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AMÉRIQUE DU SUD - Prosur : Trump crée son propre bloc sud-américain contre le Venezuela, la Bolivie, l’ALBA et l’UNASUR

Isaac Bigio

mercredi 17 avril 2019, mis en ligne par Françoise Couëdel

Jeudi 21 mars 2019.

Le vendredi 22 mars est la date de la création du bloc sud-américain pro-Trump que les présidents du Chili, Sebastián Piñera et de la Colombie, Iván Duque, ont lancé et dont ils ont débattu alors qu’ils se trouvaient sur la frontière colombo-vénézuélienne pour soutenir le « Jour D » afin que l’opposition vénézuélienne « libère » son pays de la « tyrannie de Maduro ».

Cela fait 135 ans que s’est achevée la dernière guerre qui a impliqué plus de deux États sud-américains. Ce fut celle que le Chili remporta sur la Bolivie et le Pérou, annexant certains de leurs territoires. La précédente fut celle qui, en 1864-1870, vit la victoire de l’Empire du Brésil (dirigé par une dynastie esclavagiste portugaise), associé à l’Argentine et à l’Uruguay, contre le Paraguay, guerre qui extermina presque la totalité de sa population adulte masculine et lui arracha des territoires. Dans les deux cas le vainqueur compta sur l’appui de ce qui fut la plus grande puissance d’alors, le Royaume-Uni.

Depuis lors et jusqu’à ce jour, ont eu lieu un seul grand conflit entre les seules républiques qui n’ont pas d’accès à la mer, La Bolivie et le Paraguay, en 1932-1935, et quelques conflits relativement mineurs entre le Pérou et l’Équateur, ou la Colombie et le Venezuela, ainsi que la prolongation du processus d’annexions territoriales qui a permis au Brésil de s’emparer encore de terres appartenant à presque tous les pays voisins qui sont au nombre de dix.

La dernière guerre significative qui a eu lieu en Amérique du sud est celle de 1982 mais elle a opposé l’Argentine et le Royaume Uni : elle concernait des îles distantes de 500 kilomètres de la plateforme continentale, les îles Malouines et d’autres qui ne faisaient pas partie du continent antarctique (un premier et unique conflit). À l’époque la plupart des pays de l’Amérique du Sud, à l’exception du Chili de Pinochet, qui collabora avec Thatcher, se rangèrent du côté de la junte militaire argentine, alors que nombre de ces pays étaient des démocraties ou remettaient en question la junte, en raison des dizaines de milliers d’assassinats de compatriotes.

Aujourd’hui c’est l’inverse qui se produit. La majorité des pays de l’Amérique du sud se range derrière Trump et son attitude agressive contre le Venezuela, bien qu’il n’incarne pas une dictature militaire ou de barbouzes, ou qu’il ne s’agisse pas d’îles éloignées ; il s’agit en fait de s’approprier les riches ressources naturelles de la nation qui a les plus grandes réserves d’or noir et de minerai d’or du monde.

Du groupe de Lima au Groupe de Santiago

Désormais Santiago du Chili est devenu le siège fondateur d’un nouveau groupe qui ne cherche pas à être connu sous le nom de la ville où il a été fondé mais comme Prosur. Celui-ci prétend s’ériger comme une alternative à la UNASUR mais, dans les faits, il divise ce que représentait l’Union des nations sud-américaines, et crée un autre bloc qui encourage l’agression contre un voisin, chose qui semblait être du passé depuis plus de 13 décennies.

Tous les membres de Prosur font partie du Groupe de Lima, un bloc qui s’est constitué pour désavouer Nicolás Maduro, en tant que président du Venezuela et qui, lors de leur dernier rendez-vous à Bogotá, a pu compter sur la participation de Mike Pence, Vice-Président des États-Unis et de Juan Guaidó, président de l’Assemblée nationale du Venezuela ; ses membres, ainsi que le Canada et d’autres nations d’Amérique centrale l’ont reconnu comme mandataire de ce pays, à l’exception du Mexique qui a décidé de rompre avec le groupe et de ne pas désavouer Maduro.

Lors de cette réunion il a été question de la proposition de Pence et de Guaidó d’envahir le Venezuela, ce à quoi se sont opposés le Brésil, redoutant que cette décision déstabilise la région et d’autres républiques pour des motifs similaires. L’idée de constituer Prosur est dans la continuité de la politique du Groupe de Lima de désavouer le chavisme et de demander « un changement de régime » au Venezuela ; cela constitue une version plus moderne que les anciens blocs qui se sont constitués en Amérique du Sud pour intervenir dans un pays voisin.

