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DIAL 3669

CHILI - Discours du président Gabriel Boric lors de la cérémonie de commémoration des 50 ans du coup d’État du 11 septembre 1973

vendredi 29 septembre 2023, mis en ligne par Dial

Candidat de la coalition de gauche Apruebo Dignidad, Gabriel Boric a été élu au second tour de l’élection présidentielle de 2021 avec 55,87% des voix contre le candidat d’extrême droite José Antonio Kast (44,13%). Âgé alors de 36 ans, il a pris ses fonctions le 11 mars 2022.

Le 11 septembre 2023 marquait le cinquantième anniversaire du coup d’État du 11 septembre 1973 qui a mis fin par la force au gouvernement d’Unité populaire conduit par Salvador Allende (1970-1973). Voici le discours de Gabriel Boric lors de la cérémonie de commémoration organisée ce jour-là, devant La Moneda. Texte publié le 11 septembre 2023 sur le site Prensa Presidencia du gouvernement chilien.


La cérémonie s’est déroulée sur la Place de la Constitution et a réuni plus de 3 000 personnes.

Après les événements commémoratifs des 50 ans du coup d’État, le Président de la République, Gabriel Boric Font, a présidé l’événement central organisé sur la Place de la Constitution.

La rencontre émouvante a commencé avec l’hymne national interprété par Valentín Trujillo, suivi de la danse La Cueca Sola [1] Vinrent ensuite la récitation de poèmes d’Elicura Chihuailaf et d’Elvira Hernández. Après une minute de silence à 11h52, au moment où La Moneda a été bombardée il y a 50 ans, ont pris la parole Estela de Carlotto, présidente de l’organisation des Grands-Mères de la Place de Mai, la sénatrice Isabel Allende et enfin le Président de la République. Pour clôturer la cérémonie a été présenté un spectacle musical de Mon Laferte, Yorka et Pascuala Ilabaca.

Voici le discours intégral du Président.

Bonjour à tous et toutes.

Tout d’abord, je salue le peuple chilien qui nous accompagne sur cette place et sur toutes les places. Je salue les groupes et organisations de défense des droits humains ici présentes et toutes les personnes qui nous accompagnent ici ou au sein de leurs domiciles et de leurs lieux de travail. Que soient remerciés aussi nos invités qui sont venus, parfois de très loin, parfois pour quelques heures seulement, mais qui ont fait l’effort de nous accompagner parce qu’ils savaient combien c’était important pour nous et, aussi, combien ce moment avait été important pour eux.

Aux présidents Luis Arce de Bolivie, Gustavo Petro de Colombie, Andrés Manuel López Obrador du Mexique, Luis Lacalle Pou d’Uruguay, António Costa, premier ministre de la République portugaise et Peter Tschentscher, président du Conseil fédéral d’Allemagne. Aux anciennes présidentes et présidents Ernesto Samper et Juan Manuel Santos de Colombie, Laura Chinchilla du Costa Rica, Felipe González d’Espagne, Tarja Halonen de Finlande, Pepe Mujica d’Uruguay et Massimo D’Alema d’Italie.

De même, à tous les ministres des délégations officielles et officieuses, à celles et ceux qui représentent la culture, l’art, la musique, le rock et, aussi, la rébellion. Aux représentants des organisations internationales, aux militants venus de si loin pour nous accompagner durant cette commémoration.

Je remercie bien sûr aussi les autorités nationales, mes collaborateurs, les pouvoirs de l’État présents et, en particulier, l’ancien président Ricardo Lagos et l’ancienne présidente Michelle Bachelet.

Compatriotes, chères amies et amis :

Aujourd’hui, comme l’ont dit celles qui m’ont précédé, avec en outre aussi un sourire inoubliable, Estela, avec une immense émotion, Isabel, nous commémorons une date douloureuse et qui représente sans aucun doute un tournant dans notre histoire, dans une histoire partagée, qui a apporté la mort, qui a apporté souffrance, persécution et pauvreté à notre patrie.

