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DIAL 3642
AMÉRIQUE LATINE-CARAÏBES - Les femmes chargées d’apporter d’oxygène à l’Église
Óscar Elizalde Prada
vendredi 16 décembre 2022, mis en ligne par
Le site Vida Nueva Digital a publié cet article du journaliste Óscar Elizalde Prada le 8 mars 2022, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. L’auteur y examine les efforts actuels, au sein de l’Église, pour que soit reconnue aux femmes une place à part entière.
Quinze ans après Aparecida, l’Assemblée ecclésiale a ratifié que « promouvoir le rôle et l’apport des femmes dans l’Église et la société » est un des défis pastoraux prioritaires et urgents pour le présent et le futur du continent.
C’est un fait que l’Église, de plus en plus, met l’accent sur la nécessité d’« intégrer les femmes d’une façon particulière en ne les reléguant pas à des rôles de subordonnées ou secondaires et en leur permettant de déployer librement leur visage affectif et matériel », comme en fait état le Document pour le discernement communautaire de l’Assemblée ecclésiale de l’Amérique latine et des Caraïbes, qui s’est tenue du 21 au 28 novembre 2021.
« Que serait l’Église sans les femmes, religieuses et laïques consacrées ? » se demandait le pape François au début du mois de février 2021, à la veille de la Journée mondiale de la vie consacrée. « On ne peut pas comprendre l’Église sans elles » a-t-il déclaré. Les évêques réunis à Aparecida ont reconnu que « les femmes constituent, en général, le groupe majoritaire de nos communautés, elles sont en première ligne pour la transmission de la foi… et doivent être considérées, appréciées à leur juste valeur et respectées » (DAp 455).
En mettant en évidence que « la femme est irremplaçable » (DAp 456), la Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain a proposé quelques directions pastorales pour « encourager une organisation de la pastorale qui aide à mettre en évidence et à développer en chaque femme et dans les espaces ecclésiaux et sociaux le « génie féminin » et qui favorise une très large participation des femmes ».
Cela impliquait aussi « de garantir la présence effective des femmes dans les ministères qui, dans l’Église, sont confiés à des laïques, ainsi que dans les instances de planification et de décision pastorales, en valorisant leur apport » (DAp 458).
Défis pastoraux prioritaires
Quinze ans après Aparecida, l’Assemblée ecclésiale a ratifié que « promouvoir le rôle et l’apport des femmes dans l’Église et la société » est un des défis pastoraux prioritaires et urgents pour le présent et le futur de l’Église du continent. « Une Église qui dénonce les injustices, l’exploitation des femmes, la fragilité et la violation des droits humains » est aussi nécessaire que « l’accès des femmes aux postes à responsabilité et de direction dans une Église dominée par les hommes, alors qu’elles sont la grande majorité du peuple de Dieu, des missionnaires, des religieuses, etc. ».
Ces revendications se sont fait jour durant la phase qui a précédé l’Assemblée, lors d’une consultation qui a duré cinq mois – entre avril et août 2021 –, qui a impliqué près de 70 000 personnes de tout le continent, et qui a donné lieu à un Rapport de synthèse substantiel.
Même si l’on estime qu’il y a « une conscience croissante du rôle des femmes dans la société », ce qui se traduit dans « l’augmentation de leur participation dans diverses sphères de la vie sociale », tout comme dans de multiples espaces à l’intérieur de l’Église où il existe « respect et égalité de choix en ce qui concerne prêtres et évêques » et où l’on valorise la « participation des femmes dans des actes ecclésiaux, comme donner la communion, lire l’Évangile, animer des retraites ou des rencontres, la catéchèse, le travail pastoral et bien d’autres ministères », Il reste largement vrai que beaucoup de femmes ressentent qu’« on ne leur a pas accordé l’égalité d’opportunités et de droits », malgré le fait qu’« elles sont les personnes qui se consacrent le plus au travail pastoral d’évangélisation », et qu’elles demeurent « exclues des espaces de décision, tant ecclésiaux que sociaux ».
