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MEMOIRE - L’Émergence des femmes indiennes au Guatemala

Chapitre III - Un combat de femmes indiennes original à partir d’un bricolage identitaire innovant

Émilie Ronflard - EHESS, septembre 2006

lundi 8 janvier 2007, mis en ligne par Émilie Ronflard

Sommaire du chapitre III :

I) Une interdépendance entre construction de soi et engagement.

1- Des revendications identitaires qui se complexifient.

2- Des femmes indiennes aux engagements multiples.

3- Nécessité de créer un espace propre.

II) Typologie des formes d’engagement.

1- Femmes mayas et féminisme.

2- Un culturalisme conservateur.

3- Un réformisme culturel.

III) Spécificités et originalités de la lutte des femmes indiennes.

1- Des valeurs constructives spécifiques mises en avant.

2- Vers un projet de société alternatif ?


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I) Une interdépendance entre construction de soi et engagement.

I) 1. Des revendications identitaires qui se complexifient.

Les femmes indiennes ne formulent pas seulement des demandes individuelles mais également des demandes collectives. Elles revendiquent leur appartenance à un groupe ethnique qui engage une lutte pour la reconnaissance de ses droits sociaux, économiques et politiques à partir de l’affirmation d’une différence culturelle. Pourtant, il s’y superpose une identité sexuée qui divise le groupe ethnique en deux sous-catégories aux droits inégaux. Les femmes s’affirment donc à la fois par l’appartenance à une culture, partagée par leur groupe ethnique, et à une catégorie sexuée qui les amène à questionner leur place dans ce même groupe aux pratiques et croyances souvent discriminantes. A cela s’ajoute une multitude de spécificités identitaires individuelles qui démarquent chaque femme davantage et la rapprochent ou l’éloignent de chaque groupe, et qui déconstruisent et refondent de nouvelles catégories au gré du processus de subjectivation.

L’identité ethnique est valorisée par les femmes mais elles ne souhaitent pas être réduites à cette seule caractéristique. Les préjugés les enferment dans l’image attendue de la femme indienne, or elles veulent la déconstruire. Une personnalité est complexe et se forme par un ensemble d’éléments, elle ne se résume ou ne se déduit pas de la seule identité ethnique. Les femmes indiennes désirent échapper aux définitions politiques préfabriquées de l’être maya, pour afficher des identités individuelles. Ainsi, dans les définitions qu’elles se donnent, elles ne disent pas qu’elles sont mayas ou indiennes mais citent leur groupe d’appartenance : dire « Je suis Q’eqchi », c’est implicitement personnaliser sa trajectoire, cela singularise son histoire. Tous les mayas ne sont pas identiques, la diversité est grande entre eux et des rivalités existent parfois. On veut porter son identité maya dans son cœur et ses pensées sans avoir à démontrer qu’on en possède tous les signes extérieurs. Des débats opposent ainsi les puristes qui conservent leur costume à l’identique, avec d’autres femmes qui raccourcissent leurs jupes par exemple. De même, on va interpréter et créer son identité de femme à son goût en l’associant aux autres expressions de soi.

Les femmes indiennes aujourd’hui ont de plus en plus la possibilité de rencontrer et de discuter avec des femmes de tous les milieux et de toutes les origines. Les fortes barrières sociales presque insurmontables auparavant, se fissurent peu à peu et des espaces mixtes voient le jour, notamment dans le milieu professionnel. La conception qu’elles ont d’elles-mêmes s’amplifie au fur et à mesure des rencontres. « Ce que nous appelons IDENTITE se déplace comme le serpent de la vie et se transforme comme l’escargot du développement puisque, comme cela m’est arrivé, certains éléments sous-jacents se sont peu à peu convertis en noms indispensables et indélébiles, de telle sorte que si je ne les dis pas, je nie une dimension de moi. Il y a 12 ans, je ne considérais pas cela comme nécessaire puisque j’étais simplement une « personne » ; mais il est apparu un chemin qui m’a permis de découvrir les différentes facettes qui convergent dans la femme que je suis et c’est un processus qui continue, car je n’ai pas encore rencontré tous mes noms et cette recherche constante est ce qui remue et donne sens à ma vie. » [1]

On ne s’efface pas derrière une masse informe mais on se présente comme individu libre en formation, toujours changeant et multiple. Aucune contradiction à se déclarer lesbienne, non féministe et imprégnée de la philosophie maya. Comme le dit si joliment Maria Luisa Cabrera Perez-Arminan : « Ne sont-ils pas visibles peut-être nos efforts, encore dispersés et isolés, pour se dépouiller d’une réalité qui asphyxie notre vécu de la subjectivité ? Qu’est-ce qui peut causer plus de désarroi et d’incertitude que l’impuissance face au futur, la certitude que tout est immobile, l’impossibilité de choisir un chemin, de naviguer sur la fragilité des émotions enfermées qui cachent le vrai visage de notre identité ? » [2]

Un forte envie de faire exploser au grand jour ce qu’on est, de ne plus se cacher derrière le masque des convenances, de ne plus se taire, se rapetisser pour éviter de déstabiliser le bel ordre raciste et sexiste qui dicte chaque parole et comportement. On ne veut plus de frustrations et d’amputation de soi.

Il reste à savoir comment se traduit cette libération identitaire des femmes mayas en terme d’engagement et de conceptions politiques du changement.

I) 2. Des femmes indiennes divisées dans leur engagement.

En même temps que l’identité des femmes mayas s’affirme dans sa complexité, les organisations dans lesquelles elles se mobilisent se multiplient.

Les femmes mayas ont le choix entre un éventail de groupes qui naviguent entre des revendications économiques de gauche, le féminisme et le mayanisme. Elles ne forment pas un groupe politique uni, bien que toutes s’appuient sur leur appartenance ethnique pour formuler leurs revendications politiques. Chaque organisation a tendance à privilégier un type d’oppression au lieu d’articuler les trois. Il existe une propension à « donner la priorité à une des formes d’oppression (en incluant l’ethnique et de genre) entrant en fort contraste avec la manière de comprendre la réalité à partir de leur imbrications et intersections, et la forme systématique dont les identités multiples et complexes des femmes se construisent. » Certaines organisations vont privilégier le thème du développement économique, alors que d’autres se focaliseront sur la conservation des cultures, ou les droits de l’homme par exemple.

De fait, les organisations de femmes mayas se sont divisées très tôt puisqu’elles entretenaient des liens avec des organisations de gauche rivales pendant la guerre. Ces liens étaient plus ou moins directs selon que leurs organisations naissaient dans les groupes révolutionnaires ou qu’elles se formaient en dehors, dans les camps de réfugiés. Au moment de la négociation du rapatriement, et du fait des tensions entre organisations pour l’accaparement de fonds financiers, les divisions se concrétisent dans l’URNG et entre les femmes mayas organisées qui se séparent pour enfanter trois groupes : Mama Maquin, Madre Tierra et Ixmucané. A ces divisions politiques entre les organisations de femmes indiennes s’ajoute un mécontentement de toutes ces femmes organisées contre les dirigeants masculins qui ne reconnaissent pas le rôle fondamental qu’elles ont joué dans la négociation des conditions de retour au pays. De plus, ces derniers commencent à s’opposer à l’organisation des femmes car elles demandent le droit à la terre et à être membre des coopératives. Des tensions se développent donc aussi à l’intérieur du mouvement maya.

