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CHILI - Les laïcs montent en puissance

Régine et Guy Ringwald, NSAE

mercredi 31 octobre 2018, mis en ligne par Dial

6 août 2018 – NSAE - Notre dernier papier [1] commençait par ces mots : « Au Chili, l’Église catholique n’a pas encore touché le fond ». Pour le cas où on aurait pu penser que nous exagérions, voici ce qu’on pouvait lire, quelques jours plus tard, sous la plume de Luis Badilla, vaticaniste chilien, qui dirige à Rome un site officieux d’information : « Six mois après la visite du Pape, tout, malgré ce que François et ses collaborateurs ont fait, semble s’être détérioré de façon irréversible. Les nouvelles, les commentaires, les humeurs sur la réalité chilienne d’aujourd’hui apparaissent comme une sorte de poussée vers le découragement final et vers la reddition. »

Les affaires d’abus sur mineurs et autres sont de plus en plus prises en main par la Justice. Les autorités ont saisi le Vatican pour obtenir des documents, elles s’appuient notamment sur la lettre du Pape aux évêques, dans laquelle il parlait de destruction de preuves. Ils envisagent de demander communication du rapport Scicluna. Sur ce point très sensible, ce n’est pas gagné, mais cela pourrait être une nouvelle bombe. Le cardinal Ezzati, archevêque de Santiago, est convoqué par la Justice, le 21 août, en qualité d’accusé. Il est chaque jour pris à partie dans la presse de tout bord, et n’est plus guère défendu. Son remplacement tourne au casse-tête. C’est Jordi Bertomeu [2] qui est chargé de trouver un remplaçant : il traite directement avec le pape, court-circuitant le cardinal Ouellet, préfet de la congrégation pour les évêques, proche de Sodano.

Le 18 septembre est le jour de la Fête nationale, qui célèbre l’anniversaire de l’indépendance du Chili : cette année, le deux-centième. Traditionnellement, un Te Deum est chanté dans toutes les cathédrales, et cette année, la célébration a un caractère particulier. Une campagne s’est élevée pour que le Cardinal Ezzati ne préside pas le Te Deum dans la cathédrale de Santiago. Le Président Piñera s’est prononcé, envisageant publiquement de ne pas assister à la célébration. Il a même pris contact à Rome. Le 4 août, le Cardinal Ezzati annonçait lui-même qu’il renonçait à célébrer. Le Cardinal archevêque empêché de célébrer la Fête nationale en présence du Président ! Juan Carlos Claret [3] insiste toutefois sur la mobilisation des communautés : « La décision qu’a adoptée Ezzati était attendue du fait de la pression exercée par les communautés et par les autorités de l’État ». Il a ajouté « quand un évêque est signe de division, il doit s’en aller ».

Cependant, la conférence des évêques s’est réunie du 30 juillet au 3 août pour « réfléchir en profondeur » sur la situation que vit l’Église, « particulièrement en raison des graves abus commis par le personnel consacré ». Ils ont publié une longue déclaration où nous relevons :
 un aveu : « nous (les évêques) avons manqué à notre devoir de pasteurs en n’écoutant pas, ne croyant pas, ne prenant pas soin ou n’accompagnant pas les victimes de péchés graves et d’injustices commises par les prêtres et les religieux ».
 l’expression de leur repentir « à ceux qui ont accompagné les victimes, à leurs familles, à ceux qui ont fait des efforts responsables pour rechercher la vérité, la justice, la réparation et la purification, et aux centaines de consacrés et de laïcs qui témoignent quotidiennement de l’amour, de la miséricorde et de la rédemption du Christ et qui sont affectés dans leur ministère par les erreurs, les péchés et les crimes commis ».
 deux mesures techniques :

  • « une annexe aux Lignes directrices “Soins et espoir” sera incluse ». Cette norme régit tous les diocèses du pays, quant à la collaboration avec le ministère public dans la fourniture d’informations ;
  • la nomination de l’avocate Ana María Celis Brunet au poste de Présidente du Conseil national pour la prévention des abus et le soutien aux victimes qui se voit conférer de nouveaux pouvoirs et compétences. Cette instance était précédemment présidée par Mgr Goic qui avait dû céder la place à Mgr Gonzalez, prototype de celui qui n’a rien compris.

Un commentateur fait remarquer que, pour « réfléchir en profondeur » sur les racines du problème des abus sexuels, les évêques n’ont pas ressenti le besoin de s’entourer d’avis de psychologues, de pédiatres, de sociologues, d’historiens. Dans leur déclaration, on cherchera en vain une allusion à l’abus de pouvoir, l’abus de conscience qui, selon le Pape François lui-même, conduisent à l’abus sexuel, et qui sont la cause structurelle du problème.

De leur côté, les laïcs accentuent la pression. Le mouvement parti d’Osorno s’étend de plus en plus. La déclaration qu’on pourra lire ci-dessous émane d’une coordination qui touche treize diocèses, du nord au sud du pays. Elle reprend les positions qui sont, de longue date, celles des laïcs d’Osorno, que ceux-ci avaient déjà repris avec force lors du revirement du Pape sur le cas Barros. À l’époque, ils se sentaient encore un peu seuls.

Il convient de ne pas perdre de vue que les revendications des laïcs qui nous paraissent marquées au coin du bon sens, et qui ne concernent évidemment pas que le Chili, affrontent directement la structure de l’Église catholique, laquelle remonte à l’Empire romain.


Déclaration de la coordination nationale des laïques et laïcs du Chili à l’occasion de la récente déclaration des évêques réunis à Punta de Tralca

« Nous croyons et savons que tu es le Saint de Dieu. » (Jn, 6,69)

 1. Les évêques démissionnaires de l’Église catholique au Chili ont publié à la fin de leur récente assemblée plénière extraordinaire [4] une déclaration qu’ils ont intitulée par euphémisme « Déclaration, décisions et engagements des évêques de la Conférence épiscopale du Chili ».
 2. Nous regrettons qu’au-delà du contenu, les évêques ne se rendent pas compte que c’est eux qui créent le problème, en tant que personnes, fonctionnaires ecclésiaux et citoyens chiliens. Dans toute institution respectable, les personnes identifiées comme étant « le problème » ne peuvent pas proposer de solutions parce qu’elles sont affectées par leur implication.
 3. Nous exigeons que les évêques qui ont « couvert » partent maintenant ! Tout vient en son temps (Ec 3), et aujourd’hui il est temps de l’exiger.
 4. Nous ne ferons pas référence au contenu du document, qui est encore écrit d’une position de pouvoir, patriarcale et non inclusive.

« Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).
 5. Nous aimerions pouvoir apprécier les mentions des laïcs, du Peuple de Dieu, des femmes et des changements structurels, mais seulement dans la mesure où ils viendraient d’évêques dignes de foi.
 6. Nous invitons toutes les autorités qui ont été élues par le vote populaire à rejeter les invitations aux Te Deum des prochaines Fêtes patriotiques, et le Peuple de Dieu à se joindre à la construction d’un laïcat croyant et mature parce qu’« Une autre Église est possible ».
 7. Nous remercions les moyens de communication pour la couverture qu’ils ont assurée et, par leur intermédiaire, nous envoyons, d’Arica à Punta Arenas [5], un salut fraternel et solidaire à tous les diocèses, communautés, groupes laïcs, ainsi qu’aux prêtres, diacres et moniales, religieux et religieuses qui ont toujours combattu avec le peuple avec rectitude éthique et morale.

Le réseau est composé de groupes locaux dans les diocèses suivants : Iquique, Antofagasta, Valparaiso, Santiago, San Bernardo, Melipilla, Rancagua, Talca, Chillán, Concepción, Temuco, Osorno, Puerto Montt [6].


https://nsae.fr/2018/08/06/chili-les-laics-montent-en-puissance/

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[1« Chili : l’Église catholique s’enlise », 25 juillet 2018.

[2Assistant de l’enquêteur Scicluna.

[3Porte-parole des laïcs d’Osorno et très actif dans la coordination nationale des laïcs.

[4Du 30 juillet au 3 août 2018.

[5Arica est à l’extrême nord du Chili et Punta Arenas à la pointe de la Terre de Feu.

[6L’ensemble de ces lieux jalonne la majeure partie du Chili du nord au sud.

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