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ÉQUATEUR - Base militaire états-unienne : un étrange locataire quitte Manta
Ana María Acosta
mercredi 9 septembre 2009, mis en ligne par
5 juin 2009 - En 1999, un étrange visiteur a débarqué chez Mme Manta avec des avions, des radars et des militaires. Il voulait louer un endroit où installer une base pour contrôler les narcotrafiquants terroristes des pays latino-américains. Mme Manta n’avait jamais vu un terroriste et n’y connaissait rien en stupéfiants, mais comme elle est plutôt sympa, elle accueillit l’étranger chez elle. Le problème, c’est que le propriétaire du lotissement, Jamil Mahuad, ami intime du visiteur, signa une convention sans rien demander à personne, qui permit à l’étranger d’occuper la maison de Mme Manta… Dix ans plus tard, le locataire a été expulsé de la maison de Mme Manta. En quel état a-t-il laissé la maison ? Quelles relations a-t-il eu avec ses voisins ? Qu’a-t-il fait pendant dix ans ? Ce sont les questions que se pose Manta ?
Antécédents
En 1999, peu de voix se s’élevèrent pour mettre en garde la population à propos de l’installation de la base militaire étasunienne en territoire équatorien. Très peu nombreux étaient ceux qui disaient que cette présence impliquait une perte de souveraineté et une complicité de l’Équateur avec le Plan Colombie. Ce Plan Colombie que les États-Unis commençaient à mettre en place dans la région pour contrôler le trafic de drogue et désarticuler les mouvements subversifs colombiens.
Personne en Équateur ne fut informé des conditions figurant dans la convention, pas même les représentants du Congrès ; l’ensemble reposait sur la servilité totale du gouvernement de Jamil Mahuad. Le néolibéralisme était en plein essor dans le pays, les partis de droite occupaient tous les espaces du pouvoir. Le gouvernement s’efforçait de sauver les banquiers, conduisant l’Équateur vers la plus grave crise économique de son histoire. C’est dans ce contexte que le 12 novembre 1999, le gouvernement chancelant de Mahuad, à la recherche d’appui auprès de l’ambassade étasunienne, signait la convention permettant aux États-Unis d’installer un Poste avancé d’opérations (en anglais Forward Operating Location, FOL) sur la base aérienne Eloy Alfaro de Manta. Au gré d’un jargon diplomatique bien rodé, on parlerait désormais officiellement du FOL, acronyme permettant d’éviter de prononcer les mots « base militaire ».
Le nouveau Miami
« Ici à Manta, ils nous ont promis un nouveau Miami. Cela a enthousiasmé les élites de la ville qui ont formé le Groupe pro Manta. Les gouvernements de l’époque ne faisaient rien pour les Régions, c’est pourquoi ces élites ont de suite été très intéressées par l’opportunité qui se présentait à elles. Le dollar est devenu roi, nous nous sommes convertis en véritables occidentaux, même s’il y a eu des résistances dans la région sud de Manabí », déclare Miguel Morán à la Commission des questions Internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale, qui s’intéresse maintenant à ce qu’ont fait les gringos à Manta.
Miguel Morán, avocat, syndicaliste et professeur de droit, est un des dirigeants du Mouvement anti-impérialiste Thoallí. Il est un des rares à avoir pris la parole dès 1999 pour s’opposer à l’installation de la base, à une époque où la majorité de la population voyait s’ouvrir, avec son arrivée, des perspectives de croissance économique. Il raconte que des mythes se sont construits autour de l’installation de la base. « Les médias et les autorités locales, aux mains de la droite sociale-chrétienne, annonçaient l’arrivée du rêve américain à Manta. « Les gringos vont amener des dollars, disaient-ils ».
Mais au fil des ans, le rêve américain a présenté un autre visage à Manta. Des bars, des discothèques et des cabarets se sont construits ou agrandis. Les emplois créés au sein du FOL ont duré huit mois, le temps de la rénovation des installations aéroportuaires. Ensuite, le FOL a uniquement offert des emplois de nettoyage ou de manutention, et les salaires proposés étaient nettement inférieurs à ceux des étasuniens. La croissance tant attendue du tourisme et du commerce a alors profité à une infime minorité. C’est ce que raconte le capitaine en retraite Jacobo Jara, un ancien de 90 ans qui, tout au long de sa vie, a vu les changements que Manta a subis.
