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DIAL 2754

AMÉRIQUE LATINE - Quel avenir pour l’Eglise catholique en Amérique latine ?

Diego Cevallos

samedi 16 octobre 2004, mis en ligne par Dial

La position occupée par l’Eglise catholique en Amérique latine va-t-elle se poursuivre dans l’avenir ? Le nombre de catholiques est en baisse proportionnellement à la population totale. Les Eglises pentecôtistes et évangéliques se développent rapidement et attirent un certain nombre de catholiques. Comment comprendre cette situation ? De l’avis même de personnes occupant des postes de responsabilité dans des Eglises non catholiques, cette situation s’explique largement par la rigidité du système catholique romain qui est de plus en plus éloigné des gens. Selon ces mêmes personnes, rien ne changera sous le pontificat actuel puisque celui-ci a largement contribué à créer une telle situation. Article de Diego Cevallos, IPS, octobre 2004.


Diverses études indiquent que la quantité de catholiques est en chute dans toute la région, où se situe près de la moitié des 1 milliard 71 millions de personnes qui sont les adeptes de cette religion aujourd’hui dans le monde.

La perte des fidèles « constitue une constatation douloureuse qui, en tant que pasteurs des Eglises latino-américaines, nous interpelle d’une façon dramatique », a déclaré Cipriano Calderón, membre de la Congrégation vaticane pour les évêques et ancien président du Conseil pontifical pour l’Amérique latine.

Au Brésil, le pays qui comprend le plus de catholiques au monde, soit quelque 100 millions sur 182 millions d’habitants, un demi-million environ abandonne chaque année cette religion. Quelque chose de similaire se passe au Mexique, le second pays ayant la plus grande quantité de catholiques sur la planète. Les croyants catholiques représentent aujourd’hui 88 % des 102 millions de personnes qui vivent dans ce pays, soit presque 10 % de moins que ce que l’on estimait au milieu du XXème siècle.

Il y a d’autres cas comme la Colombie, où seulement 2/3 des habitants se déclarent catholiques actuellement, tandis que dans la décennie des années 50 presque la totalité appartenait à cette religion. Au Guatemala, près du tiers de la population comprenant 12 millions de personnes a déjà abandonné le catholicisme, beaucoup d’entre elles allant rejoindre l’Eglise évangélique.
Alors que 71,3 % des 4,2 millions d’habitants du Costa Rica se déclarent aujourd’hui catholiques, ils étaient 77 % l’an passé à déclarer professer ce credo, selon les données d’une enquête réalisée par l’Ecole de mathématiques de l’Université d’Etat du Costa Rica. Mais un autre sondage, réalisé par la firme privée Unimer Research International, indique que 52 % des Costaricains interviewés « ne croient plus » en l’Eglise catholique, alors que 44 % disent qu’ils y croient. Selon le vicaire épiscopal de ce pays centraméricain, le rythme de diminution des fidèles est en moyenne de 658 personnes par jour. « Dieu passe au second plan », déclare le président de la Conférence épiscopale du Costa Rica, José Francisco Ulloa, tout en se lamentant de la perte des fidèles. Elio Masferrer, président de l’Association latino-américaine pour l’étude des religions, ne croit pas que Dieu passe au second plan. « C’est l’Eglise catholique qui abandonne les premières places sur le marché des religions », a-t-il déclaré à IPS.

« Si l’Eglise catholique n’opère pas de changements dans ses structures centralisées et dans ses messages autoritaires, dans les quinze ans, elle connaîtra un véritable effondrement en Amérique latine », a déclaré l’expert.

Pour Israel Batista, secrétaire général du Conseil latino-américain des Eglises, le catholicisme se réclamant du Vatican est en recul, car il n’a pas su répondre à la demande des fidèles et il a maintenu des structures hiérarchiques éloignées des personnes. Le directeur de la CLAI, organisme qui réunit plus de 150 églises baptistes, congrégationalistes, épiscopales, évangéliques, luthériennes, moraves, mennonites, méthodistes, nazaréennes, orthodoxes, pentecôtistes, presbytériennes, réformées et vaudoises dans vingt-huit pays d’Amérique latine, a déclaré à IPS que « l’Eglise catholique devra changer si elle veut rester forte ».

E. Masferrer et I. Batista partagent la thèse selon laquelle le Vatican s’est éloigné de la vie quotidienne des personnes, de leurs besoins de compassion et d’amour et de leurs soucis terrestres, terrains sur lesquels les évangéliques se positionnent rapidement.
Le secrétaire de la CLAI, qui a son siège en Equateur, affirme que plus de 15 % de la population latino-américaine est aujourd’hui dans les églises évangéliques, ce qui représente « un bond spectaculaire au cours de ces dernières décennies ». « Lorsque vous allez dans une église évangélique, explique-t-il, vous êtes enveloppé par une communauté sans hiérarchies démesurées, tandis que dans les églises catholiques, les fidèles sont dispersés et reçoivent des conseils et même des ordres depuis des lieux éloignés comme le Vatican, qui très souvent n’ont aucune relation avec la réalité des gens. » Sous le règne du pape Jean-Paul II, commencé en 1978, le nombre des catholiques dans le monde, mesuré par la quantité de baptêmes, est passé de 758 millions à 1 milliard 71 millions de personnes, croissance qui ne signifie pas des avancées réelles car elle accompagne le rythme de croissance de l’humanité. En 1978, les catholiques représentaient 17,9 % de la population mondiale, alors que, aujourd’hui, ils sont descendus à 17,2 %. De plus, beaucoup de baptisés, que Rome considère comme des fidèles actifs, sont déjà, dans les faits, en dehors de la religion catholique.

