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DIAL 3015 - Dossier : « Le travail forcé, une question très actuelle »
AMÉRIQUE LATINE - Contre le travail forcé
Cecilia Remón
lundi 1er septembre 2008, mis en ligne par
La lettre d’Adolfo Pérez Esquivel au cardinal de Bolivie, publiée dans le numéro de juillet de Dial , évoquait la question de l’esclavage dans la province du Chaco bolivien, au Sud-ouest du pays. Nous avions aussi publié l’année dernière une série de textes de Xavier Plassat, coordinateur de la Campagne nationale de la Commission pastorale de la terre (CPT) contre le travail esclave au Brésil. Ce dossier « Le travail forcé, une question très actuelle » est constitué de deux textes. Le premier – celui-ci – décrit la situation générale, il a paru dans Noticias Aliadas le 3 juillet 2008. Le second revient, un an après, sur la situation au Brésil.
En Amérique latine et dans les Caraïbes plus de 1,3 million de personnes sont victimes du travail forcé ce qui fait de cette région du monde la seconde, après l’Asie, la plus touchée par ce fléau. Ceci selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT). Selon les calculs réalisés quelque 12,5 millions de personnes dans le monde se trouvent dans cette situation.
Le travail forcé est défini par l’OIT comme « tout travail ou service que l’on exige d’un individu sous la menace d’un châtiment, quel qu’il soit, et pour lequel cet individu ne s’est pas porté volontaire », ce qui n’est pas sans lien avec des situations telles que le servage ou l’esclavage, et la traite.
Les enfants et les populations indiennes sont parmi les plus touchés. Entre 40% et 50% des victimes du travail forcé ont moins de 18 ans et il existe encore des populations indiennes soumises en totalité à un système de servage qui fonctionne avec des rabatteurs qui fournissent de la main d’œuvre pour des activités d’extraction, d’agriculture, minières ou forestières en faisant aux travailleurs une avance d’argent équivalent à une partie des salaires qu’ils doivent recevoir. Ils sont ainsi piégés par une dette impossible à rembourser.
La Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), lors d’une visite en Bolivie du 9 au 13 juin, a constaté « la persistance du problème du servage consécutif à une dette et du travail forcé dans le Chaco bolivien (à la frontière avec le Paraguay), ainsi que l’aggravation de la situation du peuple guarani dans cette région par rapport à la visite antérieure de la CIDH en novembre 2006. »
Selon le constat de la délégation, « la situation de servage et de travail forcé que vivent les familles du peuple guarani est la preuve extrême de la discrimination qu’ont historiquement subie et que continuent à subir les populations indiennes et les communautés rurales en Bolivie.
Selon le rapport de la CIDH, ces familles « vivent dans l’extrême pauvreté et sont soumises à des châtiments tels que les coups de fouet, l’incendie de leurs cultures et l’abattage de leurs animaux ». La délégation a aussi constaté l’existence du travail des enfants interdit par les lois nationales et les traités internationaux ratifiés par l’Etat bolivien.
« Tout ceci se produit dans le cadre d’une impunité due à l’absence à peu prés totale d’une représentation de l’état de niveau national dans la région du Chaco et à l’inefficacité de l’action des instances judiciaires. Cette impunité a pour conséquence la répétition de pratiques incompatibles avec les droits humains » indique le rapport. Outre le servage – pratique qui persiste dans la majorité des pays du bassin amazonien –, les autres formes de travail forcé repérées incluent esclavage et traite des personnes.
Une récente enquête d’un journaliste étasunien, E. Benjamin Skinner, a révélé qu’actuellement on peut se procurer à Haïti un esclave pour 50 dollars. Dans le livre intitulé A Crime so Monstruous : Face-to-Face with Modern Day Slavery [1], Skinner affirme qu’il y a quelque 300 000 enfants haïtiens qui vivent en situation d’esclavage dans leur propre pays.
Des profits multimillionnaires
Roger Plant, directeur du Programme spécial de lutte contre le travail forcé de l’OIT, a expliqué que les profits générés par cette activité illégale atteignent environ 32 milliards de dollars par an.
« C’est un fléau mondial qui touche tout autant les pays en voie de développement que les pays industrialisés. Mais nous pensons sincèrement qu’avec de la volonté politique et l’affectation des moyens nécessaires, nous pourrons éradiquer ce fléau avant 2015 » a affirmé Plant. Pour atteindre ce but ambitieux, Plant a indiqué qu’en 2005 l’OIT a lancé l’Alliance globale contre le travail forcé afin d’inclure les secteurs concernés par cette problématique.
