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DIAL 3646

EL SALVADOR - La pêche au plastique et aux ordures dans le Cerrón Grande

Carlos Barrera

mardi 31 janvier 2023, mis en ligne par Dial

Comme l’ont montré de façon répétée les textes publiés autour de la thématique de l’extractivisme [1], ce sont souvent les populations périphériques qui paient le prix des excès des modes de vie et des habitudes de consommation des urbains… Ces deux textes en offrent une triste illustration, en amont, avec les pollutions occasionnées par l’extraction minière, et en aval, avec les montagnes de déchets plastiques qui se retrouvent dans le lac de Cerrón Grande (El Salvador). Le premier texte, de l’Argentin Darío Aranda, a été publié par l’agence d’informations Terra Viva le 3 janvier 2023. Le second, ci-dessous, est l’œuvre du Salvadorien Carlos Barrera (texte et photos). Il a paru sur le site El Faro le 27 septembre 2022.


Le réservoir du barrage de Cerrón Grande couvre une superficie de 135 kilomètres carrés, ce qui en fait le plus grand plan d’eau douce du Salvador. Il s’étend dans les départements de Chalatenango, Cuscatlán et Cabañas, dans le nord du pays. Dans le bassin du réservoir se trouve la commune de Potonico qui, à ce jour, est l’endroit le plus touché par les monceaux de déchets mal gérés provenant des rivières qui se déversent dans le Lempa, comme l’Acelhuate, qui transporte depuis San Salvador d’énormes volumes d’ordures jusqu’à son embouchure dans le Cerrón Grande.

En 2005 le réservoir de Cerrón Grande a été inscrit sur la liste des sites Ramsar, une convention internationale qui vise à la défense et la protection de diverses zones humides du monde. Cette zone est protégée du fait de sa biodiversité et de sa vitalité en tant que source de vie et de travail pour les populations locales. Pourtant, les images que l’on peut voir actuellement de ce secteur du Cerrón Grande se résument à quelques oiseaux pataugeant sur des îles flottantes d’immondices.

Selon des données du ministère de l’environnement, le Salvador produit quotidiennement 4 226,48 tonnes de déchets, dont 80%, soit 3 381 tonnes finissent dans des décharges et 20% ne sont pas gérés adéquatement. Autrement dit, 845 tonnes de déchets se retrouvent dans les cours d’eau, dans les lacs et sur les plages du pays.

À Potonico, au début de 2022, à cause de l’extinction de la jacinthe d’eau, plante invasive qui couvrait la superficie des côtes, les monceaux de déchets, majoritairement plastiques, sont devenus beaucoup plus visibles et ont été entraînés par le courant jusqu’à la partie du réservoir de Cerrón Grande, ou lac de Suchitlán, qui se trouve dans le département de Chalatenango. Pour les habitants de l’endroit, habitués à voir chaque année passer les déchets, ce n’était pas une nouveauté, mais ils ont constaté au fil des semaines une augmentation des volumes d’ordures telle qu’il est devenu impossibles de pratiquer une des activités constituant une source de revenus majeure pour les familles de la zone : la pêche artisanale.

Selon les autorités locales, à la fin du mois d’août 2022, la situation est devenue insoutenable. Les éleveurs eux-mêmes ont dû se mettre au ramassage des ordures, voyant que leurs vaches et leurs chevaux devenaient malades à force d’avaler des fragments de plastique en buvant l’eau du Lempa ; ceux qui pêchaient au harpon on dû renoncer à cause du manque de visibilité dans l’eau, et toute la population de la commune a eu vent des plages de déchets qui s’étaient formées sur les berges du lac. Depuis, les dirigeants locaux regroupés en une coopérative d’éleveurs et d’agriculteurs dénommée Piedra del Idioma [Pierre qui parle] s’activent du lundi au vendredi, de 5 heures du matin à midi pour essayer de nettoyer. Mais, comme ils le disent eux-mêmes, c’est un travail sans fin. Le lendemain matin, le plastique est revenu.

Le Salvador s’est doté en 2019 d’une Loi de gestion intégrale des déchets selon laquelle la responsabilité de la création et de la gestion des déchets incombe aux personnes physiques et morales, ainsi qu’aux secteurs public et privé. Ladite loi prévoit des amendes légères qui ne dépassent pas la valeur de deux salaires minimums, des amendes lourdes pouvant atteindre 20 salaires minimums, et des amendes très lourdes variant de 21 à 40 salaires minimums. Malgré cela, à Potonico, les pêcheurs, éleveurs et agriculteurs continuent de ramasser les ordures, en accusant les gens de la ville : « Là-haut, bien tranquilles, ils se débarrassent des ordures comme ça leur chante et ils nous pourrissent la vie ici », s’est plaint un représentant des éleveurs de Potonico.

