendu sensible dans ce texte :

“Dieu est Mère et Père, et nous, nous sommes ses fils et ses filles ; nous sommes les doigts de ses pieds et de ses mains ; il nous donne la vie et nous fait vivre. Dieu est la vie du ciel et de la terre, du jour et de la nuit, d’en-haut et d’en-bas, des montagnes et des vallées, des hauteurs et des plaines, le maître de tous les animaux.
Il est le Cœur du ciel et de la terre, il est notre maître, le cœur de l’eau, le cœur de la mer, il est notre origine et notre géniteur. Le maître de ce qui est tout proche. Il est la Mère de sainteté. Il est le Père de sainteté. Il est au milieu de la communauté ; il est le Seigneur des quatre coins du monde, des quatre vents. Dieu travaille avec l’homme au triomphe de la vie, il agit dans le monde et dans l’histoire.

La source de vie de toute la création c’est un “Papa-Maman” qui est vivant, qui s’inquiète de nous, qui se donne du mal pour nous entourer de soins et d’amour. Dieu est source de vie. Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. (Jn 10,10)

Le Dieu de la vie nous fait nécessairement sentir qu’il vibre de partout, en tout ce qui vit. Sentir les vibrations du cœur de Dieu dans chaque palpitation de la terre, dans chaque palpitation d’homme, dans chaque palpitation d’amour.
Cela implique par conséquent une attitude cohérente vis-à-vis de la terre, de la nature et des êtres humains ; une attitude sincère, confiante, accueillante, respectueuse, affectueuse à l’égard de chaque être vivant, de chaque être humain..” (DIAL D 2209).

On remarquera en passant combien cette perception de Dieu va de pair avec un comportement de respect profond vis à vis de la nature. Ce que nous nommons aujourd’hui écologie est une dimension inhérente à la théologie indienne.

4. Autres questions

Que dit la théologie indienne sur le Christ ? Je suis frappé de constater qu’elle en parle peu, très peu. Sans doute, les théologiens indiens confessent-ils la foi de l’Église en la matière, mais je n’ai pas l’impression que leur réflexion se soit beaucoup orientée vers une christologie. Faut-il en conclure qu’elle va de soi ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’il y a là une carence qui reste à combler. Je ne puis que vous citer ce passage d’un Credo élaboré collectivement par des Indiens lors d’un cours sur la théologie indienne tenu en 1995 à La Paz, Bolivie :

“Nous croyons en Jésus-Christ
qui vit, meurt et ressuscite
dans ceux qui luttent pour construire un projet historique de vie
à partir des pauvres.
Nous croyons en Jésus-Christ
Dieu de la proximité et de l’unité,
qui nous a donné vie et force
à travers le sacrifice de Quetzalcóatl
qui a été, est et continuera d’être de notre côté,
pour rechercher un nouveau pachakuti,
à travers la fraternité, la communauté, la solidarité, la réciprocité, la fraternité,
car tout cela est l’actualisation de son immense amour
qui nous oriente vers la Terre nouvelle et les Cieux nouveaux

N.B. : le sacrifice de Quetzalcoatl : Dieu du Mexique et Amérique centrale qui se suicida au cours d’une cérémonie et dont le retour était attendu.
pachakuti : “nouveau pays”

5. Théologie indienne et théologie de la libération

La théologie indienne ne se considère pas une fille de la théologie de la libération. On pourrait néanmoins la considérer comme une soeur, une soeur aînée. Une soeur, parce que les deux poursuivent un objectif de libération et de reconnaissance des sujets opprimés. Mais soeur aînée parce que, comme les théologiens indiens aiment le dire, il y a bien plus de 500 ans que Dieu est présent en Amérique. Elle s’affirme donc comme une théologie bien antérieure à la théologie de la libération, antérieure à l’évangélisation elle-même.

Mais sa présence souvent clandestine dans les peuples indiens au cours des 500 dernières années, permet de dire que la théologie indienne est “une théologie des peuples opprimés, de résistance à l’oppression” une théologie qui “lutte aujourd’hui pour sortir de son état de prostration...”(Manuel Arias Montes, Id) C’est là un trait qui la rend soeur de la théologie de la libération.

Mais il y a une grande différence en ce qui concerne la catégorie de pauvre : “Il est certain que la théologie indienne ne réduit pas la problématique de nos peuples à la catégorie de “pauvres” ou d’exploités au plan économique. Être pauvres et exploités est seulement une partie de la réalité indienne. L’Indien est exploité et maltraité non seulement parce qu’il est pauvre mais surtout parce qu’il est indien. Ce qui signifie qu’il est également opprimé dans sa culture.” (Id) Et c’est au sein même de sa culture, au coeur d’un projet hérité de ses ancêtres, qu’il trouve les moyens de résister.


Le texte est issu d’une conférence donnée par Alain Durand, directeur de Dial.

En langue française, on pourra lire : Alain Durand et Eleazar Lopez Hernandez, Sagesse indigène. La théologie indienne latino-américaine, Paris, Cerf/Dial, 2002.

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