Prédomine cependant l’espoir doublé d’une volonté de faire des propositions qui ressort dans l’Assemblée ecclésiale, au sein de laquelle les femmes représentaient 32% du total des participants, soit 355 femmes sur un total de 1104. En pratique, malgré les difficultés, « un air neuf est en train d’arriver dans les communautés ecclésiales à travers les femmes. Elles sont le poumon de l’Église, elles apportent de l’oxygène à l’Église.
Maricarmen Bracamontes, théologienne et religieuse mexicaine, estime que « pour quelques personnes qui sont restées fidèles à l’Église, l’Assemblée comme le Synode représentent un espoir et répondent à leur attente d’une Église réellement à l’écoute et qui traite tous ses membres en accord avec la dignité apportée par le baptême ». Cependant « le risque de la déception et du désenchantement existe si n’apparaissent pas des résultats concrets qui répondent, ne serait-ce que partiellement, aux attentes ».
Motions de l’Esprit
Par où passent les processus de rénovation ou, si l’on veut, les motions de l’Esprit, pour assumer les signes des temps sur la participation et la reconnaissance des femmes dans l’Église ?
« L’Esprit pleure pour que soient reconnus les apports et le charisme des femmes, nombreux et indispensables pour que nous soyons vraiment Église », affirme la religieuse bénédictine déplorant qu’en maintes occasions « ce charisme et ces apports aient été niés, passés sous silence, écartés ».
C’est pourquoi continue-t-elle, « les processus de rénovation, les motions de la Ruah divine qui recrée toute chose, passent obligatoirement par l’écoute de la voix des femmes, par la reconnaissance, l’approfondissement, l’enrichissement et l’actualisation de la théologie avec les contributions que les femmes ont apportées depuis des années par les théologies féministes et autres branches des sciences dans leur ensemble. Cela passe aussi par les groupes de femmes qui se réunissent pour réfléchir sur la Parole de Dieu avec une lecture libératrice qui les aide à découvrir la brèche qui sépare le message de Jésus à leur adresse et les pratiques oppresives et excluantes présentes dans maintes institutions religieuses. »
Les vents de rénovation soufflent aussi à partir du monde séculier. Isabel Corpas de Posada rappelle que « les mouvements de femmes du siècle passé ont ouvert la porte à une présence nouvelle dans les espaces publics. Grâce à leurs revendications pour la place que l’histoire leur avait refusée – en leur imposant le silence, en les rendant invisibles, en les rabaissant et en les enfermant dans l’espace domestique – beaucoup de femmes ont pu, et nous-mêmes avons pu penser par nous-mêmes au lieu d’être pensées par les hommes ; être présentes dans la construction de la société sans avoir besoin de demander la permission ».
Style féminin caractéristique
En Colombie, Corpas de Posada a le mérite d’être la première docteure en théologie laïque, avec tout ce que cela a représenté durant son parcours dans les facultés de théologie où traditionnellement l’enseignement et la recherche étaient entre les mains des ecclésiastiques.
