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AMÉRIQUE LATINE-CARAÏBES - Évènement historique à Caracas : lancement de la CELAC
Pierre-Charles Marais
lundi 5 décembre 2011, mis en ligne par
Vendredi 2 décembre 2011 - Tant d’effervescence à Caracas et tant de discours unique dans les médias européens m’obligent à essayer de communiquer l’enthousiasme qui anime le pays aujourd’hui, à Caracas, où se déroule l’acte fondateur de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC).
Rapide retour historique
Le Venezuela fête cette année les 200 ans de son indépendance. C’est le 5 juin 1811 qu’est signée la Déclaration d’Indépendance qui fait de Bolivar le leader du mouvement de décolonisation du Nord du Continent, alors que San Martin est à la tête des troupes anti-impérialistes au Sud du continent. Mais ce n’est que le 24 Juin 1821, lors de la Bataille de Carabobo, que capitulent les troupes espagnoles et se retirent définitivement de sa colonie sud-américaine. Bolivar continuera sa lutte contre les Espagnols et son armée libère la Colombie, l’Équateur, la Bolivie et le Panama qu’il unifie en une « Grande Colombie ».
Il rêve d’un continent uni en un destin commun, de peuples retrouvés après 3 siècles de colonialisme destructeur, Bolivar est un visionnaire, il sait que la division des États sud-américains sont le fruit d’une vision impérialiste du monde, et qu’ils doivent s’unir pour défendre ensemble leurs intérêts. Malheureusement le rêve de Bolivar s’efface dans les luttes pour le pouvoir, et à sa mort en 1830 le projet de Grande Colombie s’est effondré.
Mais derrière le retrait des Espagnols en 1821 naissait un nouvel impérialisme, connu sous le nom de « doctrine Monroe » : en 1823 le Président des États-Unis d’Amérique déclarait face aux Européens que le continent américain ne supporterait plus aucune intervention de la part des vieilles puissances coloniales ; il prononce le célèbre « America for Americans », entendant par là même que l’ensemble du continent se destinait à être la chasse gardée des États-Unis.
En 1826 Bolivar tenta de rassembler à Panama l’ensemble des chefs d’États sud-américains pour s’unir face à cette nouvelle hégémonie. Malheureusement, il échoua.
Et c’est effectivement la Doctrine Monroe qui a guidé le destin du continent au cours des 19e et 20e siècles, installant gouvernements, dictatures, coups d’états, domination économique et politiques ultra-libérales en faveur des États-Unis. Et ne croyons pas qu’ils s’agissent de faits lointains dévolus au passé : crise argentine de 2001 due au FMI, coup d’État (avorté) de 2002 au Venezuela, coup d’État (réussi) de 2009 au Honduras, Traités de « libre-échange » privatisant les services publics et pillant les ressources naturelles de Colombie, du Pérou et du Chili... actualité récente.
Face à la crise
2011, deux événements mondiaux changent la donne pour l’Amérique du Sud : d’une part, le capitalisme financier s’effondre, emportant ce qu’il pouvait y avoir de positif dans un demi-siècle d’efforts pour une Union politique du vieux continent. Les pays les plus pauvres seront bradés pour essayer de défendre les intérêts des plus forts. Au sein de cette crise mondiale, des « indignés » s’ajoutent massivement aux altermondialistes qui essaient de défendre une autre vision du monde.
L’Amérique latine subit la crise, liée qu’elle est aux mécanismes économiques et financiers internationaux. Mais forte de son dynamisme, de sa croissance et de décisions politiques d’intégration stratégiques, les pays du cône Sud se sentent fort pour ne pas se laisser emporter dans la spirale des pays occidentaux.
D’autre part, l’impérialisme nord-américain finance son déclin dans des politiques suicidaires de conquête militaire de nouveaux intérêts et de maintien de son hégémonie mondiale : Afghanistan, Irak, Lybie, trois guerres justifiées à l’opinion internationale au nom de la démocratie et qui n’auront fait qu’affamer des peuples et enrichir les puissants de ce monde. Qui est le suivant sur la liste ? La Syrie, l’Iran, le Venezuela ?