Les données de l’Annuaire pontifical indiquent que le nombre de prêtres a chuté de 3,7 % et celui des moniales de 20,9 % durant les 26 dernières années.

Le président de l’Association latino-américaine pour l’étude des religions a déclaré : « Quelle que soit la façon de les lire, les données démontrent que l’Eglise catholique est en recul dans le monde et que l’Amérique latine a une part importante en cela. » L’expert a cité quelques statistiques pour renforcer son opinion. Au Mexique, il y a un prêtre pour 7 200 fidèles, tandis que dans les Eglises évangéliques le rapport est d’un pasteur pour 230 croyants. De plus, l’âge moyen des pasteurs au Mexique est de 32 ans, alors que celui des prêtres est de 65. Il soutient que « dans peu de temps, l’Eglise (catholique) connaîtra une crise, à moins que ne changent la plupart des structures du Vatican, qui, sous le règne de Jean-Paul II, sont devenues beaucoup plus centralisées et autoritaires ».

Pour le secrétaire de la CLAI, une des fautes visibles de l’Eglise catholique est de s’être éloignée des secteurs pauvres d’Amérique latine, « qui ont été, ensuite, accueillis par les évangéliques ».
Au cours des 26 dernières années, ce que l’on appelle les communautés ecclésiales de base de la région ont subi un important recul, de même que ceux qui les impulsaient, les évêques et les prêtres qui s’identifièrent à la théologie de la libération. Ces communautés tentaient de créer une communion de vie entre le clergé et les habitants des zones marginales urbaines ou rurales.
Au Brésil et au Mexique, pays que Jean-Paul II a visité quatre ou cinq fois, pratiquement tous les évêques de tendance progressiste ont quitté la scène dans le dernier quart de siècle.

Conscient de cette perte des fidèles, mais sans s’éloigner de la ligne du Vatican, l’ancien président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine lance un appel aux évêques et aux prêtres de cette région, dans différents forums, pour qu’ils redoublent d’efforts afin d’éviter que le problème s’aggrave. Dans un de ses discours devant ses coreligionnaires, il a déclaré : « Pourra-t-on dire dans quelques années que la moitié des catholiques du monde se trouve en Amérique latine ? Ne voyons-nous pas comment notre catholicisme perd son sang avec la quantité de fidèles qui quittent l’Eglise de façon continuelle parce qu’ils vont vers les sectes ou qu’ils abandonnent sans plus la religion chrétienne ? » En mars 2003, il s’est inquiété : « Que se passe-t-il à ce sujet à Porto Rico, Guatemala, Mexique et Brésil, pour ne citer que quelques cas ? Nous pensons qu’au Brésil, selon une enquête récente, 25 millions de fidèles ne se reconnaissent déjà plus catholiques. » Le prélat a déclaré : « Il s’agit donc d’un phénomène très grave qui appelle une réponse urgente et responsable. »

Les évangélistes sont déjà la seconde religion au Brésil selon les données du recensement de l’année 2000. Représentant 9 % de la population en 1991, ils sont passés à 15,1 % tandis que les catholiques ont diminué en passant de 83,7 % à 73,7 %.
Le pape a appelé ses fidèles à œuvrer à une « nouvelle évangélisation en Amérique latine », en faisant face aux mouvements religieux qu’il appelle sectes, « en revoyant les méthodes pastorales utilisées, en renforçant les structures de communion et de mission et en profitant des possibilités qu’offre pour l’évangélisation une religiosité populaire purifiée ».
Il a conseillé : « Parmi les initiatives efficaces, on pourrait citer la multiplication des lieux de culte, la mission porte-à-porte que nos jeunes peuvent faire et la création d’une chaîne catholique latino-américaine de télévision, avec des informations ecclésiales pour contrecarrer les chaînes des sectes. »

Mais, pour le secrétaire général de la CLAI, si l’Eglise conduite par le Vatican n’apprend pas à voir avec tolérance les autres religions et à travailler près des personnes et de leurs besoins individuels, elle continuera à perdre du terrain, quelle que soit la propagande qu’elle essaie de faire.

« Les gens, selon E. Masferrer, se sentent étrangers à une Eglise qui censure le divorce et n’est pas disposée à écouter, à une Eglise autoritaire qui parle contre l’usage du préservatif et qui ne s’adapte pas aux temps et aux nécessités réelles des personnes. » Et l’expert a ajouté : « Mais espérer des changements sur tous ces points paraît tout à fait impossible avec le pape actuel. C’est pourquoi l’avenir du catholicisme est menacé. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2754.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, octobre 2004.

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