Aujourd’hui, une distance avec les organisations de gauche et avec le thème de la lutte des classes a été prise. Pourtant, à la différence du cas du Salvador, la critique des femmes contre ces mouvements et la place qui leur a été faite pendant la guerre a été tiède. Les trajectoires politiques différenciées continuent de marquer des divergences entre les femmes mayas. Cela influe sur leur conception de la politique et la stratégie qu’elles élaborent face au gouvernement pour obtenir des changements. De plus, l’influence du modèle hérité de ces organisations de gauche verticales et autoritaires se traduit par des luttes de pouvoir fortes entre femmes et des jeux de domination, par une organisation bureaucratique, et une tendance à dénoncer plus qu’à proposer ; bien que de nombreuses compétences aient aussi été acquises par cette expérience de lutte. Un écart se creuse entre celles qui ont connu et vécu la guerre et les autres, qui est aussi lié à l’âge des femmes. Les plus jeunes apportent généralement des idées fraîches et sortent les débats des enfermements idéologiques où ils peuvent se cantonner.

L’autre division entre femmes mayas s’opère entre les universitaires et les femmes peu formées qui tirent leur savoir du terrain. Ces dernières contestent parfois la légitimité des universitaires à parler en leur nom et leur reprochent de se couper de la base et de ne pas connaître réellement la réalité des femmes « du peuple ». Un certain mépris se diffuse entre les femmes selon leur degré de formation, il est vrai que l’élite des femmes mayas n’est pas toujours représentative de la base puisque celles-ci s’éloignent parfois de leur milieu d’origine en même temps qu’elles grimpent l’échelle sociale. La plupart des universitaires résident et travaillent en effet dans la capitale, elles se coupent donc de la majorité des femmes indiennes concentrées en milieu rural. Les demandes des femmes indiennes varient donc en fonction de leurs conditions de vie : elles seront plus stratégiques chez les femmes mayas les plus favorisées, ou concerneront davantage des besoins vitaux chez les autres.

Entre chercheuses ou professionnelles, les conflits surgissent également dans le domaine théorique sur de nombreux points. Par exemple, certaines pensent que la violence intrafamiliale s’inscrit dans le cadre de l’oppression de genre, alors que d’autres la conçoivent comme une simple violence sexuelle.

Enfin, des luttes d’intérêts continuent de creuser les divisions. Toutes les organisations sont en rivalité puisqu’elles luttent pour l’obtention des fonds en forte diminution alloués par la coopération internationale, et pour une meilleure visibilité de leur cause. Cette course aux fonds en même temps qu’elle aiguise la concurrence permet cependant de diffuser des approches en termes de genre et de multiculturalité.

Toutes ces divisions expliquent que les femmes indiennes optent souvent pour participer dans plusieurs organisations à la fois afin de couvrir toutes les facettes de leurs identités. Elles ne veulent pas se borner à s’inscrire dans une catégorie figée mais elles enrichissent les débats en transgressant les frontières politiques, idéologiques et culturelles. Elles ouvrent le dialogue avec des individus aux origines et opinions multiples en confrontant leurs idées et leurs expériences. Leur vision est plus ample puisqu’elles connaissent les trois formes d’oppression ce qui les rapprochent de groupes variés : « Il est chaque fois plus clair pour elles que les étiquettes ne servent à rien et se décantent du fait de la combinaison d’appartenances et d’identités, face à l’obligation de privilégier une dimension sur le reste, elles ne se définissent désormais plus seulement comme populaires ou universitaires ou culturalistes ou mayanistes ou politiques. » [3]

La lutte sur tous les fronts des femmes indiennes et la multiplication des alliances de longue durée et en profondeur, et non pas ponctuelles autour d’un enjeu spécifique, semble être le moyen le plus approprié pour déconstruire le morcellement identitaire de la société guatémaltèque et obtenir des avancées significatives prenant en compte tous les secteurs du pays. Par leur circulation et leur présence dans différentes organisations, les femmes indiennes lancent des passerelles ; leur éclatement dans de multiples secteurs est positif car il favorise les échanges. De plus, il permet une plus grande diffusion du concept de l’égalité de genre qui, même s’il n’est pas formulé par toutes de la même façon, est commun aux femmes indiennes engagées. Mais ce qui caractérise l’ensemble des femmes mayas, c’est le travail d’introspection qu’elles réalisent et l’importance donnée à l’analyse de leurs sentiments et de leurs expériences de la triple discrimination partagée par elles seules.

On n’assiste donc pas à un rassemblement des femmes indiennes autour de leur identité sexuelle mais à une fragmentation autour d’autres identités, notamment de classe et ethnique. Cela a poussé de nombreux chercheurs à réfléchir à l’existence ou non d’un mouvement de femmes au Guatemala. La réponse dépend de la définition que l’on en donne : si on l’assume comme étant n’importe quelle organisation composée de femmes, comme une organisation de femmes agissant en fonction de leurs intérêts spécifiques, ou si l’on y ajoute le critère d’organisation du mouvement en vue de formuler des demandes bien articulées, et la capacité à dialoguer avec la société civile et l’Etat. Mais, comme le souligne Aguilar, [4] la question la plus importante n’est pas de décider s’il s’agit ou non d’un mouvement de femmes mais d’insister sur ses spécificités. Au Guatemala, le mouvement pointe les thèmes de la citoyenneté, de la société civile et du sujet politique en tentant de les combiner, en réfléchissant à une organisation politique et à une conception de la citoyenneté qui prenne en compte la diversité des groupes composant la société, autour de la reconnaissance de leur égalité et de leurs différences afin former un pays plus démocratique.

I) 3. Nécessité de créer un espace propre.

Actuellement, les organisations de femmes commencent à intégrer la question ethnique à travers la fenêtre du multiculturalisme. Cette préoccupation pour la discrimination ethnique est relativement récente et ne va pas encore de soi pour toutes. Le racisme a toujours été présent à l’intérieur du mouvement de femmes et il continue d’exister. « On a une exigence commune de pas être racistes, on essaie mais c’est difficile. » me disait une dirigeante d’une association de femmes. De fait, les dirigeantes des organisations de femmes sont dans une écrasante majorité des ladinas. Les problèmes propres aux indiens ne sont pas proposés comme un sujet central dans les conférences ou les discussions ; on en traite un peu quand le public est indien, mais on n’aborde pas des thèmes indiens quand il est mixte. On préfère généralement parler d’inter culturalité ou de multiculturalité, ce qui a le mérite de soulever la question des rapports entre groupes culturellement distincts et de prôner le dépassement du racisme en vue d’une alliance de toutes les femmes contre les oppressions sexuées. Cela évite les dissensions dans le mouvement mais jette un voile sur les luttes spécifiquement indiennes. La lutte contre l’oppression ethnique est reléguée au second plan. Les femmes ladinas s’intéressent peu aux différentes cultures mayas, elles ne cherchent pas à s’imprégner de leur vécu et à découvrir leurs traditions et leurs croyances. La manière dont les femmes mayas appréhendent le monde, et plus spécifiquement les relations sociales et l’organisation de la communauté, n’est absolument pas prise en compte. Pour toutes les activités à destination des femmes indiennes, des femmes indiennes sont envoyées pour les mener. Les femmes ladinas entrent donc très peu en contact avec les indiennes et confectionnent des programmes qui visent ce groupe sans qu’il y ait réellement d’échanges et de consultations. Dans toutes les organisations mixtes, mélangeant ladinos et indiens, ces derniers se retrouvent subordonnés aux intérêts du groupe dominant. En effet, quelles que soient les réussites obtenues, ils demeurent prisonniers de leur condition ethnique.