Attention, il n’est pas question de défendre Saddam, Kadhafi ou Ahmadinejad. Là n’est pas la question. Mais de quel droit allons-nous bombarder des villes et imposer notre vision du monde à un peuple millénaire, dont l’histoire nous devance de siècles, dont les sciences et la philosophie brillaient quand l’Europe pataugeait dans la boue féodale ? Dont les injustices ne sont pas forcément pires que celles que nous installons nous même dans d’autres pays ou dans le nôtre. Les médias préparent le terrain, installant bien l’image du méchant dictateur violant les libertés individuelles et les droits de l’homme, justifiant les bombes, le contrôle du pays et de ses ressources pétrolières en installant un gentil gouvernement démocratique qui nous mangera dans la main.
Alors évidemment, quand les médias états-uniens propagent l’image du dictateur castro-communiste Chávez, quand la Quatrième flotte navale des États-Unis longe les côtes atlantiques, au Venezuela, on durcit le ton, on se prépare.
Nouvelle donne
Personne ne conteste le rôle de leader que joue Chávez au niveau international dans la conformation d’un axe anti-États-Unis, Iran, Biélorussie, Syrie. Lybie... Chávez cherche les méchants. Bien souvent cela nous met dans une situation peu commode, on sait bien qu’il s’agit d’alliance d’intérêts. Mais les alliances politiques d’Amérique du Sud ont une essence bien plus intéressante. Les pays de l’ALBA (Alliance boliviarienne des peuples de notre Amérique) développent des mécanismes de coopération très intéressants : vers un système de monnaie commune alternative, le SUCRE, échanges de savoirs, de ressources, solidarité inconditionnelle... les pays de l’ALBA sont peu nombreux, ils développent une politique radicale de gauche, que l’on appelle bolivarienne. Le Brésil, l’Argentine... ne peuvent pas mener de politique aussi radicale, ils vivent d’une économie capitaliste en plein essor, leur révolution c’est celle de l’indépendance, de la réforme, de la distribution des richesses. Le MERCOSUR a été créé pour les échanges économiques, l’UNASUR comme Alliance politique.
Toutes ces alliances visent à consolider le mouvement progressiste des pays du sous-continent, qui presque tous ont choisi la voie de la gauche et d’un certain nationalisme - nationalisme sud-américain, qui contraste avec l’époque où tout n’était que référence aux États-Unis et à l’Europe. L’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil, la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, le Venezuela, Cuba, le Nicaragua, définissent un cap commun. Amérique centrale à part, seule la Colombie et le Chili ont un gouvernement clairement de droite.
En 2008 lors du Sommet de Bahia, le Brésil convoquait tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes à un sommet sur l’intégration régionale et le développement régional. En 2009 en Jamaïque une première réunion approuve un plan d’action en 9 points : coopération entre les mécanismes d’intégration ; crise financière internationale ; énergie ; infrastructure ; développement social et éradication de la pauvreté et de la faim ; sécurité alimentaire et nutritionnelle ; développement durable ; désastres naturels ; changement climatique. En 2010, le Venezuela prend la présidence de la CALC, aboutissant ce jour au lancement de la CELAC.
Ce qui nous fait prendre conscience du moment historique qui se déroule avec le lancement de la CELAC aujourd’hui, c’est que les 33 chefs d’État latino-américains ont répondu à l’invitation. Depuis lundi, la totalité des 33 chanceliers travaille à la déclaration et aux accords qui seront conclus cette après-midi. Chaque soir on apprend que le Venezuela vient de sceller des dizaines d’accords de coopération avec un partenaire. Cet après-midi, les 33 chefs d’État, c’est à dire tous ceux du continent américain à l’exception du Président des États-Unis d’Amérique et du Premier Ministre du Canada, seront réunis ensemble, pour la première fois dans cette configuration. Ce qui m’a le plus surpris, c’est que Santos et Piñera, les présidents de la Colombie et du Chili, ennemis politiques de Chávez, seront là. On prédit la mort de l’OEA, l’Organisation des États Américains, qui sous l’emprise des États Unis avait pour rôle de gérer les conflits du continent.
Vu de l’extérieur
Recherche dans les médias francophones... pas un mot. Les médias d’opposition vénézuéliens, évidemment, font l’impasse ou cherchent par tous les moyens à dévaloriser l’événement. J’espère que ce ne sera pas leurs articles qui seront repris par l’AFP et Reuters...
Blog de l’auteur : http://venezuela-2006.over-blog.com