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ESPAGNE-VENEZUELA - Les médias et la polémique entre le roi Juan Carlos de Borbón et le président Hugo Chávez

Mauricio Ruano Alfaro

lundi 17 décembre 2007, mis en ligne par Mauricio R. Alfaro

26 novembre 2007 - Lors de la clôture du sommet Espagne-Amérique latine qui s’est tenu au Chili du 8 au 10 novembre (2007), le roi d’Espagne Juan Carlos de Borbón a fait montre, aux yeux de l’Amérique latine et du monde entier, d’une attitude très éloignée du respect et des normes élémentaires de la diplomatie internationale. En effet, dans une posture outrée et le regard haineux, le roi Juan Carlos de Borbón a lancé sur un ton comminatoire (pour ne pas dire impérial) au président Hugo Chávez – comme s’il s’agissait du dernier de ses serviteurs – l’invective suivante : « Pourquoi tu ne la boucles pas ? ». Les images transmises par la télévision espagnole, nous montrent dans la même séquence, le président espagnol José Luis Zapatero, le visage et le regard inquiets, propres de celui qui a saisi la gravité de la situation. Il faut prendre en considération que c’est sur ces images et ces actes peu diplomatiques, que la dernière rencontre Espagne-Amérique Latine prenait fin. Au cours de ce sommet, le consensus a été établi de rédiger un document final sous le thème central de la réunion : la cohésion sociale. Certains y verront peut-être l’ironie de l’Histoire.

Dans la présente réflexion, nous allons d’une part, tenter de comprendre les mécanismes de la manipulation médiatique soumettant toute information à une dialectique simpliste que nous appelons : celle du bon et du méchant. Ensuite, nous tenterons d’éclaircir, ce qui a provoqué la colère du roi à l’égard du président Hugo Chávez et l’inquiétude que nous avons pu lire sur le visage et le regard du président José Luis Zapatero.

Les bons (le bien) et les méchants (le mal)

Pour comprendre la polémique entre le roi Juan Carlos de Borbón et le président Hugo Chávez, il va falloir dépasser la simple vision manichéenne du conflit, telle que présentée par les médias. Ceux-ci semblent préoccupés, depuis toujours, de fabriquer une image simpliste des conflits sociaux dans le souci de réduire ou d’occulter (par tous les moyens possibles) les intérêts socio-économiques qui provoquent les luttes politiques. La technique semble déjà connue : il s’agit de situer d’un côté, les bons ; de l’autre côté, les méchants. Dans une version qui rappelle la lutte apocalyptique entre le bien et le mal.

Dans le cas concret de l’Amérique latine, pour saisir les effets dévastateurs de cette technique des médias il s’agit simplement de se souvenir de l’histoire toute récente de la région : celle où le bien et le mal s’y affrontaient dans une guerre totale. À cette époque les médias, à travers des campagnes très bien montées, avaient représenté le bien par ces forces qui se battaient pour la liberté contre les forces inspirées ou manipulées par le mal, l’ex-URSS et son agent inconditionnel, Cuba. C’était l’époque des dictatures militaires et des escadrons de la mort dont le coup d’État contre le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende restera le symbole d’une période où la mort et le désespoir régnaient dans la région. À présent, à l’instar de cette période traumatisante, la région glisse progressivement vers une nouvelle version de guerre totale entre le bien et le mal. Sauf que cette fois, le bien y est représente par les forces se battant pour sauvegarder la démocratie versus les forces du mal incarnées dans le populisme régional.

La procédure médiatique

La polémique entre le roi Juan Carlos de Borbón et le président Hugo Chávez offre, à notre avis, un cas test pour clarifier le rôle des médias dans la fabrication simpliste de l’information telle que décrite ci-dessus. Pour avoir suivi quotidiennement les nouvelles et les analyses de l’événement qui nous occupe, nous notons que dans la mise en scène (où les rôles du bon et du méchant ont été répartis), le roi Juan Carlos de Borbón joue le rôle d’un libéral et, par définition, un partisan de la démocratie. Par contre, Hugo Chávez joue le rôle d’un populiste radical et, par définition, antidémocratique.