Dans les organisations indiennes mêlant hommes et femmes, la discrimination sexuée est passée sous silence ou occupe une place marginale dans les débats et les plans d’action ; elle n’est pas jugée prioritaire. Les revendications des femmes ne sont souvent acceptées que si elles sont culturelles et ont à voir avec la défense des rôles traditionnels des femmes indiennes en tant que responsables de la sauvegarde des traditions et donneuses de vie. Pourtant, des avancées ont eu lieu, et le thème d’égalité de genre s’est implanté dans de grandes organisations populaires. Ainsi, la CONIC donne des formations sur le sujet et il y existe une commission de la femme. En 2006, six femmes ont intégré le Conseil National de l’organisation. Dans les communautés, la CONIC tente d’implanter un comité directeur de femmes dans son dispositif, chargé de soumettre les demandes spécifiques des femmes. Néanmoins, la parité n’est effective dans aucune des organisations indiennes et leur poids sur l’évolution des rapports de sexe est faible ; ce thème n’étant pas forcément adopté par une base populaire principalement masculine aux préoccupations avant tout économiques et d’affirmation culturelle. De plus, les femmes sont peu nombreuses dans les instances décisives et les votes sont emportés par les hommes.

Globalement, on trouve peu d’hétérogénéité dans les organisations car elles sont formées par des personnes d’un même secteur au profil semblable, luttant principalement pour leurs propres intérêts ; les identités ont donc tendance à se figer dans chaque organisation. Les alliances ont du mal à se mettre en place du fait de cette peur de la différence dans les groupes, ceux-ci la ressentant comme une menace pour leur unité. Cela explique l’insistance des femmes à créer un espace propre où elles puissent s’exprimer librement. Florencia raconte : «  Je cherchais un espace où me sentir bien. » Elle participait à des comités pour l’aménagement du bidonville où elle habitait qui ont ensuite débouché sur la formation d’une coopérative : « Ca s’est transformé en coopérative mais je ne me sentais pas incluse. Il n’y avait pas beaucoup de femmes indiennes. Carolina m’a dit qu’un groupe de femmes mayas s’organisait. Je les ai rencontrées en 2000, il y avait 40 femmes. Tu aurais vu l’air de contentement que j’avais : c’était des femmes comme moi ! J’ai parlé avec elles et elles m’ont raconté leurs problèmes : c’est l’endroit que je cherchais ! » Un autre témoignage explique le bien fondé d’une organisation de femmes indiennes : « On a découvert que les premières organisations promouvaient la révolution et la lutte de classe. Après, les femmes ont construit les mouvements de femmes, alors qu’en parallèle se construisaient les mouvements indiens ou mayas. Aucun ne reflète les intérêts des femmes indiennes. L’exploitation de classe, c’est trop général. C’est une analyse importante qui a beaucoup apporté mais c’est trop structurel. Le mouvement de femmes aussi a fait avancer les choses mais il n’aborde pas les thèmes personnels des femmes indiennes comme la relation entre femmes indiennes et ladinas, leurs sentiments, la sexualité… Les femmes ladinas se posent pas encore de questions, sauf quelques-unes. Le mouvement maya parle plus du collectif, de la culture, de la nation indienne mais pas de ce que tu as besoin en tant que femme indienne. Au début, l’organisation fut très critiquée, ils nous demandaient pourquoi on restait qu’entre femmes indiennes. On veut penser les individus seuls. Moi je me suis découverte comme femme indienne. Cela m’a permis de me construire comme sujet. » On note ici la place centrale accordée à l’individu qui n’est pas noyé dans le collectif mais qui s’y appuie pour élaborer une personnalité propre à lui seul. Ce caractère unique de l’individu lui est reconnu et le collectif y puise en retour les ressources pour se consolider. Les femmes indiennes surgissent individuellement grâce à un collectif qui leur donne la parole, contrairement aux organisations mixtes où elles formaient un groupe appréhendé comme un tout compact, dans lequel se diluaient les individus.

La constitution de groupes formés exclusivement de femmes indiennes ne va pas sans provoquer des critiques violentes et de l’incompréhension dans les groupes mixtes, qui estiment les avoir intégrées à leur stratégie de changements. Rigoberta Menchu traitait de ce sujet dans son livre autobiographique : « Nous les femmes pensons que c’est alimenter le machisme que de constituer une organisation seulement pour les femmes [indiennes]. (…) Créer une organisation pour la femme c’est donner une arme en plus au système qui nous opprime. » [5]

Aucun des espaces mixtes dans lesquels s’insèrent les femmes indiennes ne leur permet de partager leurs expériences personnelles, leurs sentiments et de réfléchir collectivement aux changements spécifiques que les femmes indiennes veulent favoriser : « Dans la majorité des cas, il y a une carence presque absolue de lieux dans lesquels les femmes puissent réfléchir et analyser leur vécu, partager leurs rêves de changements, dans une perspective de collectivisation des problèmes et de politisation dans le sens large du politique, c’est-à-dire dans la capacité d’intervenir et de décider dans tous les domaines de la vie. » [6] Leur vision du monde ne trouve aucun lieu d’expression mais doit se plier toujours et s’adapter à la volonté d’autrui. Or, cette invisibilité des problématiques portées par les femmes indiennes est un frein à la démocratisation du pays. Leurs opinions doivent cesser d’être cachées car elles embrassent la totalité des expériences d’oppression. Ces expériences, elles les gardent trop souvent dans le fond d’elles-mêmes car elles touchent au privé, mais c’est pourtant au prix d’un dépassement de leurs peurs, de leurs hontes et de leur isolement, par le partage avec des personnes qui ont vécu les mêmes traumatismes, dans un lieu où elles se sentent en confiance, écoutées et comprises, libres de s’exprimer, que leur situation et celle du pays pourront évoluer. Il ne s’agit pourtant pas de se couper du monde mais de prendre le temps de revenir sur soi pour mieux s’ouvrir aux autres et de réaliser dans un second temps des alliances incontournables pour faire pression sur le gouvernement et obtenir des changements significatifs. Selon Ana Silvia Monzon, les organisations qui pourraient éventuellement former un mouvement maya, qu’il faudrait analyser plus en profondeur sont : Moloj’, CONAVIGUA, Kaqla, Red de Mujeres Rurales et Belejeb Batz. [7]


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II) Typologie des formes d’engagement.

