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DIAL 2839
BRÉSIL - Un évêque du Nordeste en grève de la faim pour protester contre le détournement des eaux du fleuve São Francisco
samedi 1er octobre 2005, mis en ligne par
Pour lutter contre la sécheresse qui frappe régulièrement les populations du Nordeste, le gouvernement brésilien a opté pour un projet d’une importance et d’un coût considérables, consistant à détourner les eaux du fleuve São Francisco. Pour exprimer son opposition à ce projet jugé aussi coûteux qu’inefficace pour les populations, l’évêque franciscain de Barra, Luís Flávio Cappio, a décidé une grève de la faim qu’il a commencé le 26 septembre et dont il envisage qu’elle puisse le conduite jusqu’à la mort si le gouvernement ne revient pas sur son projet. Ci-dessous, textes divers transmis par Xavier Plassat, de la Commission pastorale de la terre.
L’évêque de Barra (Bahia, Brésil), Dom Luís Cappio, franciscain, 58 ans, a entrepris le 26 septembre dernier une grève de la faim contre le projet de détournement des eaux du fleuve São Francisco, une des principales artères fluviales du Brésil (on l’appelle « fleuve de l’intégration nationale »). Soumis depuis des décennies à une exploitation effrénée qui a fini par mettre en péril sa propre survie, le « Vieux Chico » comme on le surnomme tendrement, est aujourd’hui promis à une opération largement contestée dans tout le Nordeste brésilien : le détournement de ses eaux afin - selon les défenseurs du projet assumé par le gouvernement Lula - d’amener l’eau qui manque tant aux populations nordestines.
En réalité, il y a fort à parier que derrière ce projet se cache la permanente et cynique posture de l’oligarchie nordestine, celle qui consiste à invoquer la sécheresse chronique pour maintenir son emprise politique, sociale, économique, sur des populations séculairement dominées dans un vaste système de clientélisme. C’est ce qu’on appelle l’industrie de la sécheresse, au nom de laquelle sont engloutis des millions dans une série d’« éléphants blancs » (grands projets) qui sont autant d’aubaines pour les finances du secteur des entreprises de construction et de l’agrobusiness, grand consommateur en eaux d’irrigation.
Dans le cas précis, il est établi qu’un pourcentage infime de la population (4%) qui en aurait besoin recevra un apport d’eau pour son usage quotidien. Seulement 5% du biome du semi-aride brésilien est touché par ce projet. Pour le prix qu’il risque de coûter on pourrait investir dans des alternatives bien plus efficientes comme par exemple un vaste programme de citernes domestiques pour entreposer des eaux de pluie, sachant que le problème clé du Nordeste brésilien n’est pas tant le faible niveau des pluies (de ce point de vue il y a beaucoup de régions dans le monde en bien pire situation) mais la forte évaporation, qui a pour effet un déficit hydrique (l’évaporation retire 3 fois plus d’eau que n’en amènent les précipitations). C’est dans ce contexte que les organisations populaires et beaucoup de spécialistes défendent pour cette région le développement de stratégies nouvelles de « convivence » de la société avec le « semi-aride ».
Dom Cappio a informé qu’il n’arrêtera sa grève que si la décision du gouvernement fédéral de réaliser le détournement est révoquée.
Il est essentiel que soit donnée une large information à cette action et que de nombreux messages soient envoyés aux adresses mentionnées ci-après.
Xavier Plassat, CPT-Tocantins
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Informations publiées par le journal Folha de São Paulo
du 1 octobre 2005
Le président Luiz Inácio Lula da Silva est disposé à « ouvrir le dialogue » sur le projet de détournement des eaux du fleuve São Francisco, en échange de la fin de la grève de la faim commencée il y a une semaine par l’évêque de Barra, Bahia, Luiz Flávio Cappio, 58 ans. Cette information a été transmise au religieux par le conseiller spécial de Lula, Selvino Heck, à Cabrobó (600 km de Recife), où Cappio accomplit sa promesse, retiré dans une petite chapelle construite par un paysan à 4 km de la ville. Heck a remis à l’évêque une lettre signée de Lula. Selon le conseiller, Lula exprime qu’il partage le même engagement que Cappio, de lutter en faveur des pauvres et ouvre la possibilité de rediscuter le projet de détournement du gouvernement. « Évidemment, aussi bien le président que le gouvernement ont comme préoccupation de faire que cette situation se prolonge le moins possible », a déclaré Heck. « Toute grève de la faim est toujours une situation très difficile. Il y a une préoccupation concrète et le président veut voir un chemin où l’on puisse ouvrir le dialogue. » Le religieux a déclaré qu’il a lu la lettre et répondu au président le remerciant pour sa correspondance. Il a affirmé cependant que sa disposition de maintenir son jeûne jusqu’à l’abandon du projet en est sortie renforcée. « La lettre est très amicale et solidaire, mais ne change rien », a-t-il déclaré, après avoir célébré une messe.
