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BRÉSIL - Cinquante ans d’espionnage de Lula da Silva par les États-Unis
Juraima Almeida
mardi 23 juillet 2024, par
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19 juillet 2024 - Des organes fédéraux et d’intelligence des États-Unis ont scruté l’activité politique et syndicale de l’actuel mandataire brésilien pendant cinquante ans.
Divers organes du gouvernement des États-Unis ont observé pendant des décennies le président du Brésil, Luiz Ignacio da Silva, selon un rapport remis par le gouvernement actuel de Joe Biden au biographe du mandataire sud américain, l’écrivain et journaliste Fernando Morais.
L’espionnage s’est étalé de 1966 à 2019 et les documents pour leur plus grande part ont été produits par l’Agence centrale d’intelligence (CIA). Ce travail exhaustif de surveillance a signifié 819 documents pour un total de 3300 pages d’enregistrement. La majeure partie des dossiers a été le fait de l’Agence centrale d’Intelligence (CIA), à partir de 613 investigations et 2000 pages d’information.
La majorité des rapports émanent de la CIA et couvrent la période allant de sa fonction de leader syndicaliste à Sao Paulo, dans les années soixante, jusqu’au début de sa résurrection politique, en 2019. L’information est maintenant dans les mains de Morais, qui a passé trois ans à tenter d’avoir accès à ces informations et y est finalement parvenu grâce à un prestigieux cabinet d’avocats, Pogust Goodhead et La loi d’Accès à l’information des États-Unis.
« Le président était encore en prison quand j’ai obtenu ces documents pour entreprendre la recherche de son nom dans tous les enregistrements existant dans diverses agences. Certaines de toute évidence, n’avaient rien, comme celle chargée de la surveillance de l’introduction illégale d’aliments, mais je les ai tous demandés », a expliqué Morais. Pour l’instant ni le FBI ni la NSA n’ont répondu aux sollicitations de Morais, qui n’a pas encore eu accès à la totalité des documents. On ne sait pas non plus si Lula est à nouveau surveillé pendant son troisième mandat présidentiel.
Il y a trois ans Morais a publié Lula, la première partie de sa biographie. Il pense maintenant inclure une partie de ces nouvelles informations dans le second tome de sa vie politique. On prévoit qu’il sortira dans les prochains mois.
Pour accéder à l’information concernant l’espionnage de Lula, il a formulé une demande d’information publique qu’autorise la Loi d’accès à l’information (connue sous le nom de Freedom of information act), avec l’aide du cabinet d’avocats Pogust Goodhead. La requête qu’il a déposée couvre cinq décennies, depuis l’époque de la dictature militaire – durant laquelle Lula a aussi été emprisonné en tant que dirigeant syndical et fondateur du Parti des travailleurs (PT) – jusqu’à longtemps après son arrestation et son emprisonnement à la suite d’une investigation tendancieuse à son encontre, en 2018.
Entre autres éléments, les documents établissent la relation de Lula avec l’ex-présidente Dilma Roussef (2011-2016), avec des personnalités du Moyen orient (Asie occidentale) et de Chine, outre des projets militaires brésiliens et la production de l’entreprise pétrolière d’économie mixte, Petrobras.
Les documents couvrent la période depuis le succès de Lula au sein du mouvement syndical sous la dictature militaire (1964-1985) jusqu’à peu de temps après son injuste incarcération en 2018. Selon la presse brésilienne Morais n’a pas encore eu accès à la totalité des documents et il n’y a pas, depuis 2023, de recueil d’informations concernant le troisième mandat présidentiel du fondateur du Parti des travailleurs.
À ce jour, ont été identifiés 613 documents de la CIA, 111 du Département d’État, 49 de l’Agence d’Intelligence de la Défense, 27 du Département de la Défense, 8 de l’Armée sud des États-Unis et 1 du Commandement de la cyberdéfense de l’Armée. Le biographe du mandataire brésilien attend encore des réponses du Bureau fédéral d’Investigations (FBI), de l’Agence de sécurité nationale (NSA) et du Réseau de lutte contre la délinquance financière (FinCEN).
Morais a affirmé en outre que toute l’information rassemblée dans ces documents servira pour le second volume de la biographie du mandataire, après la publication de la première partie en 2021. « Il faut faire la lumière sur la relation entre les deux plus grands pays du continent américain. C’est le droit de notre client Fernando Morais et de tous les Brésiliens. Nous espérons que les autorités nord-américaines répondront à notre demande », a dit à Tom Goodhead, administrateur général de Pogust Goodhead.
Pour l’instant, ils attendent toujours la réponse du FBI (la police fédérale), de l’Agence de sécurité nationale (NSA) et de la Financial crimes enforcement network (FinCEN). Le délai est de 20 jours ouvrables, prorogé de 20 autres, pour faire savoir si les données seront transmises ou non.
Morais a déjà travaillé sur des données états-uniennes pour son livre Olga, publié en 1985, qui raconte l’histoire d’Olga Benário Prestes, militante communiste juive allemande, assassinée par les nazis dans une chambre à gaz après avoir été expulsée du Brésil, épouse de Luís Carlos Prestes, militaire et homme politique communiste brésilien.
