Comme l’ont montré de façon répétée les textes publiés autour de la thématique de l’extractivisme [1], ce sont souvent les populations périphériques qui paient le prix des excès des modes de vie et des habitudes de consommation des urbains… Ces deux textes en offrent une triste illustration, en amont, avec les pollutions occasionnées par l’extraction minière, et en aval, avec les montagnes de déchets plastiques qui se retrouvent dans le lac de Cerrón Grande (El Salvador). Le premier texte, de l’Argentin Darío Aranda, a été publié par l’agence d’informations Terra Viva le 3 janvier 2023. Le second, ci-dessous, est l’œuvre du Salvadorien Carlos Barrera (texte et photos). Il a paru sur le site El Faro le 27 septembre 2022.
Le réservoir du barrage de Cerrón Grande couvre une superficie de 135 kilomètres carrés, ce qui en fait le plus grand plan d’eau douce du Salvador. Il s’étend dans les départements de Chalatenango, Cuscatlán et Cabañas, dans le nord du pays. Dans le bassin du réservoir se trouve la commune de Potonico qui, à ce jour, est l’endroit le plus touché par les monceaux de déchets mal gérés provenant des rivières qui se déversent dans le Lempa, comme l’Acelhuate, qui transporte depuis San Salvador d’énormes volumes d’ordures jusqu’à son embouchure dans le Cerrón Grande.
En 2005 le réservoir de Cerrón Grande a été inscrit sur la liste des sites Ramsar, une convention internationale qui vise à la défense et la protection de diverses zones humides du monde. Cette zone est protégée du fait de sa biodiversité et de sa vitalité en tant que source de vie et de travail pour les populations locales. Pourtant, les images que l’on peut voir actuellement de ce secteur du Cerrón Grande se résument à quelques oiseaux pataugeant sur des îles flottantes d’immondices.
Selon des données du ministère de l’environnement, le Salvador produit quotidiennement 4 226,48 tonnes de déchets, dont 80%, soit 3 381 tonnes finissent dans des décharges et 20% ne sont pas gérés adéquatement. Autrement dit, 845 tonnes de déchets se retrouvent dans les cours d’eau, dans les lacs et sur les plages du pays.
À Potonico, au début de 2022, à cause de l’extinction de la jacinthe d’eau, plante invasive qui couvrait la superficie des côtes, les monceaux de déchets, majoritairement plastiques, sont devenus beaucoup plus visibles et ont été entraînés par le courant jusqu’à la partie du réservoir de Cerrón Grande, ou lac de Suchitlán, qui se trouve dans le département de Chalatenango. Pour les habitants de l’endroit, habitués à voir chaque année passer les déchets, ce n’était pas une nouveauté, mais ils ont constaté au fil des semaines une augmentation des volumes d’ordures telle qu’il est devenu impossibles de pratiquer une des activités constituant une source de revenus majeure pour les familles de la zone : la pêche artisanale.
Selon les autorités locales, à la fin du mois d’août 2022, la situation est devenue insoutenable. Les éleveurs eux-mêmes ont dû se mettre au ramassage des ordures, voyant que leurs vaches et leurs chevaux devenaient malades à force d’avaler des fragments de plastique en buvant l’eau du Lempa ; ceux qui pêchaient au harpon on dû renoncer à cause du manque de visibilité dans l’eau, et toute la population de la commune a eu vent des plages de déchets qui s’étaient formées sur les berges du lac. Depuis, les dirigeants locaux regroupés en une coopérative d’éleveurs et d’agriculteurs dénommée Piedra del Idioma [Pierre qui parle] s’activent du lundi au vendredi, de 5 heures du matin à midi pour essayer de nettoyer. Mais, comme ils le disent eux-mêmes, c’est un travail sans fin. Le lendemain matin, le plastique est revenu.
Le Salvador s’est doté en 2019 d’une Loi de gestion intégrale des déchets selon laquelle la responsabilité de la création et de la gestion des déchets incombe aux personnes physiques et morales, ainsi qu’aux secteurs public et privé. Ladite loi prévoit des amendes légères qui ne dépassent pas la valeur de deux salaires minimums, des amendes lourdes pouvant atteindre 20 salaires minimums, et des amendes très lourdes variant de 21 à 40 salaires minimums. Malgré cela, à Potonico, les pêcheurs, éleveurs et agriculteurs continuent de ramasser les ordures, en accusant les gens de la ville : « Là-haut, bien tranquilles, ils se débarrassent des ordures comme ça leur chante et ils nous pourrissent la vie ici », s’est plaint un représentant des éleveurs de Potonico.
–Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3646. – Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
– Source (espagnol) : El Faro (El Salvador), 27 septembre 2022.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.