« Il faut reconnaître qu’il y a eu des changements, des petits changements, dans notre Église pour ce qui est de la participation et de la reconnaissance des femmes, avec des nominations significatives », remarque-t-elle, en rappelant que « le mot “hommes” » a été supprimé dans le canon 230 alinéa 1 du Code de droit canonique, afin d’admettre l’accès des femmes à des ministères institutionnels d’accompagnement et de lectorat, mais des ministères laïques et en insistant sur la différence radicale entre ces derniers et les ministères après ordination – pour éviter des confusions. »
« L’Esprit agit, mais il se heurte à la formation des hommes d’Église, reçue depuis des temps immémoriaux, dans la crainte et le mépris à l’égard des femmes. Pour cette raison, il leur est difficile d’admettre leur présence. Ils préfèrent les maintenir « à la place qui est la leur » et mettre en avant le style particulier de leur marque de fabrique féminine, préoccupation qui se retrouve tout au long des documents sur le magistère ecclésial », explique la théologienne colombienne, convaincue de ce que « les changements devront venir des périphéries, par notre activité pastorale, notre obstination à réclamer la place qui nous est due et notre franchise pour insister encore et encore. »
Une Église à visage féminin
Gloria Liliana Franco Echeverri, présidente de la Confédération latinoaméricaine et caribéenne des religieuses et religieux (CLAR), affirme que « nous les femmes dans l’Église, en tant que Peuple de Dieu, nous sommes appelées à être porteuses de liberté et cela prend corps dans un nouveau mode de relation ; nous sommes appelées à être des sujets avec une identité, une vocation et des droits, et cela suppose reconnaissance et appréciation à notre juste valeur. »
En ce sens, elle souligne que « l’Église a un visage féminin », chaque fois que « les assemblées, les groupes paroissiaux, les célébrations liturgiques, les ministères apostoliques des communautés, la qualité de réflexion et la chaleur du dévouement de l’Église se tisse principalement dans le ventre des femmes. »
La présidente de la CLAR avance que, sans conteste, « l’Église est féminine et cela n’exclut pas les hommes, car chez tous, hommes et femmes, habite la force du féminin, de la sagesse, la bonté, la douceur, la force, la créativité, la franchise et la capacité à donner la vie et à faire face avec audace aux situations ». Pour de nombreuses théologiennes latino-américaines il est ainsi hautement significatif que le mot grec Ruah, esprit, soit féminin.
Perspectives de rénovation
Dans la conjoncture ecclésiale actuelle, après la tenue de l’Assemblée ecclésiale et avec le Synode de la synodalité en préparation, Franco Echeverri considère que « nous sommes tous appelés à être ventre, maison, caresse, étreinte, parole… » parce qu’« une Église féminine a la force de la fécondité, qui lui vient de la Ruah ». Une Église qui palpite au rythme du « féminin » est une Église qui a d’amples perspectives de rénovation et cela implique de prendre au sérieux certains itinéraires prioritaires, comme le propose la religieuse :
– Ce sont la personne de Jésus et l’Évangile qui nous invitent. À une rencontre pour faire mémoire de l’engagement en conscience à être des envoyés, des disciples missionnaires, et pour l’actualiser. Faire mémoire est aussi un acte de foi et le discernement est la base de tout processus ou action.
– L’inclusion et la participation aux prises de décisions jaillissent de la conscience de l’identité de peuple de Dieu, et, par le baptême, nous sommes tous porteurs de la même dignité.
– L’option pour l’attention portée à toute forme de vie est l’option pour le Royaume. On fait le choix de la construction de communautés où l’on tend naturellement à relever celui qui est tombé, à soigner les blessures, une communauté dans laquelle les déshérités ont leur place et on travaille pour la dignité humaine comme bien commun, pour les droits de la personne et de la terre.
– Un nouveau mode de relation rend possible une nouvelle identité : plus circulaire, plus fraternelle et sororale. Avec de nouvelles manières d’exercer les ministères dans lesquelles se tissent des relations de solidarité et de proximité. Le lien s’établit par-delà hiérarchies et fonctions, dans cet espace existentiel appelé communauté dans lequel tous se sentent humains et frères.
– On croit en la valeur des processus, donne la priorité à l’écoute et on reconnaît que la fécondité est fruit de la grâce, de l’action de l’Esprit, seul capable de rendre à toute chose sa nouveauté.
Dans un temps crucial pour insuffler une nouvelle vitalité à l’Église latino-américaine et caribéenne, l’Esprit continue à souffler parmi le Peuple de Dieu, d’un souffle féminin, pour exprimer, une fois de plus que, « venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son fils, né d’une femme […] pour que nous accédions à la condition d’enfants » (Ga 4,4). Nous sommes tous frères et sœurs !
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3642.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Vida Nueva Digital, 8 mars 2022.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.