II) 1. Femmes mayas et féminisme.

L’investigation menée amène à se questionner sur la définition à donner au féminisme. Dans le chapitre précédent, j’ai montré que les femmes mayas amorçaient une lutte pour l’égalité des sexes dans le cercle familial et la communauté, et s’éveillaient au concept de genre. Cela révèle l’influence exercée par le féminisme, qui a beaucoup apporté aux organisations de femmes indiennes en les ouvrant à des théories nouvelles, et en renouvelant et élargissant les demandes formulées. Elles ont aussi diffusé le concept de sujet politique et pensé les conditions de son développement.

Pourtant, aucune femme indienne ne s’est déclarée féministe lors des entretiens. En plus du fait qu’elles n’emploient pas ce terme, elles déclarent fréquemment le rejeter lorsque je le cite dans l’entretien : « Je défends les droits de la femme mais je ne suis pas féministe. Etre féministe, c’est frapper durement contre les hommes. Défendre les droits des femmes c’est pas à pas, tranquillement, avec calme et humilité. » Une partie d’entre elles ne connaît absolument pas le terme. Ainsi, l’une d’elles affirmait qu’elle était très féminine, confondant ce mot avec le terme féministe. Cela peut surprendre car on définirait volontiers certaines comme féministes au regard de leurs revendications et de leurs applications au quotidien. Ce rejet ou cette méconnaissance du féminisme, elles l’expliquent par l’inadaptation culturelle du féminisme à la pensée maya. Le mot féminisme est terriblement diabolisé par les femmes mayas, qui se braquent rien qu’à l’entendre. Elles refusent d’écouter parler d’un terme considéré comme une colonisation, une imposition culturelle extérieure dangereuse pour l’identité et la cohésion de son groupe ethnique. Beaucoup de femmes le définissent dans les entretiens comme « le contraire du machisme », c’est-à-dire comme une prise de pouvoir des femmes dans le but de diriger et d’opprimer les hommes. L’histoire du féminisme et ses objectifs réels sont extrêmement peu connus parmi les femmes indiennes qui y décèlent une énième tentative d’imposition d’un modèle occidental. Des préjugés circulent qui donnent l’image de féministes à moitié folles, homosexuelles, autoritaires, abusives. Dans la communauté maya, se dire féministe est très mal perçu ; cela revient à trahir son identité indienne, sa culture et les siens. Des dirigeants mayas ont mené une propagande antiféminisme qui a contribué à l’image négative qui colle à ce mouvement. Leur but était de le délégitimer car il effrayait. Cette peur du féminisme a été bien comprise par les principales intéressées qui remplacent le terme lors des formations qu’elles réalisent par celui d’égalité de genre, bien mieux accepté. Cela marginalise encore plus le féminisme qui n’est du coup plus associé à l’égalité entre sexes. Beaucoup d’intellectuelles mayas s’en écartent car elles considèrent qu’il a pu surgir et se développer dans la seule culture occidentale. « Il y a des groupes de femmes qui veulent imposer le féminisme mais qui ne prennent pas en compte les particularités culturelles, ils le lancent comme une lutte de genre. » Le féminisme est accusé de désorganiser et de désolidariser les communautés. Une femme issue d’un milieu rural relate l’arrivée du féminisme dans son village : « Ce fut un problème quand les femmes ont commencé à parler de féminisme. Quand on a parlé des discours sur les droits des femmes, elles ont abandonné leurs engagements sur l’équité entre sexes. Elles ont été à des réunions et ont délaissé leur foyer. C’était des féministes radicales et libérales sur l’engagement par rapport au foyer. Il n’y avait pas d’égalité ni d’équité. Elles ont influencé l’ambiance familiale, les pères, les fils ; sans père c’est pas une famille. »

Des femmes mayas proposent donc de revenir au féminisme « inventé » par les mayas et contenu dans leur cosmovision, qui se matérialise dans les notions de complémentarité et de dualité. Carmen Alvarez Medrano écrit à ce propos que « Pour la cosmovision maya il n’y a pas de féminin sans masculin, pas de jour sans nuit, pas d’unité sans collectivité, pas de mère la terre sans père le soleil, de telle manière qu’hommes et femmes furent crées pour se complémenter ou être interdépendants et non pas pour s’opprimer les uns les autres, c’est pour cela que les attitudes de suprématie et de supériorité sur les uns ou les unes nous portent torts à nous-mêmes, car dans la vision maya hommes et femmes gardent leur intégrité et leur propre spécificité et, en tant qu’êtres humains, gardent leur relation avec la nature, avec les autres êtres qui l’habitent et avec le cosmos, d’où le fait que le bien-être de chaque être vivant est indispensable pour l’équilibre universel. » [8]Dans cette philosophie maya, tout est en équilibre et en harmonie avec la nature, chaque élément est contrebalancé par un autre, tout est lié et s’organise sans heurts. Les relations entre hommes et femmes suivent cette logique, les deux sexes sont complémentaires, l’un ne va pas sans l’autre, l’égalité de sexe est intégrée au fonctionnement de l’univers. Pour que l’ordre social soit respecté, les deux sexes se doivent mutuellement le respect et doivent s’entraider. Chacun a un rôle à jouer et des responsabilités à assumer. Ce « féminisme à la maya » ne se différencie pas tant à priori du féminisme défini par les occidentales puisque l’enjeu est bien la lutte contre la domination patriarcale. Seuls les termes se transforment, des mots se substituant à d’autres tel que l’équilibre qui remplace la notion d’égalité de genre. Cependant, le féminisme implique un changement global des relations sexuées dans la société et l’on peut se demander si les femmes indiennes remettent vraiment en question la place des femmes dans l’organisation traditionnelle de la communauté.

II) 2. Un culturalisme conservateur.