Prosur versus UNASUR

La UNASUR qui est née en 2008 sur la base d’un plus grand processus d’intégration des 12 républiques de l’Amérique du sud continentale est aujourd’hui fracturée. D’un côté se situent la Bolivie, le Venezuela, l’Uruguay, le Guyana, et le Surinam et de l’autre l’Argentine, le Paraguay, le Chili, le Pérou, l’Équateur, le Brésil et la Colombie. Les premiers ont encore des gouvernements teintés d’un certain « progressisme » tandis que les seconds ont de nouveaux présidents qui se sont orientés vers la droite, les États-Unis et la politique ouvertement interventionniste contre le Venezuela.

Les principaux promoteurs de Prosur sont les nouveaux mandataires de la droite dure du Chili (Piñera) et de la Colombie (Duque). Le Brésil pourra y adhérer mais ne s’y sentira pas très à l’aise car le pays qui concentre la majorité des habitants et des terres de l’Amérique du Sud n’a jamais voulu être inféodé aux autres. Avec Lula, le Brésil visait à être un bloc sud-américain sous son commandement et, avec Bolsonaro, le Brésil prétend être l’autre grande puissance des Amériques qui, avec Trump, veut dominer le reste du monde.

C’est désormais un bloc totalement idéologique, car il est fondé sur des gouvernements qui se sont alignés sur Trump, dont l’existence va par conséquent être épisodique et durera tant qu’ils seront au pouvoir. Si les socialistes remportaient à nouveau la présidence du Chili, les Kirchneristes celle d’Argentine, ou que Petro était ensuite élu en Colombie, Prosur pourrait bien voler en éclat.

Prosur : l’ALBA de la droite ?

Prosur est en quelque sorte une version de droite de ce qu’a été l’Alternative bolivarienne pour notre Amérique (ALBA), un bloc initialement constitué par le Venezuela et Cuba et qui, par la suite, s’est élargi en intégrant la Bolivie, l’Équateur, le Nicaragua, le Honduras et six Antilles de langue anglaise. L’ALBA a perdu des membres en raison d’un changement de gouvernement (au Honduras) ou du fait qu’un président ait changé totalement de politique (en Équateur) mais elle est encore constituée de 10 membres, un chiffre plus important que les 7 de Prosur, même si leur poid combiné, géographique, politique, démographique et économique est beaucoup moins important.

Pour le moment Prosur n’exige pas de changement de gouvernement au Nicaragua ou à Cuba, pas plus qu’en Bolivie, pays entouré par 5 républiques, toutes membres de ce nouveau forum. Prosur nourrit l’espoir qu’aux élections présidentielles boliviennes Evo Morales perde et que ce soit l’ex-président Mesa qui le remplace, mais si cela n’a pas lieu, Prosur pourrait bien invoquer alors la fraude ou exiger des sanctions contre la Bolivie si ce pays reste fidèle au Venezuela.

Prosur : un avenir incertain

L’ambition de Prosur serait, semble-t-il, de s’étendre au reste de l’Amérique latine mais là il se heurte au fait que le Panama et le Mexique sont membres observateurs de l’UNASUR et que le plus puissant des présidents d’Amérique centrale, López Obrador, ne partage aucunement la politique de ses membres et ne va pas accepter d’en faire partie, pas plus qu’il n’a voulu rester membre du Groupe de Lima qui visait à changer le gouvernement de Caracas.

La Communauté de la Caraïbe (CARICOM) a conservé une position indépendante à l’égard du Venezuela et a fait en sorte d’éviter que le chancelier de Maduro soit expulsé de l’Organisation des États américains (OEA). Le Système d’intégration Centraméricaine (SICA), est formé de huit pays, avec des gouvernements tant de droite que de gauche, qui voudraient difficilement voir leur bloc se diviser pour s’associer à un Prosur si hostile au Venezuela, à Cuba et au Nicaragua et en désaccord avec le Mexique et la Communauté Caribéenne (Caricom).

Derrière Prosur on voit la main de Trump si impatient d’imposer au Venezuela le président de son choix dont il fait la promotion et de désintégrer les blocs de pays qui ne lui sont pas soumis. De même que le souhait de Trump est que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne et que celle-ci perde en puissance, son ascension à la Maison blanche s’est traduite par la rupture de l’UNASUR et risque d’être suivie d’un éclatement possible de la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe (CELAC).

Avec la création de Prosur nous sommes revenus à la triste époque où l’Amérique du Sud était divisée entre des pays qui se faisaient la guerre et qui y étaient encouragés autrefois par une puissance d’outre-mer, qui était britannique et qui de nos jours est états-unienne.


Isaac Bigio est un politologue, économiste et historien formé à la London School of Economics où il a enseigné la politique latino-américaine.

Traduction française : Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/198862.

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