Aujourd’hui, nous nous souvenons de ceux qui ont défendu la Constitution et les lois lorsqu’il y a 50 ans l’État de droit tombait, écrasé par la force des avions, des chars et des armes et par l’insolence de la trahison et de la sédition.

Aujourd’hui, aussi, nous portons dans notre cœur ceux qui, dès le premier jour, ont été persécutés pour leurs idées, qui sont morts ou qu’on a fait disparaître, qui ont connu la prison, la torture, la relégation et l’exil. C’est pourquoi il est très important de dire clairement que le coup d’État ne peut être séparé de ce qui a suivi, dès le jour du coup d’État les droits humains des Chiliens et Chiliennes ont été violés.

C’est aussi un jour, chers compatriotes, pour s’arrêter et penser à celles et ceux qui sont absents. Pour se souvenir avec amour et gratitude de celles et ceux qui, dès le premier jour, se sont consacrés, souvent de manière anonyme à sauver des vies. Pour reconnaître également la solidarité internationale qui s’est manifestée dès les premières heures du coup d’État, se souvenir de toutes ces personnes anonymes qui ont protégé les persécutés et qui ont soutenu les désemparés lorsque, brusquement, toute la force de l’État s’est retournée contre eux.

C’est aussi, chers citoyens, une journée pour réfléchir à ce que nous avons appris au cours de ces 50 ans et renforcer ainsi notre vivre-ensemble. C’est pourquoi, comme l’a rappelé la sénatrice Isabel Allende, j’apprécie profondément qu’avec les anciens présidents chiliens encore vivants, Eduardo Frei Ruíz-Tagle, Ricardo Lagos Escobar, Michelle Bachelet Jeria et Sebastián Piñera Echenique, nous ayons signé ensemble le Manifeste pour la démocratie toujours, parce que c’est dans la diversité et avec ceux qui pensent différemment que nous pouvons construire une société meilleure.

Je remercie également les dirigeants, anciens dirigeants et personnalités étrangères qui, dans le même esprit, ont signé l’Engagement de Santiago qui poursuit les mêmes objectifs dans une perspective globale, conscients que les menaces contre la démocratie ne se limitent ni ne se cantonnent aux frontières nationales. Cet engagement peut paraître limité, mais il ne l’est pas à l’époque qui est la nôtre, c’est un engagement important dans la mesure où il est assumé de manière transversale par celles et ceux d’entre nous qui pensent légitimement différemment, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons prendre soin de la démocratie.

C’est pourquoi aujourd’hui est aussi l’occasion de parler du présent et de l’avenir. Et comme je l’ai déjà dit, je suis d’un optimisme sans faille quant à l’avenir du Chili, de l’Amérique latine et du monde. Je sais que nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés, que ces jours-ci la pluie impacte durement Chillán et Licantén, que la sécheresse a fortement affecté les républiques sœurs, que la pauvreté et les inégalités continuent de déchirer durement nos peuples dans toute notre Amérique latine.

Mais je veux vous dire, avec certitude et toute ma conviction, que si nous nous unissons, nous pouvons avancer, que lorsque nous parvenons à placer le bien-être de nos peuples au-dessus de nos différences, le meilleur de nous s’exprime toujours, et que le sourire latino-américain est contagieux et mobilisateur.

C’est pourquoi, compatriotes, depuis ce Santiago, qui brille après la pluie, nous proclamons avec une grande conviction que la violence ne doit plus jamais remplacer le débat démocratique dans notre vivre-ensemble. Et aujourd’hui, nous disons devant le Chili et le monde : la démocratie, aujourd’hui et toujours.

Ainsi, dans ce contexte, nous nous réunissons maintenant pour rappeler cette vérité inconfortable mais essentielle à laquelle nous devons faire face, celle qui nous dit que la démocratie n’est pas garantie et que nous devons chaque jour travailler transversalement pour la protéger. Quelles que soient nos différences et les circonstances, aussi grandes soient-elles, il existe un bien plus grand qui doit nous unir.