Une posture fréquente dans les organisations et que l’on retrouve dans les entretiens consiste à idéaliser la culture maya. Cela équivaut à considérer que cette culture propose tous les outils nécessaires au développement harmonieux de tous et qu’elle forme un modèle de société parfaite dont on doit s’inspirer. Il est assez courant par exemple d’écouter des militants mayas, hommes ou femmes, prétendre que grâce à la complémentarité, la discrimination sexuée n’existe pas chez les mayas. D’autres reconnaissent qu’il existe une discrimination mais ils renvoient la faute sur les colonisateurs qui ont importé cette déformation sociale. Cette position ne s’applique pas seulement aux relations sexuées mais aussi à tous les aspects de la vie quotidienne. L’idée de ce culturalisme conservateur est de reprendre les pratiques des ancêtres, perdues à cause de la colonisation, et de les réutiliser dans les pratiques quotidiennes. Il s’agit de prendre modèle sur la sagesse des anciens et de réhabiliter les valeurs qu’ils ont transmises. Les traditions ne sont pas remises en cause mais valorisées, il faut redécouvrir et sauver une identité maya en perdition qui offre toutes les ressources pour l’adaptation des mayas à un monde en changement. Ce discours est tenu notamment par le mouvement mayaniste et quelques organisations de femmes indiennes. Ils diffusent ces idées dans des ateliers de formation qui reprennent point par point tous les aspects de la culture maya. J’ai assisté à plusieurs ateliers d’un groupe politique de femmes mayas. Un rituel de remerciement aux ancêtres ouvre la séance ; il est expliqué, et les femmes sont invitées à y participer. On allume les bougies colorées offertes aux quatre points cardinaux. Puis on analyse le calendrier maya et ses enseignements. Pendant toute la durée de l’atelier des anecdotes et des commentaires font référence à l’identité maya des participantes : on est bien entre semblables, on donne à entendre que l’on connaît leur manière de penser et leur mode de vie. On tente de transmettre la culture en insistant sur différents aspects : la spiritualité, le costume, les symboles, l’éducation, l’histoire, la langue et les coutumes. Les droits des femmes et des indiens sont esquissés, ainsi que l’importance de lutter contre le racisme.

On met en avant les coutumes des anciens qui démontraient un fort respect pour chaque élément de l’univers, lesquels les aidaient en retour à prendre les bonnes décisions. Il est ainsi préférable de regarder la lune avant de couper un arbre afin que le bois soit droit, ou de demander la permission au poulet avant de le tuer sinon son nahuatl risque de se venger. Toutes les croyances anciennes sont exposées pour montrer leur importance. On s’oppose aux valeurs occidentales et l’on propose d’autres modèles respectueux de l’identité maya. On rejette en vrac le consumérisme, la télévision qui tue la conversation… Au niveau éducatif, on dénonce des enseignements inutiles, coupés de la réalité et de la culture maya : « On nous parle de Cléopâtre qui ne respectait pas son mari, on a rien à voir avec ça ! Ils ne nous apprennent pas notre culture, notre propre culture. » On propose une éducation plus respectueuse des enfants, à leur écoute et moins autoritaire, qui enseignerait l’égalité des sexes. On souligne aussi l’importance de la solidarité et de l’égalité entre femmes : « Si Rigoberta Menchu entre dans cette pièce en même temps qu’une autre compagne, on donnera la chaise à Rigoberta Menchu ! C’est pas normal, on est toutes pareilles. » On insiste sur le rôle des personnes âgées et le respect qui leur est dû et qui se perd.

La vision de la femme qui est donnée dans cette organisation est représentative d’une tendance fortement diffusée chez les indiens et qui consiste à vouloir défendre les rôles traditionnels de la femme, tout en prétendant prôner une modernité puisée dans les croyances ancestrales. La femme est considérée comme la gardienne des traditions : il lui incombe de les inculquer à ses enfants et de les conserver dans la vie quotidienne puisqu’elle a la responsabilité de pérenniser la culture maya. Elle est socialement liée à la famille et à la communauté et il lui revient de préserver le rôle qui lui est attribué dans cet espace : « Il est important que nous ayons une idée claire de notre rôle comme femme : si la femme n’est pas au foyer, la maison semble bien vide. » affirme t-on dans l’un des ateliers. La complémentarité est présentée comme « une consultation avec son compagnon. » On défend donc l’égalité des sexes mais on souhaite conserver une organisation sociale et des traditions discriminatoires. Manuela Camus parle de « complémentarité inégale » pour désigner le fait que les femmes sont présentées comme égales aux hommes mais qu’elles conservent une place inférieure dans la communauté : « Les femmes mayas s’imaginent autonomes des hommes, mais aussi liées à eux par une conception de leur être social intimement rattachée à la famille et à la communauté. » [9] La femme maya se doit ainsi pour honorer ses responsabilités de porter le costume traditionnel et de parler sa langue maya, ce qui l’expose encore plus aux discriminations et complique son insertion. Par ailleurs, si on accepte qu’elle fasse respecter ses droits, qu’elle s’affirme en participant à des activités nouvelles, en étudiant ou en travaillant ; cela doit se faire dans la mesure où elle ne néglige pas son foyer et qu’elle reste une bonne épouse et mère de famille. Elle doit lutter contre la violence conjugale et les discriminations mais respecter son mari, sa famille et les sages de la communauté. En ce qui concerne la santé reproductive, on conseille parfois de revenir aux pratiques mayas qui se basaient sur une planification à partir des cycles de la lune.

Cette approche permet de mieux prendre en compte la différence culturelle puisqu’elle expose une certaine vision maya de la société et donne à réfléchir sur la prise en compte de cette diversité dans la constitution d’un gouvernement plus démocratique. Néanmoins, on voit bien les limites de cette récupération à l’identique d’une culture ancestrale. Des transformations ont eu lieu dans la culture maya d’abord par la force, mais elles se sont poursuivies pour adapter la culture aux modifications de l’environnement immédiat : de la société guatémaltèque et du peuple indien lui-même. Il n’est pas possible d’effacer ces changements car ils ont été intégrés dans l’esprit collectif. En guise d’anecdote, l’idée de devoir s’excuser auprès de son poulet avant de le tuer a provoqué les éclats de rire de toutes les femmes présentes à l’atelier.

Rejeter la responsabilité des changements qu’ont connu les communautés mayas sur un « ennemi » extérieur, en exaltant une vision mythifiée du passé, revient à gommer, à nier les discriminations inhérentes aux communautés mayas ; c’est refuser de s’attaquer aux ressorts profonds de la discrimination sexuée. Cette position culturaliste ne répond pas complètement à la demande de subjectivation des femmes indiennes. Elle représente cependant un progrès certain, et elle permet de rendre plus facilement acceptable et convaincante pour l’ensemble de la population indienne la nécessité de lutter contre la domination patriarcale, grâce à des arguments culturels.

Cependant, certaines femmes et groupes de femmes mayas poussent plus loin leurs réflexions et attaquent les fondations mêmes de la discrimination.

II) 3. Un réformisme culturel.