« J’ai été très affecté par l’arrivée des américains. Sur l’avenue Flavio Reyes, ma famille avait son petit commerce, avec quelques autres. Avant, nous payions un loyer de 50 dollars par local, ce qui permettait à tous les commerçants de travailler et de vivre décemment. Et puis ils sont arrivés ; je ne dis pas que ce sont eux qui ont imposé les prix, mais ça a joué. Au début, ils versaient des salaires élevés, jusqu’à 1500 dollars ; pour certains, l’or vert coulait à flots. Mais nos loyers sont rapidement passés de 50 à 500 dollars et nous n’avons pas pu tenir. Des businessmen sont arrivés, et nous, humbles petits commerçants, avons fait faillite et avons été dépouillés de nos biens. Tous ceux qui avaient travaillé là pendant des années ont perdu leur commerce et leur travail ».
Selon l’ambassade des États-Unis, « le FOL injecte plus de 6,5 millions de dollars chaque année dans l’économie locale de Manta ». Mais pour Miguel Morán, cet argent ne bénéficie pas à la population de la ville : « les militaires étasuniens ne consomment pas de produits locaux, même l’eau ils l’importent. L’argent qu’ils injectent circule au sein d’une élite sociale ultra-minoritaire, entre bars de luxe et autres endroits réservés. La croissance de Manta, si tant est qu’on puisse parler de croissance, est due à d’autres facteurs qu’à la présence de militaires étrangers ».
L’ambassade annonce que l’investissement réalisé à Manta « inclut une part importante des coûts de fonctionnement de l’aéroport, avec plus de 2 millions de dollars pour le département des pompiers du FOL et approximativement 200.000 dollars en coûts de maintenance de l’aéroport ». De son côté, le chef des pompiers de Manta, Sofonías Rezabala, rejette cet argument et assure que le travail des pompiers est totalement autonome, qu’ils n’ont reçu aucun véhicule du FOL, malgré ce qui a été affirmé dans la presse locale. « Quand il y a eu cet incendie dans le centre, tous les habitants des quartiers populaires sont venus donner un coup de main ; les gens du FOL eux sont venus balayer les cendres ».
Les promesses de « bien être » qui accompagnèrent l’installation de la base furent créées de toutes pièces par la presse, les autorités locales et l’ambassade des États-Unis. Elles occultaient l’incidence géopolitique de cette base en Équateur. C’est pourquoi des organisations locales et nationales commencèrent à s’organiser et à lutter contre la présence de militaires étrangers et du FOL. Elles n’eurent pas la naïveté de croire qu’il s’agissait d’un simple Poste avancé d’opérations. Elles commencèrent à se poser des questions sur le rôle de cette base au sein des nouvelles politiques de sécurité des États-Unis, et au-delà, sur l’intention des États-Unis d’accéder librement aux ressources énergétiques et à la biodiversité. Elles se demandèrent également quel était le rôle du FOL dans la mise en œuvre du Plan Colombie. À cet égard, l’ex-commandant du FOL, Javier Delucca déclara : « La base de Manta est très importante dans le cadre du Plan Colombie. Nous sommes très bien situés pour pouvoir opérer dans cette zone ».
L’importance de cette base dans la militarisation de la région attira l’attention d’organisations antimilitaristes internationales, et la question du FOL de Manta devint emblématique de la résistance à l’hégémonie militaire étasunienne dans le monde.
En 2003, la Coalition pas de bases en Équateur, composée de plus d’une vingtaine d’organisations, commença à mener des actions et à organiser des débats. Cela permit de repositionner la base de Manta dans l’espace public, jusqu’à ce que la question de la non-rénovation du contrat d’utilisation de la base aérienne Eloy Alfaro atteigne les sphères du pouvoir.
En 2008, la Coalition a proposé à l’Assemblée nationale constituante d’intégrer à la Constitution le texte suivant : « L’Équateur est un territoire de paix qui exerce pleinement sa souveraineté ; il n’accueillera pas de bases militaires étrangères ni de troupes étrangères et s’abstiendra de signer tout type de convention qui implique d’autres formes de présence militaire étrangère. Le pays ne se mêlera militairement à aucun conflit hors du territoire national, que ce soit unilatéralement ou en coordination avec d’autres États. Les entraînements et les exercices militaires ne se réaliseront avec aucun autre État ».