« Nous savons que l’objectif fixé est ambitieux mais c’est une nécessité. Le défi est grand mais pas irréalisable » a dit Plant. « Ce qui nous inquiète, ce sont les nouveaux comportements liés aux systèmes d’embauche, à niveau national sans doute, mais surtout à niveau international. Il faut aller jusqu’aux racines de la pauvreté, il faut chercher des alternatives, améliorer les systèmes d’embauche, de recrutement, tant au niveau international que national. Notre stratégie consiste à établir des alliances avec les patrons, les travailleurs, les institutions éducatives et judiciaires. »
Plant a mis en avant le cas du Brésil comme étant « l’un des pays qui ont pris des initiatives extraordinaires ces dernières années. Bien qu’il soit impossible d’obtenir des chiffres exacts, [les autorités brésiliennes] reconnaissent l’existence d’un minimum de 25 000 personnes en situation de ce qu’ils nomment travail esclave. C’est un vaste problème en particulier dans les zones reculées de l’Amazonie. »
« Il existe un groupe mobile spécial contre le travail forcé qui regroupe des inspecteurs du travail et des représentants de la Police fédérale. C’est un cas unique en Amérique Latine et dans le monde. Ils ont pu ainsi l’an dernier rendre la liberté à presque 5000 personnes », a-t-il expliqué.
Recrutement international
José Luis Daza, directeur du Bureau subrégional de l’OIT pour les Pays Andins, a souligné qu’une des formes les plus modernes du travail forcé est le recrutement international qui consiste à faire signer un contrat à un travailleur dans son pays mais lorsque celui-ci arrive à destination le travail est complètement différent et il se rend compte qu’il a été trompé. Il y a là une nouvelle forme de servage par l’intermédiaire d’agences d’embauche privées qui peuvent être semi-légales voire totalement illégales.
« Un des principes de base est que tous les frais de recrutement doivent être couverts par les employeurs et non par les travailleurs » explique Plant. « Si un travailleur doit payer 10 000 ou 20 000 dollars pour un travail dans un pays riche, il existe un énorme risque pour qu’il finisse en situation de servage. »
Daza fait remarquer qu’il faut prendre en compte le fait qu’« une des caractéristiques du travail forcé est que [le travailleur] est pris dans un système de pression ou de menace d’avoir à subir une sanction ou un châtiment. C’est très important car parfois le châtiment n’est pas infligé directement au travailleur mais éventuellement à sa famille. »
« Des enquêtes judiciaires ou policières révèlent des cas de personnes séjournant plusieurs années à l’étranger et l’on découvre que cette situation vient de ce que des membres de sa famille proche, parents, époux ou enfants, sont sous le coup de menaces qui peuvent aller jusqu’à la mort s’ils portent plainte, s’ils émettent quelque réclamation que ce soit ou si [le travailleur] tente de rentrer au pays », complète-t-il. « Si l’on ajoute à cela la confiscation des papiers d’identité voire la tentative de rendre caduque la validité des passeports, on se rend compte que les méthodes deviennent de plus en plus sophistiquées et lorsque le problème met en jeu des frontières nationales, il est beaucoup plus difficile de trouver une solution. »
Dans le but de lutter contre le travail forcé Plant a souligné l’importance de mettre en œuvre des politiques adaptées qui intègrent prévention, protection et procès des responsables, ce qui est un gigantesque défi car « on ne dispose pas de statistiques sur l’étendue de ces pratiques et la société n’est en général pas vraiment consciente de ce qu’elles constituent un problème dans leur pays ».
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3015.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 3 juillet 2008.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Un crime tellement monstrueux : Face-à-face avec les formes modernes de l’esclavage.
Messages
1. AMÉRIQUE LATINE - Contre le travail forcé, 1er septembre 2008, 17:30, mis en ligne par Claude
Vous parlez des indiens Guaraní... En omettant qu’au Paraguay leur terre natale dont ils ont été dépossédés ainsi que de leur langue le Guaraní, Ils sont obligés de venir faire la mendicité dans les grandes villes pour obtenir de la colle pour réparer les chaussures afin de se droguer pour dormir et oublier les injustices du peuple paraguayen à leur encontre. En quelque sorte les paraguayens sont un peu les voleur de pays et de la langue guarani qu’ils ont mutilés où plutôt accommodés aux nécessités d’un monde moderne.
constatation le vrai Guaraní ne se parle qu’entre les natifs. le guaraní des villes n’est qu’un mélange d’espagnol et de guaraní. Vous oubliez aussi que de tout terrain ils sont chassés même au Paraguay.
Cela va changer dans peu de temps avec les nouveaux dirigeants. Mais cela va prendre un certain temps.
N’ayez pas peur. Prenez donc le courage de le dire
Voir en ligne : AMÉRIQUE LATINE - Contre le travail forcé
1. AMÉRIQUE LATINE - Contre le travail forcé, 4 septembre 2008, 22:13, mis en ligne par Dial
Cher Monsieur,
vous vous trompez de cible. Cet article est consacré au travail forcé dans l’ensemble de la région. Il est aussi, comme vous l’aurez noté, assez court. Il n’y a rien de surprenant, donc, à ce que la situation des Indiens guaraní ne soit pas évoquée en détail. Même si cela peut frustrer vos attentes. Les Guaraní ne sont pas le seul peuple indien à avoir été dépossédés de leurs terres. Il aurait donc aussi fallu parler des autres, pour n’oublier personne. Bref, ce n’était pas le lieu ici.
Cela dit, Dial a déjà publié un certain nombre d’articles sur le peuple guaraní : DIAL 2977, 2931, 2870, 2789.
Bien cordialement,
l’équipe de Dial.