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Lettre du Pôle Amérique latine, n° 81 - juin 2010

BRÉSIL - Les communautés ecclésiales de base sont toujours vivantes

P. François Glory, MEP

mercredi 30 juin 2010, mis en ligne par CEFAL

Après le Pérou, l’Argentine, Haïti, partageons avec François Glory la richesse de l’Église du Brésil…


São Luis du Maranhão, Brésil, dimanche de Pentecôte, 23 mai 2010.

Les communautés ecclésiales de base

Fin janvier, je devais laisser ma charge de curé de paroisse à un confrère. L’expérience n’aura duré que deux mois et demi. Je me retrouve donc à nouveau responsable de la paroisse à la demande de l’évêque. Il semblerait que le nouveau curé n’ait pas pu collaborer avec les laïcs, aujourd’hui très engagés et très organisés. Il a fallu, sans tarder, réagir positivement et profiter de la crise pour que l’ensemble des communautés s’enracinent plus franchement dans l’organisation pastorale des communautés ecclésiales de base (CEBs), si décriées ces dernières années et considérées parfois comme un modèle dépassé. L’équipe administrative qui gère le secteur financier a démontré sa maturité et sa fermeté. Cette mini-crise révèle que des laïcs, ayant grandi en assumant certaines responsabilités, n’acceptent plus le retour à un modèle qui s’éloigne d’une Église communion où ils ont appris à partager et à assumer les responsabilités ecclésiales. Sur la lancée, le conseil paroissial a proposé que, d’ici à la fin de l’année, toutes les communautés se donnent les moyens de devenir des CEBs authentiques. Ce qui exige, d’une part, une plus grande participation de tous et, d’autre part, un sérieux investissement dans la formation des animateurs. Nous passons du modèle « curé tout puissant » qui peut lier ou délier à son - bon ou mauvais - gré, à celui de modérateur dont la charge est d’harmoniser les différences afin que les responsabilités soient partagées à tous les niveaux.
Les CEBs permettent aux pauvres de s’organiser en Église et d’être moins dépendants d’un imaginaire sacré, fruit d’une religiosité populaire liée à leur monde culturel. Au Brésil, Dieu sert à expliquer l’inexplicable, le bon comme le mauvais. Pour nous, en France, cela a peu de sens car nous vivons, contrairement à ici, dans un monde sécularisé.

La lecture de la Parole de Dieu est au cœur de la vie des CEBs (photo : Pierre Chovet)

Pauvreté et violence

Au plan social, la pauvreté endémique perdure sur le terrain de structures injustes qu’alimente une corruption généralisée. Quand un groupe de personnes résiste à cet état de fait - et cela peut commencer au sein d’une paroisse, pour incroyable que cela puisse paraître - j’entrevois un début de changement politique. Les statistiques, pour l’État du Maranhão, l’un des plus pauvres du Brésil, indiquent que plus de la moitié de la population dépend en partie des allocations gouvernementales pour sa survie. Cette situation scandaleuse est le résultat de décennies de despotisme de la part des oligarchies. Lula a beaucoup fait pour supprimer la misère, mais en s’alliant avec les partis les plus conservateurs pour assurer son pouvoir, il a anesthésié la force transformatrice des organisations populaires. Il est devenu celui qui met fin à la misère et résout les conflits en faisant miroiter une croissance tous azimuts.

Le Brésil est malade de sa violence : l’insécurité est permanente, les références morales s’estompent au gré des novelas (feuilletons) qui prônent la libre circulation de l’immoralité pour augmenter l’audimat. À ce triste tableau, j’ajouterai cette donnée : 50 % des enfants qui naissent ne sont pas désirés. Est-ce pour cela que la fête des mères devient un vrai culte ici, une manière de conjurer le sort et de déifier ce qui semble inaccessible à beaucoup ? La semaine dernière, après une célébration, j’ai rencontré João Paulo, petit noir de huit ans. Sa mère l’a abandonné dans le bus quand il avait deux ans. Il a été recueilli par une brave femme, déjà âgée, qui a eu pitié de lui et l’a pris avec elle. Combien de jeunes que je rencontre ont une expérience douloureuse de la famille : violence, absence de père, éloignement…

