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DIAL 2360

CHILI - Pinochet au Chili. La promesse de Lagos

Ximena Ortúzar

jeudi 16 mars 2000, par Dial

L’arrestation de Pinochet à Londres le 16 octobre 1998 a constitué un événement d’une grande importance pour la lutte contre l’impunité. Le retour au Chili de l’ex-dictateur le 2 mars dernier n’annule pas l’avancée importante qui a été faite dans l’application des possibilités offertes par des conventions internationales. Il apparaît aussi que cet événement a eu une influence bénéfique sur la justice chilienne qui a cessé de se réclamer de la loi d’amnistie pour ne pas mener certaines inculpations qui restaient possibles. Aujourd’hui, avec la venue de Lagos au pouvoir et malgré quelques difficultés juridiques prévisibles, le procès de Pinochet au Chili devient envisageable. Tel est bien l’avis de l’avocat Eduardo Contreras, auteur de la plainte 59, la première à avoir été déposée pour motif de tortures au nom de 643 anciens prisonniers politiques. Depuis, il a réclamé la levée de l’immunité parlementaire du sénateur à vie. Texte paru dans Proceso (Mexico), 5 mars 2000. Revue Proceso, Mexique, mercredi 8 mars 2000 - Ximena Ortúzar


Pour que Pinochet soit jugé au Chili, on doit d’abord procéder à la levée de son immunité parlementaire. Considérez-vous que cette levée soit possible ?

Oui, pour plusieurs raisons. Personnellement, j’ai cet espoir, car la plupart des magistrats qui actuellement siègent à la Cour d’appel de Santiago ont donné des signes, ces deux dernières années, d’une claire volonté de punir les délits contre l’humanité et d’enquêter dans les procès concernant les droits humains. Leur conduite est très différente de celle de leurs pairs au temps de la dictature. Ils ont osé enquêter et défier la juridiction militaire. C’est pourquoi je crois possible la levée de l’immunité.

Qu’en est-il par rapport à la Cour suprême, instance supérieure et définitive pour la levée de l’immunité parlementaire ?

Plusieurs ex-pinochetistes fanatiques l’ont quittée, ce qui lui a permis de prononcer, ces trois dernières années, quelques sentences en matière d’amnistie, de prescription - toujours dans le domaine des droits humains - et d’attachement aux conventions de Genève, ce qui démontre qu’il est bien possible que sa décision nous soit favorable. Mais il y a un autre argument également important : je ne peux pas m’imaginer la honte mondiale d’un pouvoir judiciaire qui, face au cumul des évidences, se refuserait à lever l’immunité parlementaire de Pinochet, ce qui n’est pas autre chose que de permettre sa mise en examen. Ce n’est pas concevable.

Les décisions judiciaires européennes peuvent-elles avoir une influence ?

Sans doute. Car il s’agit des sentences de quatre tribunaux européens : en novembre 1998, la Chambre pénale plénière de l’Audience nationale d’Espagne dont les magistrats ont considéré qu’il y a des évidences concernant la responsabilité criminelle de Pinochet pour des délits de génocide, terrorisme et torture, et qu’il y avait lieu à extradition. En mars 1999, trois magistrats de la même chambre ont confirmé ce critère, en rejetant un recours en appel. À son tour, en avril 1999, la Chambre des Lords d’Angleterre a ratifié la pertinence de la procédure d’extradition en raison des fortes évidences concernant la responsabilité criminelle de Pinochet. En octobre 1999, la Haute Cour britannique a réitéré qu’il y avait lieu à extradition sur la base des délits. C’est pourquoi je crois que les juges chiliens sont obligés de nous accorder la levée de l’immunité parlementaire, y compris les magistrats pinochetistes. Même si ceux qui en décident ainsi pourront ensuite avoir recours à mille ruses pour sauver Pinochet.

La levée de l’immunité est-elle une victoire ?

Une grande victoire démocratique, car Pinochet cesserait d’être sénateur.

Il n’y a pas de délai pour la levée de l’immunité. Que se passerait-il si, par manœuvre, on laissait traîner la décision jusqu’à ce que la réforme constitutionnelle [1] octroie à Pinochet la nouvelle immunité - d’ancien président -, jusqu’à présent irréversible ?

Cela signifierait l’impunité absolue, à moins que le président Lagos n’y ajoute des alinéas permettant la levée de cette immunité.

Franchement, croyez-vous que Lagos se risquera dans ce domaine en faisant usage de son droit de veto ?

Dans une réforme constitutionnelle, le président de la République a le droit d’opposer son veto au projet qu’on lui soumet, et de le renvoyer au Congrès avec les modifications qu’il estime nécessaires. Si le Congrès ignore ces modifications et persiste à conserver le texte originel, le président peut organiser un plébiscite pour trancher le différend. C’est pourquoi je crois que, dans cette affaire, l’arbitre principal est Ricardo Lagos. En Uruguay, Lagos a dit que si le Chili n’est pas capable de faire la justice dans l’affaire Pinochet, il serait une démocratie castrée. La question est : Lagos castrera-t-il la démocratie ?

Qu’en pensez-vous ?

J’ai beaucoup de doutes.

Crime et châtiment

Les militaires - donc Pinochet - comptent sur la loi d’amnistie. Leur suffit-elle en ce moment ?

Non. Et la réforme constitutionnelle dont nous parlons le démontre. Parce que pendant ces deux années de lutte, grâce aux procès entamés au Chili, nous avons réussi à faire des avancées à propos des critères juridiques des tribunaux. Et, aussi bien dans nos plaintes contre des militaires que dans celles déposées par d’autres avocats, également pour violations des droits humains, la Cour suprême a établi une claire jurisprudence : l’amnistie n’est applicable que lorsque l’inculpé a été jugé au préalable. Aujourd’hui le critère est : enquêtez d’abord, jugez ensuite, et si c’est le cas, appliquez l’amnistie. C’est différent de ce qui a été fait pendant beaucoup d’années : on regardait la date des faits et on amnistiait de façon automatique, sans faire d’enquêtes.

Il y a eu aussi un changement en ce qui concerne le respect des Conventions de Genève...

Oui, et ceci est très important, surtout pour la prescription des délits, car la Cour suprême a reconnu que ces conventions sont en vigueur. Et si, comme l’affirmait la Junte dans son décret-loi numéro 5 - de septembre 1973 - au Chili il y avait une « guerre interne », il était obligatoire d’appliquer les conventions de Genève. Celles-ci signalent que les délits commis contre les prisonniers de guerre tortures, exécutions sommaires -, qui ont eu lieu entre septembre 1973 et avril 1978 - période couverte par l’amnistie -, ne sont ni amnistiables ni prescriptibles. Nous savons tous qu’au Chili il n’y a pas eu de guerre, que ceci n’était qu’un prétexte utilisé par la dictature pour justifier le massacre. Et maintenant, cet argument se retourne contre eux, comme un boomerang.

Vous êtes le promoteur de plusieurs plaintes contre Pinochet. Quelle est celle qui a le plus de chances d’aboutir dans le contexte de la réalité chilienne ?

Celle qui concerne la « caravane de la mort », qui a coûté la vie à 72 personnes. C’est spécifiquement pour cette plainte-là que nous avons demandé la levée de l’immunité parlementaire de Pinochet. Parce que c’est celle qui réunit le plus de preuves, ce qui a facilité au juge Juan Guzmán - juge d’instruction des procès contre Pinochet - le développement de l’enquête.

(Actuellement, est inculpé le général Sergio Arellano Stark, qui a agi au cours de la « caravane » en tant que « délégué du commandant en chef de l’armée », c’est-à-dire de Pinochet, selon la constatation établie dans la procédure).

Le dossier de cette affaire comprend déjà plus de dix mille pages. C’est celui qui compte le plus de témoins, le plus de documents, le plus d’enquêtes sur le terrain, le plus de déclarations de militaires. C’est pourquoi nous avons choisi cette affaire, même s’il y en a d’autres, aussi graves ou plus, mais qui ne sont pas autant avancées (...).

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2360.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) :  Proceso, mars 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 

responsabilite


[1Il s’agit de la réforme de l’article 30 de la Constitution, en faveur de l’immunité des anciens présidents de la République, inexistante actuellement. Cette réforme ne prévoit aucun moyen pour lever cette immunité. Elle a été approuvée par chacune des deux chambres, y compris avec les voix des parlementaires de la Concertation au pouvoir. Il manquerait la ratification des deux chambres réunies en Assemblée nationale et l’accord (ou le veto) du nouveau président Ricardo Lagos (NdT).

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