C’est également un bon jour pour se souvenir que le défi permanent de la démocratie est de ne manquer jamais d’être attentif aux signes de frustration qui traversent l’ensemble de la société, en lien avec la promesse d’un plus grand bien-être, d’égalité, de justice, de retraites décentes pour celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie, de reconnaissance du travail non rémunéré des femmes, d’une répartition plus équitable des richesses, de la protection de l’environnement, du respect de nos peuples autochtones, de l’attention portée aux filles et garçons de nos pays.

C’est le moment pour nous de pouvoir regarder plus loin, de relever la tête et de laisser de côté les querelles pour prendre soin de notre démocratie. Le refrain le plus populaire n’est pas toujours la meilleure solution, nous devons utiliser la démocratie pour résoudre les problèmes du peuple et non les petits différends entre ses autorités.

Je veux vous inviter, Chiliennes et Chiliens, ainsi que celles et ceux qui nous écoutent dans le reste du monde, à revendiquer la primauté et la validité universelle des droits humains dans leurs dimensions juridique, politique et éthique, et à revendiquer cette Déclaration qui nous a permis d’avoir pour la première fois des normes fondées sur la dignité et la valeur de la personne humaine sans nulle remise en question et sans nulle différence.

Et j’ose aussi, en cette commémoration, renforcer l’apprentissage et la réflexion des forces progressistes et de gauche concernant nos propres évolutions. La démocratie est le seul moyen d’avancer vers une société plus juste et plus humaine ; elle constitue donc une fin en soi et non seulement un moyen et la violence politique n’y a pas sa place.

Les changements structurels auxquels nous aspirons doivent être soutenus par de larges majorités et notre travail est de convaincre ces larges majorités de participer à ces processus et non de les blâmer de nos propres échecs. Ni le monde ni un pays ne partent jamais de zéro, nous sommes toujours les héritiers de ce que nos ancêtres ont construit et nous devons pouvoir apprendre de leurs lumières et de leurs ombres.

Notre unité des forces progressistes est plus importante que la tentation d’une division identitaire permanente et peu importe la couleur du régime qui viole les droits humains, qu’il soit rouge, bleu ou noir, ceux-ci doivent toujours être respectés et leur violation condamnée sans aucune nuance.

Comme l’a dit Estela, ce qui s’est passé en Argentine, ce qui s’est passé en Uruguay, ce qui s’est passé au Chili doit être douloureux pour ceux qui en ont été victimes et pour ceux qui n’en ont pas été victimes, car en fin de compte, nous sommes une communauté. C’est pour cela aussi que la souffrance des autres pays nous fait mal.

Le coup d’État et la dictature chilienne, le bombardement de La Moneda et la mort du président Salvador Allende ont ébranlé des millions d’hommes et de femmes à travers le monde. Ceux qui avaient vu au Chili un espoir de changements profonds, dans la démocratie et le pluralisme, en faveur de la justice sociale, où, pour reprendre cette célèbre phrase, notre chemin, notre voie chilienne était « avec des empanadas et du vin rouge », et cela signifiait avec la démocratie, le pluralisme et la liberté, c’était une voie de changements en faveur de la justice sociale, toujours dans le respect des droits des minorités.

Après la tragédie, des pays du monde entier ont accueilli des milliers de nos compatriotes qui, du jour au lendemain, ont tout perdu et ont dû recommencer une nouvelle vie dans des lieux aussi éloignés et jusqu’alors étrangers que Malmö, Paris, Moscou, Maputo, México, Caracas, La Havane, Sydney et tant d’autres lieux qui ont accueilli les réfugiés chiliens.

Il s’agissait de compatriotes de Lota, Calama, La Granja ou Valparaíso qui sont arrivés dans ces lieux lointains grâce à la générosité, la bravoure et le courage inestimable de gens souvent anonymes, des personnes qui, sans aucune obligation, ont décidé de sauver des vies. Nous rendons aujourd’hui hommage, comme nous l’avons fait hier à l’ambassade du Mexique, il y a quelque temps à Paris, comme nous l’avons fait avec la Suède ou encore au Venezuela, aux diplomates étrangers qui ont fait de leur mieux dans les moments très difficiles de notre histoire, qui ont été confrontés à la peur et à la terreur, qui défièrent la dictature pour mettre un peu d’humanité dans le regard des persécutés, de leurs conjoints et de leurs enfants.