Autre histoire édifiante. Galvão, le fazendeiro qui a organisé l’assassinat de la sœur Dorothée Stang, a été condamné en avril dernier à plus de trente ans de prison, cinq ans après le meurtre. La semaine dernière, il a fait appel. Il a été remis en liberté, dans l’attente de son nouveau procès. Vous imaginez la déception de toutes celles et de tous ceux qui, au sein des organisations, luttent au risque de leur vie pour la fin de l’impunité.

Signes d’espérance

Mais il y a aussi des signes d’espérance. Les premiers viennent de notre propre Église qui, malgré la tempête, ne sombre pas. Trois semaines après notre engagement en faveur des CEBs, nous recevions les déclarations de la dernière assemblée des évêques du Brésil (CNBB) comme un encouragement à continuer dans la voie choisie. Quelle ne fut pas notre joie quand nous avons découvert le document sur les CEBs ! Deux ans après la Conférence du Celam [1] à Aparecida, les évêques brésiliens lui redonnent ses accents prophétiques. Un petit extrait de la conclusion dit en substance : Nous exhortons les paroisses à se transformer en « réseau de communautés »… Ainsi la paroisse sera plus vivante avec toutes ses communautés coordonnées par les laïcs, les diacres permanents, animées par les religieuses ou religieux, et ces communautés trouveront dans le Conseil Paroissial, présidé par leur curé, leur principal articulateur pastoral.

Voilà une directive qui indique clairement un des rôles du prêtre. Il est avant tout celui qui anime un réseau de communautés et leur donne les moyens de s’autogérer [2]. Les communautés sont invitées à devenir missionnaires, selon l’esprit défini à Aparecida. Le repli sur soi est comme l’austérité en temps de crise, il ne peut qu’engendrer des réflexes de désespoir. Sortir de la crise, c’est comme en Pentecôte, vaincre la peur, ouvrir les portes et témoigner de l’espérance qui est en nous. Je résume en une phrase lapidaire, au risque d’être mal interprété, ce que le va-et-vient entre la lecture biblique et ma plongée dans cette portion d’humanité où je vis, me fait constater : la misère est bien l’invention de l’homme.

Autre signe d’espérance et non des moindres. En deux mois, trois nouveaux évêques ont été nommés dans nos diocèses du Maranhão [3]. Après une vague assez conservatrice, voilà que, depuis quelques années, tous ceux qui ont été choisis sont en syntonie avec la vision des CEBs et l’option pour les pauvres, au vu de leurs engagements, n’est pas un vœu pieux.

Le père François Glory avec une de ses communautés de base (photo : François Glory)

Du côté de la société civile, signalons une grande victoire de la démocratie. Sous la coordination de Chico Whitaker, plus connu comme co-fondateur du Forum Social de Porto Alegre, a été lancée par la CNBB, une pétition, dite de « la fiche propre », qui a recueilli plus d’un million de signatures. Une loi, approuvée par les deux chambres, interdit à tout candidat politique de briguer une élection si sa fiche judiciaire n’est pas vierge. Si la loi est appliquée, un grand nombre de corrompus seront écartés, ce qui serait une vraie révolution. Mais, au Brésil, il y a mille manières de contourner la loi ! Gardons espoir dans la mobilisation. La source de l’espérance ne pourra tarir tant qu’il existera, dans ces situations extrêmes, des hommes et des femmes qui œuvrent pour qu’adviennent, sans trop tarder, ces temps nouveaux si espérés.

François Glory, MEP.


Lettre du Pôle Amérique latine, n° 81 - juin 2010.

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[1Celam : Conseil épiscopal latino-américain.

[2Les WE nous sommes cinq prêtres : deux brésiliens, deux italiens et moi-même pour accompagner les 22 Cebs.

[3Il y a douze diocèses dans l’Etat du Maranhão.

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