L’essentiel de cette proposition a été accepté par l’Assemblée nationale constituante ; l’article 5 de la nouvelle Constitution dit : « l’Équateur est un territoire de paix. L’établissement de bases militaires étrangères et d’installations étrangères avec des intentions militaires n’est pas permis. Il est interdit de céder des bases militaires nationales à des forces armées ou de sécurité étrangères ».
Se pliant aux exigences de la Constitution, le président équatorien Rafael Correa a fait de la base de Manta un de ces thèmes de campagne pour les présidentielles d’avril 2009. Il a annoncé qu’il ne renouvellerait pas la convention d’utilisation de la base de Manta avec les États-Unis ; ainsi le FOL et ses locataires devront quitter la base aérienne Eloy Alfaro avant novembre 2009 [1]. Comme tout locataire, les militaires étasuniens devront rendre des comptes sur les activités qu’ils ont développées pendant ces dix années. C’est pour cette raison que la Coalition pas de bases en Équateur a demandé à la Commission des questions internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale de mener des recherches sur les opérations réalisées depuis Manta par des troupes étrangères. Elle a demandé de vérifier si certains soupçons portant sur le bombardement colombien de Angostura en Équateur, en mars 2008, sont fondés ou non. Ces soupçons s’appuient sur le fait que des avions étasuniens ont décollé de la base de Manta dans la nuit du 28 février, et qu’ils ont peut-être fourni des informations aux militaires colombiens ainsi qu’un appui logistique. Le 21 mai 2009, la Commission de l’Assemblée nationale, accompagnée de la Coalition pas de bases en Équateur et d’organisations de défense des droits humains, est arrivée à Manta pour réaliser une visite préalable à une audience publique.
Dix ans après l’installation de la base étasunienne à Manta, le silence qui a couvert la signature de la convention a été rompu. Des organisations sociales, des collectifs de jeunes, des associations de pêcheurs, des femmes et de simples citoyens ont recouvré la parole et ont pu s’adresser à la commission et au monde sur les conséquences de la présence des militaires étrangers à Manta.
« Les radars ne me rendront pas mon époux »
Tôt le matin, dans une maison en bambous en périphérie de Manta ; il n’y a ni grands édifices, ni succursales de banques internationales, ni restaurants de luxe. On est juste frappé par l’odeur envahissante des rejets d’une usine de conserves de poissons. C’est ici que des femmes, des anciens, des jeunes, tous pêcheurs, se réunissent pour exprimer leur rejet de la base militaire étasunienne, au cours de l’audience publique mise en place par la Commission des questions internationales de l’Assemblée nationale.
Malgré l’exiguïté des lieux, toutes et tous sont là, il n’en manque pas un ; c’est la première fois que des représentants de l’État viennent les voir en dehors d’une période de campagne électorale. La Commission de l’Assemblée nationale, comme s’il s’agissait d’une session normale, constate le quorum et déclare l’audience ouverte.
Milton Ayala Castro est le premier à prendre la parole. Vice-président de l’Association des pêcheurs autonomes artisanaux de Manabí-Miramar, il ne croit toujours pas qu’une commission au complet puisse être là pour l’écouter. Puis María Urgilés prend la parole, les mains abîmées, le regard triste ; sa voix rappelle le grondement des vagues, elle semble forte. María est l’épouse d’un des 18 pêcheurs disparus le 15 juin 2003. Ce jour-là, son époux et 17 autres pêcheurs sortirent en mer sur le Jorge IV, comme chaque semaine, et ne revinrent jamais.
Le Jorge IV disparut à un moment où les interdictions de naviguer étaient très nombreuses [2]. Certains indices montrent que le bateau a été embouti par un navire de très grande taille, mais la véracité des faits n’est pas avérée. Les femmes et les enfants des pêcheurs défunts allèguent que le bateau a été embouti par une embarcation étasunienne, d’où les difficultés qu’ils ont rencontrées pour que débutent les recherches. Deux jours après la disparition du Jorge IV, la Capitainerie du port et le propriétaire du bateau, Jorge Corral, assuraient aux familles qu’il n’y avait aucun problème et qu’ils avaient pu communiquer avec les membres d’équipage. Au final, les radars, les satellites et la technologie de pointe dont disposent les militaires étasuniens de la base de Manta n’ont donné aucun résultat. Le bateau n’a pas été retrouvé et jusqu’à présent il n’existe aucune piste.
