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DIAL 3663 - dossier « Paraguay 2023 »

PARAGUAY - Le symptôme Paragayo Cubas

Elisa Marecos Saldívar

vendredi 30 juin 2023, mis en ligne par Dial

Dimanche 30 avril se sont tenues au Paraguay des élections générales, avec l’élection des président et vice-président, de 45 sénateurs et 80 députés, avec leurs suppléants, de 17 gouverneurs des départements et des membres des assemblées départementales. Le Parti colorado, au pouvoir de façon quasi ininterrompue depuis 76 ans, à l’exception de la « parenthèse » de la présidence Lugo (2008-2012), est de nouveau sorti vainqueur des élections. Son candidat présidentiel, Santiago Peña est arrivé en tête avec 42,74% des voix, contre 27,48% pour Efraín Alegre, le candidat de la Concertation (gauche) et 22,91% pour Paraguayo Cubas. Le Parti colorado a aussi obtenu 23 sièges de sénateurs et 49 sièges de députés, il est donc majoritaire dans les deux chambres. Rien de nouveau, donc, sous le soleil politique paraguayen ? Les trois textes de ce dossier montrent qu’au contraire des choses bougent, même si les changements n’ont pas eu cette fois de résonance décisive dans les résultats électoraux. Ce deuxième texte, de la journaliste paraguayenne Elisa Marecos Saldívar, traite du « phénomène Paraguayo Cubas », arrivé en troisième position aux élections présidentielles. Article publié le 8 mai 2023 par le journal digital E’a.


la victoire du Parti colorado, l’effondrement d’une opposition désorientée et les nombreuses manifestations dans différentes villes du pays après les plaintes déposées pour fraude électorale ont marqué le calendrier post-électoral. La nouveauté, c’est l’irruption de « Payo » Cubas dans un contexte de forte précarisation. Que représente-t-il ?

En fin de soirée, samedi 6 mai, le juge Yoan Paul López a ordonné la prison préventive pour l’ex-candidat à la présidence du Paraguay, Cubas Colomés. Ce dernier a été appréhendé à San Lorenzo quand il partait pour la capitale du pays se joindre à la manifestation pour dénoncer la présumée fraude électorale, qui avait lieu devant le Tribunal supérieur de justice électorale (TSJE).

Il se trouve actuellement détenu au siège de la Section spécialisée de la police nationale, accusé par le ministère public de trouble à l’ordre public, menace de faits répréhensibles, tentative d’entraves aux élections, tentative de coercition sur organes constitutionnels, et résistance.

Qui est Payo Cubas ?

Après son arrestation, au cours de l’audience télévisée, il s’est présenté comme « avocat et vendeur de hamburger » et, dans la foulée, il a insulté le juge et le procureur chargés de son cas. Il les a menacés : « Vous finirez au peloton d’exécution », a-t-il dit. Cela résume d’une certaine façon le message qu’il transmet à ses partisans : un homme ordinaire, exaspéré, doté d’une bonne formation intellectuelle, qui tente d’accéder au pouvoir pour faire justice et sauver les dépossédés.

Il faut reconnaître avant tout ses talents d’orateur. Il est parvenu à mobiliser massivement divers secteurs populaires qui ne trouvent aucune réponse à leurs revendications, en tirant parti de la méfiance générale envers notre système démocratique et se présentant lui-même, évidemment, comme la solution incontournable à tous les problèmes.

Néanmoins, contrairement à ses accusations contre la « classe politique » dont il prétend ne pas faire partie et bien loin d’être un homme ordinaire, nous constatons que, dans son histoire personnelle, il a été étroitement lié au pouvoir politique tout au long de sa vie. Né à Washington D.C. le 8 janvier 1962, en pleine dictature de Stroessner, il est le fils du Colonel Roberto Cubas Barbosa. Ce monsieur a été envoyé plusieurs fois pour se former dans des camps militaires aux États-Unis et il a été récompensé par l’Institut du bien-être rural (IBR) par l’octroi de terres publiques qui étaient destinées à la réforme agraire.