Les thèses qui s’affrontent sont ainsi campées : démocratique versus antidémocratique. Notons que cette fixation se réalise à l’intérieur d’un cadre de référence culturelle à sens unique où la démocratie de contenu libéral est proposée comme le modèle politique par excellence (comme une chose naturellement bonne). Par ce biais, la démocratie libérale est auréolée (consciemment ou inconsciemment) de toutes les vertus. Elle est : civilisée, moderne, pacifique, ouverte, tolérante et ainsi de suite. Et, à cause de toutes ces qualités inhérentes, il est tout à fait normal qu’elle se voit et se propose comme la Référence.

De cette manière n’importe quel pays, lorsqu’il implante son modèle politique, doit tourner son regard vers cette Référence pour savoir, s’il est proche ou éloigné du modèle démocratique. Par les temps qui courent il s’agit, pour se guider dans un monde en constante évolution, de bien connaître les règles (ou peut-être vaut-il mieux dire, le catéchisme) du jeu démocratique : des élections libres périodiquement organisées, État minimal laissant toute la place à l’épanouissement du marché libre. Si le gouvernement d’un pays déterminé reprend cette recette, il peut, indépendamment des conditions de vie matérielle de ses citoyens, se considérer comme faisant partie des gouvernements démocratiques. Bien entendu, à l’opposé, se trouvent ces pays éloignés de la norme démocratique (universelle). Ils sont, inévitablement, antidémocratiques (entendre dictatoriaux) et jetés, par le fait même, dans une sorte de monde à part ; là où règne l’irrationalité, l’archaïsme et l’intolérance.

C’est à l’intérieur de cette dialectique simpliste du bon et du méchant (où se concrétise de la part des médias une soigneuse manipulation de symboles (et croyances) populaires qui fixe l’opinion des gens) que les événements sociaux vont s’expliquer. Pour l’exemple concret qui nous occupe (la polémique entre le roi Juan Carlos de Borbón et le président Hugo Chávez) quel autre type de dialogue pouvait-on prendre en considération (tenant compte du cadre référentiel culturel décrit plus haut) entre un démocrate et un antidémocrate.

Autrement dit, comment un démocrate comme le roi pouvait-il ramener à la raison un radical populiste tel qu’Hugo Chávez ? Alors, pour le roi, l’unique alternative qui lui restait c’était de lui imposer silence en criant : « Pourquoi tu ne la boucles pas ? » Acte qui, selon la télévision et la presse espagnole, a été approuvé et même célébré en Espagne et en Amérique latine, puisque selon elles, les peuples de cette région sont fatigués de l’impertinence langagière (de la diarrhée verbale chronique de Chávez, selon un article apparu dans The Economist (Serrano (1)) et des menaces du dictateur Chávez. Selon une émission espagnole, cette interprétation trouve sa confirmation dans le fait que l’opposition vénézuélienne a fait de cette même phrase le slogan principal de sa campagne pour contrer le référendum du deux décembre dans ce pays.

Tentons maintenant de dépasser les regards simplistes des médias et leur vision manichéenne des conflits sociaux ; car ils sont plus intéressés à la forme (assaisonnée d’épithètes chargés d’une forte dose d’émotivité) qu’au contenu des débats. L’exemple de The Economist cité ci-dessus n’a pas été l’exception sinon la règle. Interrogeons-nous sur les faits qui auraient pu provoquer la réponse colérique du roi, de même, que l’attitude inquiète du président José Luis Zapatero.

Ce que les médias occultent

Avant le 10 novembre, jour de clôture du sommet Espagne-Amérique latine au Chili, le journal La Jornada – dans son éditorial du 11 novembre (voir bibliographie) – note que dans cette réunion, et pour la première fois chose incroyable, commente l’éditorialiste, les entreprises espagnoles ont été l’objet de fortes critiques de la part des chefs d’État d’Argentine, du Venezuela et du Nicaragua.

Juan Carlos Monedero (professeur et consultant politique espagnol), dans l’émission de la télévision espagnole 360 grados de la chaine 3 [1], tente également de situer les événements qui ont précédé le 10 novembre ; et il note, que le sommet avait été inauguré par le président du patronat espagnol et que, lors de son allocution, il a insulté les gouvernements d’Argentine, du Venezuela et de la Bolivie. Il mentionne, également, que le président Kirchner a questionné la médiation du roi espagnol dans le conflit qui oppose l’Argentine à l’Uruguay, à cause d’une usine papetière. La raison, le roi peut être en conflit d’intérêts. Dans le même ordre des choses, il signale qu’Aznar (ex-président espagnol) fait des constantes critiques au gouvernement vénézuélien et que le Parti populaire (PP) espagnol a envoyé des conseillers politiques pour déstabiliser le gouvernement d’Hugo Chávez.