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Interview de Dom Luís Cappio, effectué par Fábio Guibu,
pour le journal Folha de São Paulo, 1 octobre 2005
En grève de la faim depuis une semaine en signe de protestation contre le détournement des eaux du fleuve São Francisco, l’évêque de Barra (à 610 km de Salvador, BA), Luiz Flávio Cappio, 58 ans, a dit hier attendre du président Lula qu’il révoque le projet de détournement et « mette le peuple du Nordeste au dessus des intérêts du capital ». L’évêque a réaffirmé sa disposition à maintenir sa protestation jusqu’à la mort. Selon lui le gouvernement devrait investir dans des ouvrages de petite envergure pour l’approvisionnement en eau. Il a dit compter sur le « bon sens » de Lula.
Pourquoi cette action de protestation ?
Il y a 12 ans que nous luttons pour défendre le fleuve São Francisco et sa population. Quand nous avons perçu que tous les arguments de la raison n’ont pas suffi pour faire se désister le gouvernement du projet de détournement, nous avons jugé qu’il convenait d’adopter une posture plus radicale. Qui sait ? ce que nous n’avons pas obtenu par la raison, nous l’obtiendrons par le cœur.
Pourquoi êtes-vous contre le détournement ?
Nous faisons tout pour que soit mis en pratique le projet de revitalisation du fleuve São Francisco. Le projet de détournement manque de transparence et de vérité. Si on voulait réellement résoudre le problème de l’eau pour les pauvres, on l’aurait déjà fait là où passe le fleuve. Or à 500 mètres des rives du fleuve, les gens n’ont pas d’eau. Avec ce projet on inaugure au Brésil « l’hydronégoce » (NDT : jeu de mot avec ‘agronégoce’ qui signifie ‘agribusiness’). Il s’agit de faire profiter les grandes entreprises, les éleveurs de crevettes, les grandes firmes d’irrigation.
Que devrait-on faire ?
Favoriser et investir dans toutes les actions qui de fait aident à amener l’eau jusqu’aux pauvres, je veux parler des petits projets de citernes, petits barrages, mise à profit des eaux de pluie et du sous-sol. Il existe des actions bien plus économiques et qui résolvent le problème.
Qu’est-ce qui a amené le président Lula à assumer ce projet ?
Je ne sais pas et je ne voudrais pas entrer dans cette discussion. Je veux seulement faire cette sollicitation au président : qu’il repense. Parce que c’est un projet qui va demander des ressources immenses qui pourraient être investies dans d’autres types d’action bien plus proches de la réalité des gens.
Vous pensez possible de changer le projet par votre geste ?
Je donne ma contribution. On sent que la société brésilienne réagit d’une manière très belle, très solidaire. En 6 jours, nous percevons que nous avons réussi une mobilisation populaire bien plus forte qu’en 8 années de lutte.
Jusqu’où allez-vous mener votre grève de la faim ?
Jusqu’à ce que je reçoive un document signé du président révoquant le projet.
Vous croyez encore possible un recul du président ?
Je crois que là, au Palais du Planalto, ils vivent un moment bien difficile, parce que ce geste les a pris par surprise. Je peux imaginer le conflit que ça a dû produire. Mais j’espère que le bon sens l’emportera et que Lula mettra le peuple au-dessus des intérêts du capital
Et si le président ne change pas d’opinion ?
Si le président ne change pas d’idée, eh bien, je remets ma vie.
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Les personnes qui désirent soutenir l’évêque, peuvent écrire aux adresses suivantes :
- Mr le President de la République, Luiz Inácio Lula da Silva :
Presidente da República Federativa do Brasil - Palácio do Planalto - Brasília - DF - CEP : 70150-900 -
Téléfone : (61) 3411.1169 - Fax : (61) 3224.0289
- Mr le Ministre de l’Integration Nationale, Ciro Gomes
- Mme la ministre de l’Environnement, Marina Silva
Proposition de texte :
Informé de la décision du frère Luíz Cappio, évêque de Barra, de poursuivre une grève de la faim jusqu´à ce que soit revue la décision du gouvernement brésilien de réaliser le projet de déviation du São Fancisco, je tiens à manifester mon émotion, admiration et solidarité devant pareille décision. « Une vie pour la vie », selon les paroles de Dom Luíz. Je veux croire que l´emporteront l´esprit de dialogue et le bon sens, et que sera entendue par les autorités compétentes la clameur populaire qui s´exprime dans cette initiative radicale. Je souhaite enfin que les sérieux arguments développés en faveur d´actions alternatives au coûteux et douteux projet de déviation soient prises en considération par tous les responsables.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2830.
– Traduction Dial.
– Sources (portugais) : indiquées au début de chaque texte.
En cas de reproduction, mentionner au moins la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.