Il a été président du Centre des étudiants de la Faculté de droit et de sciences sociales de l’Université nationale d’Asunción (1986-1987), élu Député national pour la période 1993-1998, candidat au poste de gouverneur du département de l’Alto Paraná en 1998, et candidat au poste de maire de Ciudad del Este en 2001. Il a été élu sénateur en 2018 et expulsé un an plus tard.

Dans l’exercice de sa profession d’avocat, il a représenté Walid Amine Sweid et Ricardo Galeano, chefs d’entreprises liés à un réseau supposé de blanchiment d’argent entre les mains duquel serait passé un total d’1,2 milliard de dollars, à partir de Ciudad del Este.

Il est aujourd’hui le principal représentant de la Croisade nationale [Cruzada nacional], groupement politique qui, sans alliances, a recueilli 700 000 voix pour les présidentielles, pris la place du groupe parlementaire du Front Guasú au Congrès national, le remplaçant comme troisième force politique. Parmi ses candidats élus se trouve notamment Rafael Esquivel, alias Mbururu, qui est accusé d’abus sexuels sur des enfants et que Payo défend, assurant qu’il continuerait à le faire de prison.

Rendre virale la rage

Parmi les différents coups d’éclat parlementaire auxquels il nous a habitués, la scène iconique qui demeure dans l’imaginaire collectif est, sans aucun doute, le moment où il asperge d’une bouteille d’eau une des principales figures du Parti colorado, ni plus ni moins que le sénateur Juan Carlos “Cale” Galaverna. Autre scène dans toutes les mémoires, celle de son arrestation, pantalons baissés, après qu’il a déféqué dans le secrétariat d’un tribunal.

Ses interventions publiques se répandent comme des trainées de poudre dans le monde digital et sont le sujet de discussions dans diverses sphères de la vie sociale. « Eh, t’as vu ce qu’a fait Payo ? » est devenu une question récurrente dans le débat informel sur la politique.

Si la stratégie de communication du show égotiste comme contestation et la visibilité que lui ont donné les médias du groupe Cartes dans les dernières semaines de campagne électorale ont contribué à le lancer, il développe son projet politique depuis déjà des années.

Avec son épouse Yolanda Paredes – aujourd’hui élue sénatrice avec le deuxième plus grand nombre de voix –, ils faisaient partie du mouvement des « escrachadores », dans l’Est du pays : un groupe de citoyens autonomes qui, par le biais d’actions coup de poing retransmises en direct, dénonçaient le clan Zacarías, avec qui paradoxalement Payo a eu aussi une relation politique il y a quelques années.

Un téléphone qui transmet en direct en guise de manifeste politique, un discours incendiaire et autoritaire qui fait facilement mouche dans une société réactionnaire profondément marquée par la dictature de Stroessner très ancrées, la révélation sans fard de certaines vérités, lui ont suffi pour apparaître comme une proposition différente durant une campagne électorale lors de laquelle revenaient à nouveau les formules de toujours.

Il ne faut pas s’étonner que dans les mobilisations ses partisans expriment colère et mécontentement contre les partis politiques traditionnels et brandissent pancartes, drapeaux et téléphones retransmettant les scènes en direct. Les appels à manifester sont diffusés par tik tok en temps réel avec memes et vidéos tragiques ou humoristiques, avec une indéniable efficacité symbolique et matérielle.

Sa popularité a aussi émergé dans un contexte où les principaux moyens de communication applaudissaient les « manifestations de citoyens indignés ». Ces manifestations étaient présentées comme dépourvues d’intérêts sectaires ou idéologiques. Des citoyens « honnêtes » qui, à la place des projets politiques collectifs, en tant qu’individus et personnes morales, téléphone en main, pouvaient changer la réalité en dénonçant les corrompus de « la classe politique ».

Prisonniers de la misère

« Nous préférons mourir ici en luttant pour quelque chose, car de toutes manières nous allons mourir », vociférait une manifestante hors d’elle sur l’avenue Eusebio Ayala il y a quelques semaines. Les laissés-pour-compte de toujours ont occupé la rue en revendiquant de devenir des acteurs. Ils étaient totalement d’accord sur un point : si les choses continuent comme ça, il n’y a pas d’avenir pour eux.

Loin du discours sur la « réussite économique » que proclament les « investisseurs étrangers » et les défenseurs du modèle agro-exportateur, les vitres des édifices des grandes corporations, situés sur l’avenue Santa Teresa, ne reflètent que la misère.

Au Paraguay le fossé des inégalités est un gouffre. Un 1,817 million de personnes (24,7%) vivent sous le seuil de pauvreté et environ 1,805 million de personnes (64,2%) survivent dans le secteur informel.

Avec un niveau d’endettement exorbitant, la concentration des ressources naturelles, le système des prébendes développé à son maximum et le narcotrafic qui contrôle presque tout notre territoire, beaucoup de personnes apparaissent comme surnuméraires dans un État construit pour garantir la spoliation capitaliste et réduire à néant les droits.

Des populations rurales spoliées fuient et s’installent de façon précaire dans les périphéries urbaines qui ne sont pas en condition d’intégrer qui que ce soit au secteur productif. Des travailleurs se voient dans l’obligation d’accepter des conditions de surexploitation, de précarité, de travail au noir, faute de postes de travail et en raison de la grande quantité de main d’œuvre disponible.

Dans ce contexte, il n’est pas difficile d’imaginer que confronté, impuissant, à une déroute quotidienne, le travailleur moyen, privé d’expériences collectives physiques et émotionnelles, ait éprouvé là le plaisir moral d’un acte de rébellion contre un ordre injuste, même s’il n’en jouit qu’au travers d’un écran.

L’effondrement de « l’opposition »

Les dernières élections ont montré clairement que la politique, au delà du nombre de voix, est la capacité de mobiliser des volontés. Plus qu’une victoire écrasante de l’Association nationale républicaine (nom officiel du Parti colorado), les élections ont été marquées par la défaite d’un ticket de candidats à la présidence et vice-présidence incapable de susciter une volonté de changement et de défendre un projet politique solide.

La participation s’est maintenue à 63,24% des inscrits, chiffre qui se répète depuis 2003. Le Parti colorado a obtenu un total de 1 292 079 voix, à peine 87 000 de plus que celles obtenues en 2018, en dépit d’une augmentation de 12,8% du nombre d’électeurs.

Il s’est à nouveau maintenu au pouvoir en mobilisant le socle dur de voix fourni par un système efficace associant clientélisme et prébendes. Il obtient sa victoire la plus impressionnante depuis 1989, ce qui lui permettra de contrôler 15 des 17 postes de gouverneurs du pays et d’être majoritaire à lui tout seul à la Chambre des députés et au Sénat.

Alors que l’opposition progressiste peu inspirée faisait du drame de la succession à Lugo un roman médiatique et que la Concertation s’essayait à une campagne très « instagram », esthétique, et aux discours loin des préoccupations populaires, la qualité de vie de milliers de nos compatriotes s’effondrait. Dans les derniers jours, ces acteurs politiques évincés de notre malmenée « opposition » malmenée n’ont rien trouvé d’autre que d’invoquer une supposée « fraude électorale ».

Face à une crise aiguë de représentativité politique, la plus importante de notre ère démocratique, et à l’incertitude sociale angoissante, il va falloir trouver de nouvelles formes de dialogue avec ce nouveau cycle, en partant d’une position honnête et en dépassant les algorithmes, les perceptions fumeuses, les pratiques ringardes, et une vieille « nouvelle droite » qui se présente comme novatrice en usant d’artifice.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3663.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : journal digital E’a (Paraguay), 8 mai 2023.

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