Des femmes indiennes suggèrent aujourd’hui de faire coïncider le mayanisme et le féminisme. Elles refusent de choisir entre leur identité maya et leur identité de femmes mais veulent se construire en les combinant. Pour ce faire, elles insistent sur la nécessité de revisiter la culture maya. Elles revendiquent leur appartenance à la communauté maya et se montrent fière de leurs origines mais elles dénoncent des pratiques et des mentalités qui les briment dans leur développement personnel. Leur objectif est bien la conservation de leur culture indienne mais en l’adaptant à la modernité ; leur conception de la culture n’est donc pas figée mais évolutive. Elles souhaitent une culture respectueuse de leurs individualités qui puisse leur offrir un support de construction identitaire. Elles s’inspirent aussi de la cosmovision à laquelle elle attribue une fonction libératrice ; elles la pensent capable d’aider les femmes indiennes à s’épanouir en leur permettant de se sentir bien avec elles-mêmes et leur environnement. Elles formulent également des propositions pour la constitution d’un gouvernement à partir de valeurs mayas. Mais elles n’hésitent pas à écarter des traditions oppressives : « Le développement vers l’avenir est cohérent et ininterrompu si les éléments anciens et caduques après avoir accompli leur fonction dans une étape antérieure ont la sagesse suffisante pour laisser la place à ce qui est jeune et nouveau, sans l’asphyxier au nom de leur prestige et de leur autorité formelle. » [10]Ces femmes ont conscience que l’on trouve de bonnes et de mauvaises traditions dans la culture maya et pensent qu’un tri doit être effectué. La complémentarité est une belle idée mais elle reste étrangère à la réalité qui est marquée au contraire par l’exclusion, l’exploitation des femmes indiennes, le mépris à leur égard : « La cosmovision maya a des valeurs magnifiques mais ce sont des idées qui n’existent pas dans la réalité. Moi je m’en fiche si les ancêtres étaient égaux. Le plus important est de voir comment vivent les femmes indiennes aujourd’hui. Il faut appliquer la cosmovision à la pratique. »

Toutes les femmes s’accordent à vouloir conserver ce qui a trait notamment à la solidarité, au respect des choses et des êtres environnants, à la reconnaissance des anciens, au rapport privilégié à la nature. Une femme interrogée adhère à l’idée de repenser la cosmovision mais précise que «  le fait de pouvoir dialoguer en famille, de prendre en compte les conseils des anciens ne nuit pas. La solidarité entre voisins, et entre peuples, je ne l’abandonnerai pas. » Mais elles ne sont pas toutes d’accord sur les traditions à rejeter. Diana résume ainsi son avis : « Toutes les traditions personnelles et morales il faudrait les abandonner, les traditions populaires comme les fêtes il faut les conserver. » La limite n’est pas toujours claire entre ce qui relève du folklore et ce qui fait sens au quotidien.

Il ne s’agit donc pas de tout jeter en bloc mais de déconstruire certaines traditions pour adapter la culture aux évolutions. « Nous avons besoin de repenser notre culture, de la déconstruire et de la reconstruire à nouveau. Nous avons besoin de faire l’auto analyse et l’auto critique de quelques principes et valeurs culturelles qui ont été une charge et ont exclu et marginalisé les femmes, au niveau du pays et à l’intérieur des communautés. » [11] Au lieu d’accepter aveuglement les traditions, elles se demandent si réellement elles leur apportent des éléments positifs utiles qui leur permettent d’être heureuses. Elles s’appuient sur les droits de l’homme pour questionner les traditions qui ne respectent pas leurs besoins essentiels.

Dans ce courant innovant, on refuse aussi d’être les seules gardiennes de la tradition. On désire que le rôle de la femme évolue et qu’elle partage cette lourde responsabilité avec les hommes. Conserver la culture oui, mais pas au prix d’un emprisonnement dans des tâches traditionnelles comme le tissage, ou la confection des tortillas. On réinvente son rôle de femme dans la communauté au fil de ses envies. On veut être en accord avec soi-même et être libre d’imaginer un nouvel espace pour la femme. Parmi ses besoins essentiels, on inclut celui d’avoir un contrôle sur sa sexualité. Selon l’une des interviewées, « il y a des coutumes dans mon peuple qui ne sont pas bonnes aujourd’hui, comme le fait de devoir se marier avant 30 ans. Moi je sors avec quelqu’un comme l’envie m’en prend. On dit que les femmes doivent préserver les traditions mayas, c’est aussi aux hommes de le faire. Il faut réinventer la culture. Je suis prête à contribuer à la reconstruction de la cosmovision pour être libre et heureuse. Je veux pas être condamnée par la société. Quand j’ai avorté je l’ai dit à mes sœurs et elles ont compris. » Cette conception inclut les espaces déjà conquis par les femmes qui étudient à haut niveau ou ont des postes de responsabilité en proposant de concilier vie professionnelle et vie privée.

Ce réformisme culturel émerge à peine mais il annonce un terrain fertile à la recréation culturelle et personnelle.


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III) Spécificités et originalités de la lutte des femmes indiennes.

III) 1. Des valeurs constructives spécifiques mises en avant.

Les femmes indiennes se démarquent dans leurs revendications des autres groupes sociaux par un ensemble de valeurs qu’elles mettent en avant.

La plus frappante est un sentiment d’appartenir à un collectif auquel on est fortement relié. On se pense comme partie d’un tout qui impulse l’implication dans un processus de changements sociaux. L’engagement est en effet destiné à améliorer la situation de son groupe ethnique, en même temps que l’appartenance au groupe donne l’élan et le support nécessaires pour se lancer individuellement dans la lutte : « Je dois avoir une vision claire de qui je suis pour le visualiser et le partager dans différents milieux comme mon travail ou ma famille. Je dois avoir une vision claire de ma posture, et de la manière dont je considère ma vie pour commencer le travail de fourmis et le transmettre aux autres. » Cet aller/retour entre individu et collectif est caractéristique de la conception qu’ont les femmes indiennes de leur combat. Elles refusent les valeurs individualistes : elles veulent s’épanouir individuellement dans la mesure où elles se conçoivent comme un organe d’un corps humain ; de la bonne santé de chaque élément dépend la bonne marche de l’ensemble : « Etre indienne représente un défi pour la société. Je suis dans un monde immergé dans de nombreux changements et je suis un défi, je veux influer sur ces changements, et le faire de manière collective. »

Elles prônent des valeurs de solidarité puisque tous les savoirs et les apports qu’elles accumulent ne sont vraiment utiles que dans la mesure où ils sont partagés avec tous. L’idée de transmission orale de l’expérience et des savoirs reste centrale. Cette solidarité entre les femmes mayas et leur peuple doit permettre de dépasser les divisions apparentes : tous sont passés par les mêmes expériences douloureuses et partagent une histoire commune. L’entraide et la compréhension mutuelle doivent se substituer aux jalousies et aux luttes de pouvoirs.

Le respect est une autre valeur brandie par les femmes mayas. Respect pour soi et pour les autres. Cette valeur traditionnelle incite à ne pas mépriser ou maudire son semblable. Elle s’avère essentielle au bon fonctionnement de la communauté qui s’établit sur l’importance donnée aux anciens, aux autorités traditionnelles et aux membres de sa famille. Tous sont égaux et méritent d’être traités dignement. Le respect pour soi implique de ne pas se déprécier, de s’aimer et s’accepter telle qu’on est, en ne reniant pas une identité indienne qui fournit des racines pour sa croissance individuelle. Il s’agit de prendre conscience de ce qu’on vaut et de ce qu’on est capable de faire.