Comme vous le savez, non seulement moi, mais une bonne partie de mon gouvernement, appartenons à une génération qui n’a pas connu le coup d’État et qui, dans certains cas, se souvient vaguement de la période finale de la dictature, car elle a été une dictature jusqu’à la fin et le 4 septembre 1989, Jécar Neghme est assassiné sur l’avenue Bulnes. Une génération qui se souvient des dernières années de la dictature ou des difficultés des premières années de transition, mais qui a joui des bénéfices de la vie en démocratie.

Tout comme moi, la majorité des Chiliens qui habitent aujourd’hui notre pays sont nés après le 11 septembre 1973. Quel sens cela a-t-il alors de se souvenir de quelque chose qui s’est produit il y a 50 ans ? C’est pourquoi, depuis cette tribune, je veux m’adresser aux nouvelles générations, à celles qui ont grandi ou sont nées en démocratie et qui, par conséquent, la considèrent comme allant de soi. Je veux que nous sachions, que nous comprenions et que nous gardions en tête que le sacrifice des personnes qui nous ont précédés dans la longue histoire de notre patrie nous oblige à en prendre soin jour après jour. Et j’invite chacun de vous, à penser non seulement comme une figure rhétorique, mais vraiment, chacun de vous, à vos pères, à vos mères, à vos grands-pères ou à vos grands-mères ou même à vos ancêtres plus lointains.

Pensez à ceux qui sont venus de la campagne à la ville, à la femme ce la pampa arrivée à Iquique au début du siècle dernier à la recherche d’une vie meilleure après les mines de nitrate. Aux ouvriers syndiqués, qui arrachèrent par la grève leur droit au repos dans les années 1920. À l’ouvrier, à l’artisan qui a appris à lire avec l’essor de l’enseignement public dans les années 1930. Aux femmes, qui se sont courageusement organisées et ont revendiqué leur droit d’être des citoyennes à part entière dans les années 1940.

Pensons, compatriotes, et chacun de vous a une histoire dans sa famille, un passé à se remémorer, aux familles paysannes, qui dans les années 60 seulement se sont libérés du joug du fermage, après des siècles de ce nouveau type d’esclavage. Aux enfants malnutris, qui dans les années 70 ont reçu pour la première fois leur demi-litre de lait et, aussi, aux jeunes des années 80 qui nous accompagnent aujourd’hui au gouvernement, qui ont lutté pour récupérer la liberté perdue. Pensons aux homosexuels et lesbiennes qui, dans les années 90, exigèrent que soient respectées leurs identités, réduites au silence et longtemps bafouées.

La démocratie, chers compatriotes, est une construction continue, c’est une histoire sans fin et les bénéfices dont nous jouissons aujourd’hui, les libertés qui aujourd’hui peuvent nous paraître insuffisantes et si naturelles ont été obtenues et consolidées grâce aux efforts de ceux qui nous ont précédés, et, bien souvent, à leurs souffrances.

Pour cette raison, particulièrement vous les nouvelles générations, je vous invite à sortir des écrans, à lever les yeux et à vous demander : que faisons-nous aujourd’hui pour celles et ceux qui viendront ?

Il y a 50 ans, cette avancée historique continue, parfois lente, parfois insuffisante, mais continue, de conquêtes pour la dignité du peuple a été menacée et tronquée. Mais même dans la nuit la plus sombre, il y a eu celles et ceux qui se sont battus courageusement et anonymement pour que nous ne perdions pas les avancées que nous avions réalisées au prix de tant d’efforts, celles et ceux qui ont gardé un petit morceau d’histoire pour pouvoir la raconter, ceux qui ont enregistré une cassette et l’ont passée de main en main, ceux qui ont enterré leurs livres. Cela eut un coût qui, dans de nombreux cas, fut trop élevé.

Et tout comme nos propres blessures physiques, quand elles ne cicatrisent pas correctement, la douleur demeure, mais en plus, les blessures du cœur, les blessures de l’âme se transmettent de génération en génération.