Il a affirmé que le gouvernement des États-Unis refuse les extraits qu’il considère comme mettant en danger la sécurité de l’État. « Nous savons que le gouvernement nord-américain a analysé de près la scène politique brésilienne dans les dernières décennies, et Lula est l’un des personnages les plus importants de l’histoire de l’Amérique latine », a affirmé l’écrivain.
Ce n’est pas la première fois qu’est révélé le fait que le gouvernement des États-Unis surveillaient les autorités brésiliennes. En 2013, l’ex-informaticien en Système de la CIA, Edward Snowden, fugitif réfugié en Russie, a révélé que les États-Unis, en 2009, ont intensifié leurs actions d’espionnage illégal en Amérique latine, précisément quand le président Lula da Silva est intervenu en faveur de l’Iran devant la communauté internationale pour légitimer sa production d’énergie nucléaire sans but belliciste.
Deux ans plus tard, le site de WikiLeaks de Julian Assange a publié aussi une information confidentielle de l’Agence de sécurité nationale (NASA) qui révélait l’espionnage illégal par Washington de Dilma Roussef et de ses ministres. « Au total 29 téléphones de membres et ex membres du gouvernement ont été mis sur écoute – au début du premier mandat de Dilma – par l’agence étatsunienne, ainsi que celui de l’ex-chef de cabinet Antonio Palocci, et Nelson Barbosa, alors secrétaire exécutif des Finances et l’ex-chancelier Luiz Alberto Figueiredo Machado et l’ex-chef de la GSI (Office de Sécurité institutionnelle), le général José Elito Carvalho Siqueira », affirme le quotidien Folha de Sao Paulo.
Le scandale provoqua une crise diplomatique grave avec l’administration de Barack Obama : la présidente brésilienne annula à la dernière heure un voyage officiel à Washington et la situation n’a commencé à s’améliorer qu’après une visite à Brasilia de Joe Biden, alors vice-président.
Snowden a révélé que sans aucun doute l’Intelligence des États-Unis recueille illégalement des données du monde entier et de gouvernements étrangers en interceptant des communications téléphoniques et des échanges de leaders politiques comme Angela Merkel, l’ex-chancelière allemande, le président Lula da Silva, et l’ex-mandataire espagnol Mariano Rajoy, entre autres. Ils ont en outre espionné des ambassades et un réseau d’ordinateurs internes de l’Union européenne à Washington dans les services du bloc des pays des Nations unies.
L’Agence de sécurité nationale (NSA) le faisait grâce à un programme clandestin de recueil d’informations, connu sous le nom de Prisma — créé en 2007 pour la lutte supposée « contre le terrorisme » — et au système informatique d’analyse de données XKeyscore. Le programme Prisma « permet d’intercepter des courriers électroniques, des vidéos, des photos, des appels vocaux et en images, des activités sur les réseaux sociaux, les mots de passe et autres données d’usagers, enregistrées par les principales entreprises d’internet aux États-Unis », telles que Microsoft et sa filière Skype, Google et son service You Tube, Yahoo, Facebook, AOL, Apple et PalTal.
Glen Greenwald, journaliste du quotidien britannique The Guardian, a témoigné, en 2013, devant la Commission des relations extérieures du Sénat brésilien sur ce que Snowden le premier avait révélé. Le journaliste a dit que le catalyseur clé dans l’espionnage au Brésil a été l’accord que Lula avait signé avec la Turquie pour superviser le développement nucléaire iranien car Washington le considérait comme un montage belliqueux hors norme. « Ils ont confirmé ainsi que l’Amérique latine est une cible pour l’espionnage des États-Unis, quand le gouvernement de Lula a soutenu l’Iran. Aux États-Unis l’opinion sur le Brésil a changé énormément ce qui explique les mesures d’espionnage qui y ont été déployées », a-t-il déclaré.
L’espionnage a pour seul prétexte le terrorisme et la protection de la population. Mais la réalité est qu’il n’a aucun rapport avec le terrorisme ou la sécurité nationale mais plutôt avec des questions économiques, celles des grandes entreprises, des industries. « L’espionnage a donné beaucoup d’atouts commerciaux aux États-Unis pour les informer sur les stratégies du Brésil », a-t-il affirmé devant les sénateurs brésiliens, en août 2013, tandis que dans l’enceinte du parlement plusieurs groupes demandaient au gouvernement de l’époque, celui de Dilma Roussef, d’offrir l’asile à Snowden.
« Le système d’espionnage est simple et plus puissant qu’on ne l’imagine », a déclaré Greebwald. Le journaliste de The Guardian qui réside au Brésil, a déclaré devant le Congrès que quelque 75 fonctionnaires du Service d’Intelligence des États-Unis ont un accès libre aux mails, aux codes, aux photographies et aux documents privés des utilisateurs d’internet du monde entier. « Il y aura certainement plus de révélations concernant l’espionnage du gouvernement des États-Unis et des gouvernements alliés qui comme eux ont pénétré les systèmes de communication du Brésil et de l’Amérique latine » a-t-il ajouté.
Juraima Almeida est une chercheuse brésilienne. Elle est analyste associée au Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE) www.estrategia.la).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/07/19/cinco-decadas-de-espionaje-de-eeuu-a-lula-da-silva/.