Les pêcheurs, les veuves et les mères demandent que l’enquête porte sur les informations en possession du FOL à propos du naufrage et de la disparition du bateau. Ils se demandent comment 18 personnes peuvent-elles disparaître en mer sans laisser de traces ? Comment un Poste avancé d’opérations disposant d’une technologie de pointe peut-il ignorer ce qui est arrivé à une embarcation ? Partant de ces témoignages, les représentants de l’Assemblée nationale ont décidé d’étendre leur enquête auprès la Capitainerie du port et des propriétaires du Jorge IV. Ils veulent vérifier s’ils ont vraiment été en communication avec le bateau et savoir pourquoi les opérations de recherche ne se sont pas déroulées normalement. María veut passer un marché avec le gouvernement des États-Unis : qu’il embarque le FOL, les radars et les avions, et que son époux lui soit rendu.
Pendant que María parle, un ancien écoute ému son témoignage, et sur une feuille de papier aussi ridée que sa peau, il écrit : « Empire nord-américain, Ministre Larriva [3], la Colombie attaque Angostura, souveraineté équatorienne, nobles pêcheurs ». Des mots-clés qui lui permettront de ne rien oublier au moment de prendre la parole. Jacobo Jara est un pêcheur retraité, membre du Comité patrie terre sacrée, il a 90 ans. Quand il prend la parole, tout le monde écoute attentivement. « Pendant ces dix années, quel bénéfice a-t-on tiré de la présence des étasuniens, qu’ont-ils apportés ? Leur présence a causé du tort. D’abord parce que les avions nord-coréens, vietnamiens et iraniens ne peuvent pas atterrir ici. Les ennemis des États-Unis n’ont pas le droit de venir ici. Mais que je sache, ce sont leurs ennemis, pas les nôtres ! Ce sont eux qui choisissent nos amis, ceux qui peuvent venir en Équateur pour y faire du tourisme ou du commerce. Tout ce qui compte, c’est ce qui les intéresse à eux, et cela nous porte un grand préjudice ».
Peu à peu, la peur de parler s’estompe, les femmes, mères et filles, prennent la parole. Elles veulent parler de leur époux, de leur père, de leurs fils disparus. Les pêcheurs eux veulent savoir qui va reconnaître les dommages causés à leurs bateaux, qui va tirer leur embarcation du fond des eaux, qui va leur rendre la liberté de pêcher dans les eaux où ont pêché leurs pères et leurs grands-pères avant eux.
Dans l’après-midi, l’audience publique se déplace à l’université laïque Eloy Alfaro, où d’autres organisations et de nombreuses personnes ont répondu présent à l’appel lancé par la Commission de l’Assemblée. Tout le monde veut prendre la parole ; aujourd’hui, contrairement aux années passées, le silence et la peur n’ont pas été invités à la réunion.
Le capitaine de l’Ochossi a rencontré des militaires étasuniens en pleine mer, et son embarcation en a été affectée : « En 2005, des militaires étrangers nous ont abordés, un avion nous a survolés pendant huit heures. Ils sont parvenus à isoler notre bateau, ils nous ont menacés avec des armes. Ils nous ont ensuite exhibés avec nos noms et prénoms comme si nous étions des narcotrafiquants et nous ont pris en photo. Ils ne nous ont donnés à manger que le lendemain, et ensuite ils ont détruit nos canots de sauvetage. Ils sont montés à bord avec du matériel, mais comme ils n’ont rien trouvé, ils sont partis. Quand nous leur avons demandé qui allait payer les dommages, ils nous ont tendus un formulaire et nous disant de nous présenter à l’ambassade, et ils nous ont laissés à la dérive ».
D’autres prennent la parole, des pêcheurs, des jeunes, des femmes, pour parler des violations des droits humains, des bateaux abordés par les militaires, des contrôles injustifiés, des tortures. Seule une institutrice travaillant dans une « école pour enfants aux capacités spécifiques » dit qu’elle a reçu une aide du FOL. Pour le reste, la Commission de l’Assemblée nationale reçoit des plaintes concernant 14 cas de naufrage, 4 bateaux endommagés et impossibles à réparer, un bateau disparu, 125 migrants soumis à des traitements inhumains et dégradants, 2 personnes détenues et disparues. Une documentation fournie accompagne tous ces témoignages ; dans certains cas, des photos permettent de mettre en évidence des réalités jusqu’alors occultées par les médias, les autorités locales et le pouvoir central.