C’est pourquoi nous avons aujourd’hui la responsabilité d’affronter ce qui s’est passé au cours de ces années avec vérité, justice et réparation. C’est seulement en assumant les dettes du passé et en guérissant véritablement ces blessures, ce qui ne peut être décrété par une lettre au journal ou par une interpellation des victimes, que seront possible un vivre-ensemble harmonieux et la construction d’une société qui se projette humainement vers l’avenir.

Nous savons que le coup d’État, et c’est important de le dire, le coup d’État a bouleversé profondément la vie de tous les Chiliens et Chiliennes, pas seulement des personnes qui militaient dans les partis politiques de l’Unité populaire ou qui croyaient au projet que représentaient cette alliance politique. Un projet dirigé par un homme au parcours démocratique irréprochable, qui a été l’interprète de grands désirs de justice, qui a promis de respecter la Constitution et les lois et qui l’a fait, cet homme, Salvador Allende, pour son engagement et sa rectitude, 50 ans plus tard, le monde continue de lui rendre hommage et de le respecter.

Il y a parfois des gens qui nous poussent à cacher son nom. Cependant, comme l’a bien dit Isabel, lorsque vous visitez pratiquement n’importe quel pays démocratique du monde, vous rencontrez le nom de Salvador Allende. Mais ce n’est pas tout, dans notre pays, et je raconte cela comme une expérience personnelle car il a, comme d’autres hommes et femmes de son temps, parcouru longuement le pays, du sud au nord, et je me suis souvent retrouvé dans de petites villages, des villages oubliés, avec des gens qui me serrent la main et me disent avec émotion : « J’ai serré la main de deux présidents, Salvador Allende et aujourd’hui vous. »

Et dans ces regards usés, dans ces regards où l’on devine les larmes des souvenirs vécus et dans ces mains rugueuses qui serrent les miennes avec espoir, je ressens, Chiliens et Chiliennes, le poids de la longue histoire de notre pays.

C’est pourquoi, en un jour comme aujourd’hui, il convient de se souvenir de toutes celles et ceux qui ont parcouru cette histoire et de celles et ceux qui ont accompagné et accueilli la douleur du moment où celle-ci a été interrompue, car nous savons qu’au milieu de la terreur, des organisations se sont levées, non sans mal, sous les menaces. Nous leur rendons aujourd’hui hommage, notamment au Comité Pro Paix, au Vicariat de la solidarité, à la Fondation d’aide sociale des églises chrétiennes, aux associations des familles de détenus disparus qui ont frappé à toutes les portes possibles et imaginables, aux membres des familles des prisonniers politiques, des exécutés politiques, des relégués et des exilés, au Mouvement contre la torture Sebastián Acevedo, à la Fondation pour la protection des enfants touchés par les états d’urgence, à la Commission chilienne des droits humains, au Comité pour la défense des droits du peuple (Codepu), au Service paix et justice du Chili, à la Commission nationale pour les droits de la jeunesse, parmi tant autres non seulement à Santiago mais dans tout notre pays.

Tous et toutes méritent notre reconnaissance pour avoir défendu, en ces durs moments, la dignité et la solidarité dans des circonstances obscures durant lesquelles elles ont fait briller, non par des discours mais par d’humbles actes, le meilleur de l’humanité. Ce sont les associations des familles et des survivants, les organisations des droits humains et les sites de mémoire qui ont maintenu toujours vivantes, malgré tout, malgré la négation et malgré le mécontentement de beaucoup, leurs exigences de vérité, de justice, de réparation, de mémoire et de garanties que cela ne se répétera pas.

Il y a aujourd’hui, chers compatriotes, des gens qui nous critiquent d’être à leurs côtés, de cheminer avec elles, de nous déclarer leurs débiteurs en même temps que leurs complices. Je leur dis, avec beaucoup de conviction, avec aussi beaucoup de tranquillité, que je ne regrette pas une seconde d’être avec mon gouvernement du côté de celles et ceux qui ont souffert, et que l’unité et la réconciliation ne se construisent pas en observant neutralité et distance mais plutôt en se plaçant, de façon indiscutable, du côté de celles et ceux qui furent victimes de l’horreur.