Ce respect pour soi est à rattacher à l’importance donnée à la connaissance de soi. Parvenir à se connaître totalement amène au bien-être personnel. On ne se sent bien que si l’on connaît son corps, ses envies, ses besoins, son histoire et la place que l’on souhaite avoir dans la société, c’est-à-dire si l’on peut répondre aux questions essentielles : d’où je viens, qui je suis et où je vais. L’objectif visé est de trouver le bonheur par un retour sur soi qui a pour fonction de combattre ses souffrances internes, étape préalable à la reconstruction de soi. Ces souffrances sont incarnées dans le corps. Il est donc indispensable de lutter contre l’oppression intériorisée dans le corps pour atteindre l’épanouissement personnel garant de l’efficacité de chacune dans la lutte politique collective. La sphère intime est donc indépendante de l’engagement politique. Les femmes ont le devoir de se développer individuellement sans se sacrifier pour les autres afin d’assurer leur rôle dans l’élaboration de communautés nouvelles : «  Etre une femme indienne c’est quelque chose de beau. A un moment de l’histoire, tu vois qu’ils t’attribuent une identité, mais tu as d’autres opportunités grâce à la Mère la Terre, à la collectivité, à la nature. Etre femme indienne te donne l’opportunité de naître, grandir et vivre au sein d’un groupe collectif. On perçoit tout ça comme une vie digne, une chose dont on doit faire usage, un accomplissement de ta naissance à ta mort. Tout cela est relié à la cosmovision indienne. »

On assiste à une valorisation des manières d’être apprises par les femmes indiennes. Les qualités que l’on exige d’elles comme la douceur, l’écoute des autres, la compréhension, ou un caractère affectueux, ne sont pas remises en cause mais considérées comme une des spécificités de leur forme de lutte. Cela leur permet d’affirmer qu’elles possèdent une manière propre de se mettre en rapport avec le monde et de faire de la politique. En effet, leur rôle de donneuses de vie leur donne un sens des responsabilités et les relie profondément avec l’ordre universel. Elles sont plus attentives aux besoins de chacun et savent gérer la collectivité de façon harmonieuse. «  Elles ont une autre logique et manière d’entrer en relation, d’analyser, de proposer si elles ont conscience d’être femmes. », nous dit une des femmes interrogées. Leur grand sens pratique développé lors de la gestion quotidienne du foyer, les rendrait expertes dans le maniement de l’argent.

Contrairement à certaines féministes occidentales, elles ne nient pas leurs différences sexuées mais les revendiquent comme un apport des femmes pour construire une société moins oppressive, plus juste et démocratique. Les émotions, les sentiments sont réhabilités : on refuse de les réprimer, de les garder au fond de soi. On veut les proclamer au grand jour, se libérer des frustrations, jouer la carte de la transparence. On réclame la fin de l’hypocrisie, des mensonges, de la dissimulation dans les rapports humains. L’authenticité est recherchée dans des relations humaines souvent pourries par les attitudes dominatrices et la peur de l’autre. Dans un des entretiens, une femme nous faisait part de l’agressivité et de la provocation qu’elle démontrait auparavant en réaction aux personnes racistes. Elle faisait exprès de s’asseoir dans le bus au milieu des personnes qui l’évitaient, elle donnait des coups de coude quand on ne la laissait pas passer… Puis elle a observé sa sœur faire la même chose et a eu honte. Elle a réfléchi et a préféré se défendre en partageant ses sentiments de tristesse et de colère avec ses sœurs et en réussissant ses études. Cet exemple parmi d’autres démontre une volonté de pacifier les relations, non seulement entre indiens mais aussi avec les autres groupes sociaux. On cherche d’autres moyens que l’affrontement pour mettre fin aux discriminations.

Beaucoup de ces valeurs se retrouvent dans la cosmovision et sont également partagées par les hommes. Pourtant, elles sont originales et spécifiques aux femmes mayas dans la mesure où elles mettent l’accent sur un univers intime pour penser la société. Leur discours va bien plus loin que celui des hommes car il englobe l’individu et ses sentiments. Il dépasse aussi le discours de genre car il ne réfléchit pas seulement aux rapports de sexe dans la société mais à l’ensemble des rapports que chaque individu noue avec son environnement.

Toutes ces valeurs sont constructives et sonnent comme autant de possibilités de penser une société différente. Pourtant, il s’agit de voir comment ces valeurs sont appliquées, et si elles donnent lieu à la conception d’un projet élaboré et global de recréation de la société.

III) 2. Vers un projet de société alternatif ?

Alain Touraine dans Le Monde des Femmes expose une définition nouvelle des femmes, non plus comme victimes, mais comme actrices de leur vie. Il ajoute que cette construction de soi passe par la réussite de sa sexualité. Son analyse est poussée plus loin puisqu’il affirme que les femmes sont porteuses d’une recréation de la culture qui abolit les conflits et les polarités qu’une organisation de la société à domination masculine avait imposés. La « société de femmes » se spécifie par un monde où la vie personnelle est affichée comme une priorité, et où l’opposition hommes/femmes tend à disparaître. Elle incarne le basculement d’une société régie par des conflits sociaux à une société à dominante culturelle. Il me semble intéressant de mettre face à face ces conclusions déduites d’une étude en milieu occidental avec mes observations réalisées au Guatemala, afin de voir si elles se vérifient dans un contexte différent marqué par le peu de droits effectifs des femmes indiennes et par leur particularisme culturel.

Dans son ouvrage, le sociologue confronte son analyse à la diversité culturelle en consacrant un chapitre aux femmes musulmanes vivant en France. Il désire vérifier si l’on assiste bien à l’émancipation et à l’affirmation de ces femmes en dépit de leur appartenance à une culture parfois discriminatoire envers elles. Contrairement à mes attentes, on retrouve d’importantes similitudes entre les discours des femmes musulmanes en France, et des femmes indiennes au Guatemala. Tout d’abord, ces deux groupes ont en commun de se caractériser par l’ambivalence. En effet, les femmes indiennes rejettent le modèle de développement occidental et ses valeurs, tout en s’appuyant sur le principe du respect des droits individuels. Elles s’opposent notamment à l’individualisme, à la société de consommation, à l’imposition d’une culture extérieure qu’elles associent au modèle occidental, ainsi qu’au féminisme, voie spécifiquement occidentale d’affirmation des femmes, qui leur semble agressive, dominatrice et allant à l’encontre de leurs principes culturels ; mais elles se défendent aussi à partir des droits de l’homme. Par ailleurs, elles disent se bâtir sur leur appartenance communautaire, tout en rejetant les discriminations que cette communauté leur fait subir. Pour cela, elles placent au cœur de leur recherche de soi le réaménagement de la cosmovision maya. Elles revendiquent la conservation et la redécouverte de la culture maya, qui n’est pas une religion institutionnelle structurée par des devoirs et des interdits précis, mais plutôt une philosophie qui invite à réfléchir sur les rapports de l’homme à son environnement. Cette centralité accordée à la philosophie maya est reliée à l’importance donnée à la réappropriation de son corps. Il faut différencier le corps de la sexualité. Les femmes indiennes ne parlent quasiment pas de sexualité bien que certaines évoquent la nécessité d’une sexualité respectueuse et harmonieuse avec son partenaire ; et d’autres, encore plus rares, l’envie de choisir librement son partenaire et d’avoir des relations sans engagement. Pourtant, à aucun moment elles ne la présentent comme le vecteur principal de la construction de soi et du rapport à soi. En revanche, elles soulignent la place du corps dans leur processus de subjectivité puisque la conquête de son corps est perçue comme un préalable à la construction de soi. Le corps a intériorisé les différentes oppressions autant que l’esprit et il faut l’en délivrer. On est bien en présence dans nos entretiens d’un projet culturel porté par les femmes puisqu’elles partent de leur vie privée, de la construction de soi, de leur corps pour agir sur la vie publique. Elles effacent ainsi les divisions instaurées par une société organisée par les hommes. Elles montrent l’exemple d’un modèle culturel où les hommes ne sont pas opposés aux femmes, mais où tous sont en harmonie dans un monde où les rapports de pouvoir disparaissent.