Ces commentaires et ces observations font voir qu’avant le 10 novembre, il y avait déjà une ambiance très tendue entre les participants à ce sommet et que l’incident du 10 n’a été, que la mise à jour éclatante des visions inconciliables que les acteurs politiques ont sur la région. Les uns, en faveur du modèle dominant (le néolibéralisme), les autres, critiques de ce courant de pensée. C’est ce que l’on peut déduire des observations de Carlos Fernandez (professeur de philosophie) dans l’émission espagnole, mentionnée ci-haut. Selon ce dernier, ce jour-là, il y a eu, dans la conduite des débats, des irrégularités qui ont été permises par le médiateur de l’événement, la présidente du Chili Michelle Bachelet. Le fait est, d’après Carlos Fernandez, que l’ordre des interventions a été bouleversé par le président José Luis Zapatero ; puisque après l’intervention du président Evo Morales, le participant suivant devait être, selon l’agenda, le président Daniel Ortega. Le président José Luis Zapatero a donc pris la parole à un moment qui ne lui était pas réservé. Et c’est son allocution qui a provoqué la dérive de l’événement. Pourquoi ?

Dans son discours prononcé dans le cadre du sommet, le président Evo Morales a soutenu, qu’en Bolivie tous les problèmes rencontrés trouvent leur origine dans la nationalisation des hydrocarbures. Il disait : « Nous parlons d’une cohésion sociale, mais il serait mieux de parler d’une cohésion des présidents pour impulser un nouveau modèle économique qui ne soit pas néolibéral. » Il a ajouté : « Dans le cas de la Bolivie, les privatisations, les enchères ne sont pas une solution à ses problèmes. Messieurs les Présidents, les services d’eau, les services électriques et d’autres ne peuvent pas être sous contrôle de l’entreprise privée. » C’est également dans ce contexte, que le président Evo Morales a fait un appel, pour qu’une nouvelle forme de solidarité internationale soit mise sur pied [2]. Et c’est en réponse à ce discours, que le président José Luis Zapatero est intervenu en disant, selon Pascual Serrano (Serrano (2)), « qu’un pays ne pourrait jamais avancer s’il cherche des justifications dans l’allégation que quelqu’un de l’extérieur empêche son progrès ».

C’est cette phrase « si quelqu’un de l’extérieur » qui a provoqué la réaction de Chávez, puisque d’après Pascual Serrano (2), Chávez a répondu indigné, que les facteurs externes ne peuvent pas être minimisés, en faisant allusion au coup d’État de 2002 contre son gouvernement que Aznar avait appuyé. Or c’est à ce moment, dans cet échange de mots entre Zapatero et Chávez, que le roi a perdu le contrôle et a crié à Chávez : « Pourquoi tu ne te la boucles pas. » Chávez commençait précisément à détailler les événements du coup d’État et à qualifier Aznar de fasciste. Après Zapatero, ce fut le tour du président du Nicaragua qui a entamé son discours en disant, que la grande erreur des Latino-américains (faisant allusion à la phrase « si quelqu’un de l’extérieur ») était de ne pas s’unir pour protéger leurs intérêts. « C’est là notre plus grande erreur ! C’est ce qui fait que nous soyons soumis aux intérêts des Européens, des Yankees, c’est là, notre grande erreur ! » Ensuite, il a dénoncé la transnationale Union Fenosa, une entreprise espagnole, en l’accusant d’utiliser des méthodes de fonctionnement propres aux gangsters (Ortega, Daniel).

C’est ce contexte (non médiatisé) qui, à notre avis, explique d’une part, la réponse colérique du roi d’Espagne contre Chávez et qui, également, justifie l’inquiétude se faisant jour sur le visage et dans le regard du président José Luis Zapatero. Nous croyons qu’il prenait conscience que quelque chose de grave était en train de se produire. En effet par son passé historique, l’Espagne se voit comme le pont entre l’Europe et l’Amérique latine, l’alliée naturelle de la région. Il nous semble également que cette relation privilégiée et considérée stratégique pour l’Espagne, est aussi celle par laquelle ce pays veut redorer son image et annoncer son retour comme puissance économique sur la scène mondiale. Or les pointes de lance de cette reconquête sont précisément les transnationales espagnoles.