Ces témoignages, qui confirment que durant sa présence à Manta, le FOL a mis en œuvre des actions qui ne figuraient pas dans la convention, devront faire l’objet d’enquêtes approfondies de la part de la Commission des questions internationales. Manta et l’Équateur attendent des réponses afin que les coupables soient sanctionnés et que les personnes affectées aient droit à des réparations d’ordre physique, économique et moral.
À la recherche de réponses…
Après trois jours de présence à Manta, la Commission de l’Assemblée nationale, des organisations de défense des droits humains et la Coalition pas de bases en Équateur visitent la base aérienne Eloy Alfaro. Elles y rencontrent des militaires équatoriens et des fonctionnaires étasuniens, le commandant du FOL, le lieutenant-colonel Jared Curits, ainsi que l’attaché militaire de l’ambassade. Ce qu’elles rencontrent surtout, c’est un discours politique officiel.
Eduardo Cárdenas, commandant de la base aérienne Eloy Alfaro explique que les militaires équatoriens contrôlent la majorité des installations et que les activités conjointes se limitent à de l’échange d’informations, comme l’exige la convention signée entre l’Équateur et les États-Unis : « l’intention unique et exclusive est de mener des opérations de détection, d’investigation et de contrôle des activités illégales concernant le trafic aérien de narcotiques ».
Sur son site internet, l’ambassade des États-Unis affirme que le travail du FOL se limite au champ de la lutte anti-drogue et que les missions aériennes fournissent des informations pour les opérations d’interdiction maritime des gardes côtes étasuniens et des pays amis. Mais les militaires étasuniens n’interviennent pas directement dans les opérations et affirment que « l’information obtenue lors des vols anti-narcotiques qui décollent du FOL est analysée par la Joint Interagency Task Force South (JIATF-South), un organisme international et multilatéral basé à Key West en Floride. Cette force opérationnelle s’organise autour de plusieurs départements du gouvernement des États-Unis et dispose de fonctionnaires coordinateurs dans 12 pays, dont l’Équateur ».
De son côté, le commandant de la base aérienne Eloy Alfaro affirme que « l’information est un élément d’intangible qu’on ne peut manipuler. La valeur de cette information réside dans son traitement et de ce qu’il en fait par la suite. Je peux vous dire que si nous disposions de ces informations ici, elles ne nous serviraient à rien. Chaque information est en lien avec quantité d’autres éléments ».
Mais si l’information circule par les airs jusqu’aux États-Unis et que les militaires équatoriens n’ont pas la formation pour la traiter, puisqu’il s’agit d’une « technologie de pointe que nous ne maîtrisons pas », qu’arrive-t-il alors de l’information obtenue en territoire équatorien ? Dans quel but est elle recueillie ?
D’après l’ambassade des États-Unis, « en se basant sur l’information reçue du FOL et d’autres sources, la JIATF-South peut donner des recommandations aux autorités étasuniennes et latino-américaines afin qu’elles réalisent des opérations d’interception de narcotiques ». Sur la Fiche d’information de contribution du FOL de Manta à la lutte anti-drogues et à la population de la ville, il est stipulé qu’en 2008, « 822 missions anti-drogue ont été effectuées, 229 tonnes de cocaïne ont été saisies, pour une valeur qui aurait atteint 4,5 milliards de dollars à la revente dans les rues ».
D’après les chiffres du FOL, 1.800 tonnes de cocaïne auraient été saisies en dix ans. Ces données ne concordent pas avec les informations en possession du Conseil national de contrôle des substances stupéfiantes et psychotropes (CONSEP). Quand la Commission de l’Assemblée nationale l’a questionné à ce propos, l’attaché militaire étasunien a dû reconnaître que les quantités annoncées correspondaient aux résultats obtenus dans les trois FOL installés en Amérique latine et à des opérations menées dans onze pays différents.
Les médias nationaux, qui sont fréquemment invités à visiter le FOL, publient sans broncher les données que leur fournissent les militaires étasuniens. Pas un seul journaliste n’a eu l’idée de demander où se trouvait la drogue saisie, ou qu’en était-il des personnes détenues lors des opérations, de leurs jugements.
Or, les 1756 tonnes auxquelles l’ambassade fait référence représentent en moyenne des prises avoisinant les 15 tonnes par pays et par an, sur dix ans. L’efficacité de ces opérations est extrêmement réduite, elle est même ridicule, si on prend en considération le nombre de missions aériennes effectuées, l’importance du personnel affecté et les investissements réalisés. Si les militaires étasuniens sont tellement inefficaces pour ce qui est du contrôle du trafic de drogue, une question essentielle reste alors en suspens : qu’ont-ils fait pendant plus en dix ans de présence à Manta ?