Pour aller vers la réconciliation, chers compatriotes, il ne peut pas s’agir de prétendre égaler les responsabilités entre victimes et bourreaux, mais plutôt de faire tout ce qui est à notre portée pour trouver la vérité, la justice et nous engager à ce que que, comme l’ont chanté hier avec force des Chiliennes devant La Moneda : Plus jamais.

Cette responsabilité aurait cependant dû être assumée à tout moment par l’État. Et c’est pour cette raison que nous avons pris la décision de faire un nouveau pas en avant et, comme nous l’avons dit il y a quelques jours sur cette même place, à ce jour nous ne savons toujours pas où se trouvent 1162 compatriotes, femmes, hommes, adolescents, garçons et filles.

Il est temps de résoudre ces absences, de corriger les erreurs, de réparer les dégâts pour nous projeter au-delà de nos douleurs car, malgré l’effort, que nous reconnaissons et valorisons, qui a été fait à travers différentes instances extrêmement importantes en leur temps, comme le Rapport Rettig d’abord, ou la Commission Valech, plus tard, deux efforts louables ayant rencontré beaucoup de résistance à l’époque, ne l’oublions pas, mais qui ont été soutenus par les présidents Aylwin et Lagos pour avancer dans la connaissance de la vérité historique et contribuer, à partir de là, à la justice, combattre, petit à petit, l’impunité et faire avancer ainsi des enquêtes judiciaires qui ont trop duré mais qui se poursuivent encore aujourd’hui.

Il est vrai cependant que l’État doit faire davantage pour obtenir les réponses que le pays mérite et dont il a besoin pour guérir, car, chers compatriotes, quand nous manque un détenu ou une détenue disparue, ce n’est pas seulement le fils ou la fille, ce n’est pas juste une sœur ou un père ou un ami ou une camarade, mais c’est une absence qui nous affecte et nous déchire tous et toutes.

La recherche de justice ne peut donc pas dépendre exclusivement des efforts des familles et des proches, c’est un devoir incontournable de l’État. L’État les a fait disparaître et l’État doit se charger de savoir où elles se trouvent.

C’est précisément l’objet du Plan national de recherche, vérité et justice, qui est le marqueur institutionnel que nous avons voulu donner à cette commémoration.

Et comme nous avons avancé hier avec la demande de pardon du Président Aylwin durant la lecture du Rapport Rettig ; comme le Président Frei a tenté d’avancer, à l’époque, en générant des instances de rencontre entre les membres des familles des victimes et les forces armées ; comme le président Lagos a créé la Commission Valech ; comme la présidente Bachelet a ouvert de nouvelles portes auparavant fermées ; comme le président Piñera a parlé de complices passifs, il est important que, avec nos différences, nous soyons capables de reconnaître ceux qui, pensant différemment, ont apporté aussi une contribution.

Aujourd’hui, notre gouvernement entend laisser en héritage ce Plan national de recherche, vérité et justice, qui est le marqueur institutionnel que nous avons voulu donner à cette commémoration, une politique publique permanente qui transcendera ce gouvernement, qui a été construite avec les associations de familles des détenus disparus et qui espère contribuer à réparer, dans une certaine mesure, les dégâts causés il y a si longtemps, mais qui sont toujours présents.

Chiliennes et Chiliens :

L’expérience douloureuse du coup d’État et de la dictature a profondément marqué des générations de Chiliennes et Chiliens. Et, pour cette raison, nous répétons avec force : Plus jamais. Et, pour cette raison, cela nous fit violence lorsqu’il y a seulement quelques années, à nouveau, dans notre patrie, les droits humains ont été violés durant la vague de manifestations initiées en 2019.

Pour cette raison, sans prétendre donner des recettes ou des leçons à qui que ce soit, nous voulons transmettre au monde notre histoire, ce qui nous est arrivé et ce que nous croyons pouvoir être des enseignements.

La première chose que nous avons apprise est que le passé compte en effet pour regarder l’avenir, que la façon dont nous prenons en charge et guérissons les blessures nous permet de nous reconnaître comme faisant partie d’une même communauté, que cela n’a pas encore abouti au Chili et qu’il faut redoubler d’efforts dans ce sens, même si cela nous coûte, même si cela nous fait du mal.

Nous pouvons être une société meilleure si là où régnaient le silence et la dissimulation, il y a maintenant la vérité, si là où il y avait des crimes et des tortures il y a la justice, si là où existait la cruauté il y a maintenant la compassion, l’affection, la justice et la réparation, et si là où il hier il y avait déni, il y a aujourd’hui une reconnaissance des crimes commis dans le passé.

Nous avons, dans l’ensemble, appris à valoriser la démocratie en termes absolus car, en dehors d’elle, il n’y a ni liberté ni dignité possibles et nous continuerons d’insister inlassablement sur le fait que les problèmes de la démocratie peuvent toujours être résolus avec plus de démocratie et qu’un coup d’État ou des violations des droits humains de celles et ceux qui pensent différemment ne sont jamais justifiables.

Et c’est pour cela que nous réagissons lorsqu’on nous dit qu’il n’y avait pas d’autre alternative, bien sûr qu’il y en avait une autre alternative ! et demain, lorsque nous connaîtrons une autre crise, il y aura toujours une autre alternative qui implique plus de démocratie et non moins.

Pour conclure, chers compatriotes, l’engagement qui nous anime aujourd’hui doit aller au-delà de la situation du moment, nous devons être capables de penser à l’avenir que nous construisons. Pour cela, l’engagement inébranlable en faveur de la démocratie et le respect des droits humains est important et transcendant, car les générations plus âgées ne seront pas là éternellement pour défendre la mémoire de leurs morts ou de ce qui leur est arrivé. Les histoires qu’on ne raconte plus s’oublient.

Nous sommes donc un relais dans l’histoire et c’est à nous de transmettre également aux nouvelles générations ce qu’ont vécu nos ancêtres. La démocratie et les droits humains doivent être appropriés et valorisés par chaque nouvelle génération. Embrassons-la ensemble, reconnaissons les défis qu’elle nous présente, assumons ses complexités et témoignons-lui un peu plus d’affection, un peu moins de méfiance, regardons-nous un peu plus dans les yeux et voyons que, même si nous pensons différemment, nous avons plus de points d’accord que ceux que nous pensions avoir.

Parce qu’une démocratie, son attrait est de permettre aux différences légitimes de s’exprimer et de se résoudre dans la paix et sans violence, une démocratie efficace pour écouter, respecter et, bien sûr, répondre aux préoccupations et aspirations de ses citoyens pour plus d’inclusion, de sécurité, de justice sociale et une répartition plus équitable des richesses – et que tout cela soit considéré comme une construction permanente.

J’invite, d’ici, les Chiliennes et Chiliens de toutes les générations et celles et ceux qui nous accompagnent de l’étranger, à continuer à rêver d’un Chili et d’un monde plus démocratique, plus juste, plus inclusif, plus égalitaire, plus durable et plus aimable. Un monde où, comme le chantait Violeta Parra, nous soyons capables de considérer que le chant de tous est notre propre chant.

Avec les rêves d’hier toujours vivants, avec l’énergie brûlante d’aujourd’hui, avec la certitude d’un lendemain dynamique, disons, une fois encore, avec amour, pour celles et ceux qui ne sont pas là, avec estime pour celles et ceux qui nous accompagnent aujourd’hui ici, et avec douceur pour celles et ceux qui nous succéderont : la démocratie, aujourd’hui et toujours.

Merci beaucoup.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3669.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Prensa Presidencia, 11 septembre 2023.

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[1La cueca est une danse traditionnelle chilienne qui se danse à deux. Après le coup d’État du 11 septembre 1973, les femmes dont les compagnons étaient disparus ou assassinés ont commencé à danser la cueca seules, avec juste un tissu blanc, pour rendre visibles et dénoncer ces absences.

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