En contrepartie cependant, comme on l’a vu dans le sommet Espagne-Amérique latine, les transnationales espagnoles ont été fortement critiquées comme inféodées au modèle néolibéral et montrées du doigt comme puissant facteur extérieur de déstabilisation et appauvrissement dans les pays de la région. On peut dès lors se demander si dans un tel contexte on peut parler de « cohésion sociale ». Puisque comme le dit Chávez : « il ne peut y avoir cohésion sociale avec les politiques néolibérales, avec un capitalisme vorace, avec un impérialisme et avec ces traités de libre échange qui accentuent les asymétries et les inégalités (de nos pays) » (cité par Rivera, Ricardo).

Conclusion

Pour conclure, retournons à notre discussion touchant la procédure médiatique et à sa tendance à simplifier l’information par la technique décrite ci-dessus, qui consiste à situer d’un côté, les bons, de l’autre côté, les méchants. Nous l’avons vu dans la polémique entre le roi Juan Carlos de Borbón et le président Hugo Chávez, le premier est présenté comme un démocrate et, par définition, bon ; et le deuxième, par contre, est présenté comme un antidémocrate et, par définition, un méchant. Aussi cette procédure médiatique est bien connue en Amérique latine et, comme nous l’avons dit, la conscience collective garde en mémoire l’exemple du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende et sa fin tragique, exemple-type parmi d’autres.

Dans le cas de Salvador Allende, toutes les initiatives prises par son gouvernement pour étendre la démocratie aux exclus du Chili, pour rendre son pays plus humain, plus autonome, etc., se buttaient sur l’accusation qu’il était un communiste. Dans le cas concret de Chávez, nous voyons que la même procédure est en train de s’appliquer, le motif cette fois se fixe dans l’épithète « populiste radical ».

Et c’est justement ici, que nous croyons détecter en quoi consiste la force de la procédure médiatique : il s’agit, pour elle, d’abstraire les acteurs politiques de tout rapport avec la réalité, c’est-à-dire des intérêts socio-économiques qui provoquent les conflits politiques (tel que nous tentons de le démontrer précédemment), pour les fixer au niveau de la manipulation des symboles culturels. À ce niveau la vérité ne se discute pas, puisque : les démocrates sont bons, les antidémocrates, méchants. En déclarant Chávez « populiste radical » on sous-entend « antidémocrate » et donc méchant parmi les plus méchants ; peu importe qu’il ait gagné 9 élections consécutives dans son pays.


Bibliographie

DEL CASTILLO, Nelson. « Venezuela, víctima del totalitarismo mediático ». En ligne, http//www.rebelion.org/noticia.php ?id=58226.

LA JORNADA. « El rey está nervioso », éditorial. En ligne, http://www.jornada.unam.mx/2007/11/11/index.php?section=edit.

LOPEZ, Mercedes. « Las palabras de Chávez ». En ligne, http://www.pagina12.com.ar/diario/elmundo/4-94564-2007-11-12.html.

ORTEGA, Daniel. « ¿Cuáles son las mentiras que le dijo Daniel a los españoles ? ¿En qué momento insultó a Borbón ? » En ligne, http://www.rebelion.org/noticia.php?id=59272.

PAGINA 12. « ¿Por qué no te callas ? » En ligne, http://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-94516-2007-11-1.html.

PAVLOVSKI, Eduardo. « El exabrupto ». En ligne, http://www.pagina12.com.ar/imprimir/diario/elmundo/subnotas/94589-29940-2007-11-1.

RIVERA, Ricardo. « Porqué no te callas ? », El Faro (El Salvador, San Salvador) 19-11-07.

SERRANO, Pascual (1). « El País contra Chávez, fuego a discreción » En ligne, http://www.rebelion.org/noticia.php?id=59219.

SERRANO, Pascual (2). El día que Juan Carlos de Borbón dijo algo que no le habían escrito. En ligne, http://www.rebelion.org/noticia.php?id=58865.


Mauricio Ruano Alfaro est docteur en sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal, Canada.

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