Mais ce n’est pas tout, d’autres questions doivent encore faire l’objet d’enquêtes. Si la mission du FOL se limitait au contrôle aérien du trafic de drogue, pourquoi les militaires étasuniens ont-ils abordés, coulés et contrôlés des bateaux et des pêcheurs au large de Manta ?
Sur ce thème, le commandant du FOL affirme : « nous sommes compétents uniquement en ce qui concerne le contrôle de l’espace aérien, tout ce qui se passe en mer relève de la responsabilité de la Marine équatorienne, comme le stipule la convention ». Par conséquent, quel rôle a joué la Marine équatorienne dans les abordages, l’interception de bateaux de pêches ou d’embarcations transportant des migrants ? Quel a été le rôle des militaires étrangers cantonnés à Manta ? Voilà quelques questions auxquelles il est important d’apporter des réponses le plus rapidement possible.
La Commission des relations internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale a recueilli une masse importante d’information. Ce travail a visiblement été convaincant et une audience a été ouverte, pour que les actions des soldats étasuniens ne restent pas impunies, et également pour montrer l’exemple à d’autres pays qu’un peuple digne peut exercer sa souveraineté.
La Commission de l’Assemblée nationale aura la responsabilité de bien comprendre la dimension réelle des actions étasuniennes, et au-delà, elle devra établir des responsabilités politiques et pénales pour les dommages causés tant aux personnes directement affectées qu’à tout un peuple auquel des hommes politiques vendus ont imposé la présence d’une base militaire étrangère. La Commission va aussi devoir appeler à comparaître ceux qui ont rendu possible la signature de la convention. Enfin, quand tout ce travail aura été achevé, elle devra présenter un rapport [4] au président Rafael Correa pour que celui-ci transforme les conclusions en actes. C’est ce qu’attendent toutes les Équatoriennes et les Équatoriens qui défendent la paix, et l’ensemble des organisations qui cherchent à construire un monde sans armes et sans actions militaires.
La Fondation régionale de conseil en droits humains (INREDH Équateur) et la Coalition pas de bases en Équateur suivront de près le processus d’avancement de l’audience et mettront en place des actions massives ainsi qu’une cérémonie d’adieux aux troupes étrangères. Ces actions se dérouleront dans le cadre d’une campagne nationale que nous avons appelée « Yucshi Yanki Forever », et qui sera accompagnée de concerts, de forums et de la remise en état d’un bateau qui se trouve sur la plage de Tarqui, à Manta.
Article publié en espagnol par la Fondation régionale de conseil en droits humains (INREDH - Équateur) : « El extraño inquilino se va de Manta : ¿Cuál es el saldo que deja la Base Militar Norteamericana en sus 10 años en Manta ? ».
Traduit et publié en français par Info Sud télé.
[1] Depuis la publication en espagnol de cet article, les militaires étasuniens ont commencé à se retirer de la base aérienne Eloy Alfaro – NDT.
[2] Au début des années 2000, l’Équateur a connu une vague d’émigration massive. Les nombreux migrants qui tentaient de rejoindre les États-Unis de façon illégale l’ont souvent fait dans des embarcations qui partaient de Manta. Les militaires équatoriens et ceux du FOL ont accru les contrôles en mer afin d’empêcher ces départs, et les autorités ont publié des interdictions de sortie en mer pour les bateaux qui se livraient à ce trafic humain. Mais ces contrôles ont aussi donné lieu à des abus, à des réglages de compte et à une importante corruption, qui ont conduit les autorités à interdire la circulation d’embarcations n’ayant jamais participé à ce business mafieux – NDT.
[3] Le 15 janvier 2007, Guadalupe Larriva était nommée ministre de la défense du premier gouvernement de Rafael Correa. Le 24 janvier, elle décédait lors d’un vol d’entraînement de nuit des militaires équatoriens auquel elle avait voulu participer, depuis la base aérienne Eloy Alfaro de Manta. Les circonstances de l’accident n’ont pas été élucidées. Le 22 janvier, elle avait annoncé que l’Équateur ne renouvellerait pas la convention qui autorisait les militaires étasuniens à stationner et à mener des opérations depuis la base aérienne de Manta – NDT.
[4] Ce rapport devait être remis le 15 juillet 2009 au président Rafael Correa par la Commission des relations internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale.