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DIAL 3647

PARAGUAY - La « production durable » selon l’agrobusiness. Quelques éléments pour déconstruire ce type de discours

Guillermo Achucarro

mercredi 15 février 2023, mis en ligne par Dial

BASE Investigaciones sociales (BASE-IS) est un centre de recherches associatif paraguayen créé en 1989. Ses travaux contribuent notamment à documenter les avancées de l’extractivisme agricole (soja, élevage) au détriment de l’agriculture paysanne et des zones naturelles. Ce texte de Guillermo Achucarro cherche à déconstruire certains éléments de discours des partisans de l’agrobusiness pour défendre ce modèle de production malgré ses conséquences désastreuses sur l’environnement et le climat.


Asunción, le 13 décembre 2022.

Les sécheresses, les inondations, la perte de fertilité des sols, l’érosion, entre autres phénomènes liés à la crise climatique actuelle, expliquent la montée en puissance du débat sur les moyens de produire l’énorme quantité de marchandises actuellement produites « sans compromettre les générations futures ». La durabilité de la production agricole comme de l’équilibre entre les différents écosystèmes dans le pays constitue un sujet hautement complexe, mais aussi hautement politique, parce qu’il touche directement aux intérêts d’un secteur très puissant.

Dans ce contexte, des porte-parole de l’agrobusiness défendent le modèle actuel en s’appuyant sur certaines données relatives à l’environnement et au climat qui, manipulées, sont utilisées pour faire du respect et de la préservation de la nature le pire ennemi du Paraguay. Il convient d’analyser dans le détail ces données, et les interprétations qu’en font les porte-parole de l’agrobusiness, de manière à pouvoir démystifier ce discours pervers.

Nous allons passer ici en revue certains de ces discours qui cherchent à imposer l’idée que notre pays, en général, ne doit restreindre aucune activité économique du fait des questions environnementales.

Le Paraguay émet peu de gaz à effet de serre (GES), mais s’est engagé à les réduire de 20%

Certes, au niveau mondial, la contribution d’un petit pays d’environ sept millions d’habitants est modeste par rapport à celle des pays beaucoup plus grands et industrialisés. Il faut toutefois préciser que malgré sa taille et sa faible population, si on le compare à d’autres pays du continent, le Paraguay est l’un des principaux émetteurs de GES en Amérique latine [1]. On observe qu’en pourcentages globaux la contribution du Paraguay en la matière est très supérieure à celles de pays plus grands et plus peuplés, comme le Pérou et la Colombie.

Concernant la production de GES par habitant, le Paraguay se classe en tête de l’Amérique du Sud [2], devant des pays comme l’Argentine et le Brésil.

S’agissant de l’engagement de réduire de 20% la quantité de GES du pays [3], des précisions s’imposent : la production nette de GES du pays s’élève à 49 855,53 kilotonnes d’équivalent CO2, et la fermentation entérique (gaz provenant des vaches) représente 30% du total [4]. D’après les engagements pris par le Paraguay dans l’Accord de Paris, notre pays a pour obligation de réduire les GES de 10% du total d’une manière inconditionnelle, et de 10% supplémentaire en fonction de certains facteurs. Si l’on reprend la contribution nette du pays susmentionnée, 10% de cette dernière équivaudraient à 4985 kilotonnes d’équivalent CO2 – c’est le pourcentage de réduction auquel le pays s’est engagé, chiffre qui correspond à peine à un tiers des gaz émis par la totalité de la fermentation entérique.

Ces données mettent clairement en évidence combien les émissions de GES sont concentrées (principalement dans l’élevage) et le risque que les engagements actuels en matière de climat se révèlent insuffisants à long terme.

Paraguay a réduit de 10 % ses émissions entre 2000 et 2017

Ce chiffre est complètement faux quel que soit l’angle duquel on se place. Selon la plateforme Climate Watch, le Paraguay a émis au total 73,27 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2000, et en 2017 un total de 96,46 millions de tonnes d’équivalent CO2 [5]. Les émissions ont atteint un pic en 2015 avec un total de 114,67 millions de tonnes d’équivalent CO2. Sur la période mentionnée, la quantité de GES produits par le pays n’a pas diminué, mais augmenté.

L’Institut forestier national n’a connaissance d’aucune déforestation au Paraguay

Aucun des rapports de l’INFONA ne passe sous silence la déforestation dans le pays. De fait, il est extrêmement difficile d’ignorer cette dernière car la terrible perte de couverture forestière au niveau national saute aux yeux. Avec six millions d’hectares déboisés entre 2001 et 2019, le Paraguay est le deuxième des pays de l’Amérique du Sud accusant les plus fortes pertes de surfaces boisées, derrière le Brésil, selon le système satellitaire Global Forest Watch (GFW). Il est écrit dans le rapport de GFW que 93% de la perte de couverture forestière au Paraguay s’expliquent par des activités liées à la production de matières premières comme la viande bovine, le soja et le bois.

« Nous agissons conformément aux attendus »

Figurer parmi les pays présentant l’un des taux de déforestation les plus élevés d’Amérique du Sud et maintenir une matrice énergétique extrêmement dépendante des combustibles fossiles, tout en faisant partie des plus gros producteurs d’énergie hydroélectrique du monde, voilà qui n’indique pas que nos actions sont à la hauteur des attendus. Plus encore si nous considérons que notre pays est le plus vulnérable face aux manifestations du changement climatique selon une étude réalisée par la Corporation andine de développement (Corporación Andina de Fomento, CAF) en 2014 [6]. D’autant plus que, si l’on en croit un rapport de 2018 de la CEPAL [7], les engagements pris par le Paraguay dans l’Accord de Paris (2015) ne sont pas suffisants pour que soit atteint l’objectif des 2 degrés Celsius au niveau global.

Le pays est bien loin d’agir conformément aux attendus. Au contraire, les politiques suivies aujourd’hui ou qui le seront demain par l’État paraguayen continuent à nous priver des rares ressources naturelles qui nous restent au profit de quelques-uns.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3647.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : Base-IS, 13 décembre 2022.

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