Cependant, si on constate bien au Guatemala l’existence d’un projet culturel porté par les femmes indiennes, celui-ci se distingue du réaménagement culturel proposé selon Alain Touraine par les femmes occidentales, car il se manifeste à un degré moindre. Les théories des queers n’ont pas eu d’influence sur les femmes indiennes qui ont découvert relativement récemment la notion de genre et qui l’identifie à celle de complémentarité. Il n’y a pas remise en question du concept de genre et donc prise de conscience de l’existence de catégories sexuées construites socialement par les hommes et qui visent leur domination à travers la reproduction d’une société hétérosexuelle. Les apports théoriques des queer permettent d’éloigner les spectres du naturalisme et du déterminisme social, deux travers contestables. Les femmes indiennes, par le développement d’une théorie de la dualité ou de la complémentarité, tombent parfois dans l’impasse du naturalisme qui pourrait les empêcher de modifier en profondeur leur place dans les communautés. Elles remettent en cause les traditions et les croyances discriminatoires qu’elles rencontrent dans les communautés, mais l’acceptation de la complémentarité implique une division naturelle des rôles largement acceptée. Les femmes indiennes souhaitent imposer l’égalité de sexe, la reconnaissance des droits individuels et l’affirmation de soi à partir d’une définition de soi et de son rôle dans la communauté qui reste dans le fond très traditionnelle. On combat les discriminations et on se définit comme femme en lutte, actrice de sa vie, alors que paradoxalement on ne souhaite pas rompre l’harmonie de la communauté qui rattache la femme à son rôle de mère et de protectrice du foyer. De plus, l’on continue à s’appuyer sur des qualités naturelles ou acquises par les femmes indiennes qui justifient qu’elles portent une vision de la société différenciée. Le projet s’adosse à une double appartenance identitaire, féminine et culturelle, qui va de paire. Si les personnes interrogées se définissent d’abord comme femmes, elles ajoutent aussitôt qu’elles font partie d’un groupe ethnique ; et le fait d’accoler le second qualificatif au premier donne toute sa force et sa signification à l’auto définition. Le projet des femmes indiennes est basé sur l’existence d’une nature féminine complémentaire à la nature masculine, et donc sur une égalité justifiée par l’ordre naturel du monde. Cet ordre n’est pas respecté par les hommes dans la pratique, il faut donc revendiquer ses droits individuels en oeuvrant pour un collectif jamais absent. Mais la lutte qu’elles mènent contre les trois oppressions qu’elles appréhendent comme interdépendantes a lieu dans le cadre d’un modèle à domination masculine qu’elles ne questionnent pas dans son ensemble.

La libération des femmes indiennes reste donc le plus souvent incomplète car elles ne vont pas au bout de leurs idées. Leur stratégie ressemble encore beaucoup à celle de la première génération de féministes occidentales. En effet, elles font pression pour modifier ou créer des lois en leur faveur, elles veulent changer les mentalités et politiser la vie privée et promouvoir leur participation à égalité avec les hommes dans la société. Cela s’explique du fait que les obstacles que ces femmes indiennes doivent encore franchir sont énormes et rendent les processus de transformation de la société plus longs ; elles n’ont pas obtenu les mêmes avancées que les femmes occidentales, et l’émergence de leur vision culturelle est donc bien plus douloureuse et chaotique. Quelques femmes dans nos entretiens parviennent quand même à se construire comme sujet au risque d’être parfois rejetées par leur communauté mais la majorité reste sur la voie de l’émancipation. L’espoir que représentent ces quelques femmes qui montrent le chemin aux autres me semble pourtant immense. Il annonce une nouvelle façon de penser les rapports au monde, en présentant les femmes comme égales aux hommes mais différentes, en s’appuyant sur leurs particularités culturelles tout en se basant sur les valeurs universelles des droits de l’homme, en luttant individuellement pour soi mais en tant que responsable d’un collectif duquel elles se solidarisent.

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Suite : Conclusion et bibliographie.

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Émilie Ronflard, L’Émergence des femmes indiennes au Guatemala,
mémoire de Master 2 de Sociologie sous la direction d’Yvon Le Bot, soutenu à l’EHESS en septembre 2006.

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[1Adela Delgado Pop, Que es ser indigena a las puertas del nuevo milenio ?, in Identidad : Rostros sin mascara - Reflexiones sobre Cosmovisión, Género y Etnicidad. Guatemala, Oxfam Australia, 2000,p21.

[2Maria Luisa Cabrera Perez-Arminan in Identidad : Rostros sin mascara - Reflexiones sobre Cosmovisión, Género y Etnicidad. Guatemala, Oxfam Australia, 2000, p13.

[3Manuela Camus, Mujeres y mayas : sus distintas expresiones. Berlin, revue Indiana n°17/18, 2000/2001, p 53.

[4Ana Leticia Aguilar Theissen, Un movimiento de mujeres embrionario, in Movimiento de mujeres en Centroamérica. Managua, programa regional La Corriente, 1997.

[5Rigoberta Menchu citée par Hernández Teresita et Murguialday Clara, Mujeres indígenas, ayer y hoy. Aportes para la discusión desde una perspectiva de género. Madrid, Talasa Ediciones, 1992, p 110.

[6Walda Barrios-Klée Ruiz et Edda Gaviola Artigas, Mujeres mayas y cambio social. Guatemala, FLACSO, 2001, p129.

[7Monzon Ana Silvia, Mujeres entre normas y derechos – una aproximación,in Instituto de Estudios Interétnicos, Estado, pueblos indígenas y mujeres. De la represión a la convivencia política. Université San Carlos de Guatemala, revue Estudios Interétnicos, n°17, onzième année, octobre 2004, p 98.

[8Carmen Alvarez Medrano, Cosmovision maya y feminismo, Caminos que se unen ?, in Aura Estela Cumes, Ana Silvia Monzon, La encrucijada de las identidades, Guatemala, 2006, p 22.

[9Camus Manuela, Mujeres y mayas : sus distintas expresiones. Berlin, revue Indiana n°17/18, 2000/2001.

[10Grupo de Mujeres Mayas Kaqla, Algunos colores del arcoiris - Realidad de las Mujeres Mayas. Documento de debate. FDMCA / KAQLA, 2000, p39.

[11Ibid, p44.

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