Des milliers de particules de polystyrène expansé (plastique) se déplacent au rythme des courants du fleuve Lempa et ont formé une couche sur les eaux du réservoir de Cerrón Grande, dans la zone de la commune de Potonico, Chalatenango. Las particules sont si petites qu’elles peuvent être ingérées par les poissons et autres animaux de l’endroit. Le polystyrène expansé s’utilise principalement dans la restauration rapide et pour la protection des équipements électroniques ; c’est aussi une matière qui, selon les entreprises spécialisées du Salvador, ne peut pas se recycler.
Le problème des déchets qui arrivent à Potonico se pose chaque année. Selon ce qu’ont observé les responsables locaux ces dernières années, en été, lorsque les eaux du réservoir baissent, les ordures se déposent sur les terrains utilisés pour les ensemencements de maïs et de haricots, ce qui oblige les agriculteurs à brûler le plastique pour procéder aux récoltes. Cette année, à cause du volume des déchets, composés en majorité de plastiques, les habitants de Potonico se sont organisés pour retirer les ordures de l’eau.
Liliana Tobar et Sonia Pérez se lèvent tous les matins à 4 h 30 pour sortir le plastique des eaux du réservoir. C’est une habitude qu’elles ont prise il y a presque un mois, lorsque les volumes d’ordures ont commencé à former des îles et des plages : « Ce travail est compliqué parce qu’on a beau enlever des déchets, on en retrouve autant le lendemain au même endroit », explique Sonia.
Des habitants de Potonico regroupés en coopératives d’agriculteurs et de pêcheurs s’affairent de 5 heures du matin à midi au nettoyage du réservoir. Ils le font parce que le Lempa constitue l’une des principales sources de revenus pour les familles. Aux dires de l’un des dirigeants locaux, ils se sont attelés à la tâche avant que la mairie et la Commission exécutive du fleuve Lempa (CEL) ne se décident.
La coopérative d’élevage Piedra del Idioma a fait appel à 50 personnes pour extraire les ordures du réservoir. Les premières semaines, elles ont pris à leur charge le coût des aliments, de l’huile et de l’essence pour les moteurs de leurs bateaux en attendant que la Commission exécutive du Lempa (CEL) leur fournisse des sacs pour le ramassage des ordures, des gants et le nécessaire pour faire fonctionner les bateaux : « Avec ou sans aide, on aurait continué à ramasser les déchets parce que c’est important pour nous. C’est une lutte que nous menons en commun pour récupérer nos sources d’emploi », déclare le dirigeant Carlos Orellana.
Le jour où les pêcheurs ont sorti la plus grosse quantité d’ordures du réservoir dans le secteur de Potonico, on a comptabilisé 500 sacs d’un poids approximatif de 10 kilos d’ordures chacun ; soit environ 4,5 tonnes de déchets recyclables ou non. Une fois ramassées, les ordures sont transportées dans des camions de la CEL vers différentes décharges.
Óscar Menjívar, 45 ans, prend son petit-déjeuner, assis dans une barque et entouré de sacs d’ordures sur la berge du réservoir de Cerrón Grande. Pratiquant la pêche au harpon, il observe que depuis que les ordures ont envahi le plan d’eau, le nombre de ses journées de travail est allé en diminuant : « Ici, la pêche au harpon devient impossible Pour pouvoir tirer, il faut être capable de voir sur quoi on va tirer, mais il s’est créé une couche de déchets qui fait qu’à beaucoup d’endroits même la lumière ne parvient pas à pénétrer l’eau », explique-t-il.
Le travail des habitants de Potonico paraît dérisoire comparé aux quantités de déchets, en plastique dans leur majorité, qui ont été transportées par le courant. Selon ce qu’ils nous ont dit, les travailleurs du ministère de l’environnement ont essayé, un jour, d’installer un trémail pour recueillir plus d’ordures, mais ce dernier a cédé sous le poids ; en conséquence, il a fallu se résigner à effectuer le ramassage à la main au milieu des grandes îles et plages de déchets.
Pour son activité, Mauricio Orellana, pêcheur de Potonico, plonge dans les eaux du réservoir de Cerrón Grande et chasse le poisson au harpon. Depuis que les déchets de plastique ont atteint sa zone de pêche, il a dû réduire ses journées de travail pour pouvoir nettoyer : « Avant l’arrivée des ordures, je pêchais jusqu’à 14 douzaines de tilapias par jour, ce qui me rapportait quotidiennement, tous frais déduits, entre 30 et 40 dollars ; maintenant, je n’arrive pas à la moitié parce qu’on ne voit plus rien dans l’eau à cause des déchets », explique-t-il.
Le réservoir de Cerrón Grande est entré en 2005 dans la catégorie des sites Ramsar, convention internationale qui vise à la défense et la protection de diverses zones humides du monde. Cela signifie que ces zones sont protégées pour leur biodiversité et leur vitalité en tant que source de vie et de travail pour les populations alentour. Cerrón Grande est la deuxième zone humide du pays par son étendue après la baie de Jiquilisco. Actuellement, la faune cohabite avec la nappe flottante de déchets.
Los membres de la coopérative d’élevage Piedra del Idioma de Potonico font état d’une multiplication des maladies de leurs vaches et chevaux. Ils expliquent que leur bétail souffre d’infections de l’estomac à force de boire de l’eau contenant des fragments de plastique qu’ils ne parviennent pas à expulser ensuite.
Il y a quatre mois, racontent les dirigeants de la communauté, les habitants de Potonico ont rempli en une semaine 1 500 sacs de plastique retiré des eaux du réservoir, sacs qui pesaient chacun environ 10 kilos. Cela représente près de 15 000 kilos de déchets : « À ce moment-là, on n’imaginait pas que la crise des ordures allait s’amplifier à ce point dans ce secteur, et nous voilà maintenant en train de faire le ménage jour après jour pour que les pluies de saison nous apportent encore plus de plastique toutes les nuits », déclare Carlos Orellana, membre de la coopérative d’élevage.
Les eaux provenant de San Salvador qui se déversent dans le Lempa via la rivière Acelhuate continuent d’apporter des déchets plastiques dans le réservoir de Cerrón Grande. Les plages de déchets ne cessent de croître sur les rives de Potonico.

 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3646.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : El Faro (El Salvador), 27 septembre 2022.

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