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HAÏTI - La violence « indiscriminée », l’ONU et l’absence de solutions réelles
Álvaro Verzi Rangel
mardi 13 février 2024, mis en ligne par
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24 janvier 2024 - En Haïti la violence « indiscriminée » des bandes a fait presque 5 000 victimes en 2023, plus du double de l’année précédente selon le rapport trimestriel des Nations Unies, adressé au Conseil de Sécurité, qui demande à la communauté internationale de « redoubler d’efforts » pour que ce pays de la Caraïbe soit un lieu « sûr et stable »
Dans son rapport, le secrétaire général de l’ONU, António Gutteres, a attiré l’attention sur la violence « indiscriminée » des bandes criminelles qui se livrent un combat féroce pour contrôler le territoire et obligent des « centaines de milliers de personnes » à abandonner leur foyer. Gutteres a exhorté la communauté internationale à augmenter en urgence son soutien à la réponse humanitaire et au développement en Haïti. « Il est vital de redoubler d’efforts pour qu’Haïti soit un lieu sûr et stable, ait des bases solides pour un développement durable et soit un pays où les droits humains de tous, soient protégés », a t-il ajouté.
L’assassinat de Moïse
Haïti, le pays le plus pauvre de l’Amérique, plongé dans une longue crise politique et économique, est devenu un territoire propice pour les bandes criminelles qui se sont renforcées après le magnicide du président Jovenel Moïse , le 7 juillet 2021
Depuis l’assassinat de Moïse, le premier ministre Henry, qui n’a jamais été approuvé par le parlement et donc ne jouit pas de mandat constitutionnel, gouverne par décrets. Le Parlement ne fonctionne pas depuis 2019, quand Moïse s’est refusé à organiser des élections législatives. Depuis janvier 2023 le pays n’a aucun élu responsable au niveau national.
En mai 2023, 45 personnes étaient en prison préventive en Haïti, en lien avec cet assassinat, dont 18 ex militaires colombiens. Le parquet des États-Unis soutient que les coupables de l’assassinat avaient prévu initialement de séquestrer Moïse mais qu’ils ont décidé ensuite de le tuer dans le but d’obtenir des contrats officiels du gouvernement de son successeur.
Des tribunaux états-uniens ont condamné à perpétuité un chef d’entreprise haïtien-chilien et un ex colonel de l’armée colombienne pour sa participation à l’assassinat. Un ex sénateur haïtien s’est déclaré coupable et neuf autres accusés sont en attente de jugement aux États-Unis.
En juin 2023, Henry, les leaders politiques et ceux de la société civile haïtiens se sont réunis en Jamaïque, pour participer à une initiative organisée par le Groupe de personnes éminentes de la Communauté de la Caraïbe (CARICOM), constitué de trois ex ministres de la région, pour chercher une solution politique à la crise. Pourtant ils ne sont pas parvenus au consensus. Certains partis politiques et des groupes de la société civile ont signé la Déclaration conjointe de Kingston, avec laquelle ils exigeaient un gouvernement d’unité nationale.
En attendant, neuf importantes organisations haïtiennes de droits humains et un groupe de la diaspora aux États-Unis ont demandé à la communauté internationale qu’elle cesse de soutenir ceux qui sont à l’origine de la crise en Haïti et qu’ils soutiennent, en revanche, l’instauration d’un gouvernement de transition « dirigé par des technocrates qui s’engageraient à ne pas participer aux futures élections et travailleraient (…) dans le but d’organiser des élections libres, justes et crédibles »
Le système judiciaire de Haïti est victime de l’insécurité, de la corruption, des grèves et des interférences politiques. Des groupes de criminels ont pris le contrôle de certains édifices de la justice, entre autres le Tribunal de Paix à Cité Soleil, en juillet 2020, et le Palais de justice de Port au Prince, le principal complexe juridique du pays, en juillet 2022.
On suppose que ces groupes criminels ont dérobé ou détruit des preuves et des dossiers qu’il est probablement impossible de récupérer car les tribunaux haïtiens n’en possèdent pas les copies digitalisées. Les tribunaux n’ont pas été réinstallés. Par conséquent, les investigations sur les massacres de La Saline, en 2018, Bel Air en 2019, Plaine du Cul-de-Sac et Cité Soleil en 2022, et Carrefour-Feuilles en 2023, n’ont pas avancé.
Force internationale
Le Conseil de sécurité a voté en octobre dernier une résolution pour envoyer une force de police en appui, indépendante, commandée par le Kenya, qui n’est pas encore constituée. « Les bandes continuent à commettre des homicides, des enlèvements et des actes de violences sexuelles en toute impunité, surtout contre des femmes et des fillettes », a déclaré Guterres, alarmé par « l’extension rapide de la violence des bandes aux zones rurales considérées sûres ». Des troupes kényanes pour contrôler la situation et les mines d’une valeur stratégique (lithium, uranium, titanes, terres rares) ?
Le pays se souvient encore des abus sexuels et des maladies qui ont accompagné la mission de paix de l’ONU de 2004. Bien que le Conseil de sécurité a finalement opté pour la force multinationale, les Nations unies précisent que ce n’est pas une mission de paix comme celles qui sont intervenues dans le pays depuis 2004 (Minustah) critiquées car certains de ses membres abusèrent sexuellement d’enfants et de femmes et ont transmis le choléra qui a tué plus de dix mille personnes.
La Banque mondiale, a rappelé le rapport, estimait probable qu’en 2023 la pauvreté toucherait 34% de la population et 63% des foyers et indiquait que 40% de la population – plus de 4,35 millions de haïtiens – souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, qui touche en particulier les enfants, et qu’elle est due non seulement au déficit de production locale, mais au dysfonctionnement de la chaîne d’approvisionnement du marché, « conséquence directe de l’insécurité ».
Il soulignait aussi la difficulté de la population pour accéder aux services de base comme la justice, le logement, et les latrines communautaires, et insiste sur le fait que l’insécurité rend particulièrement difficile pour les petites filles et les femmes d’accéder aux zones de récréation.
La violence augmente
En 2023 on a estimé à 4.789 le nombre de victimes, ce qui équivaut à 40, 9 homicides pour 100 000 habitants, face aux 2 183 enregistrés en 2022 (18,1 homicides pour 100 000 habitants), a indiqué le rapport qui a souligné que le nombre d’enlèvements s’est élevé à 2 490 , soit 83% de plus qu’en 2022.
Entre le 1er octobre et le 31 décembre, les autorités ont enregistré 1432 homicides, tandis que le nombre de personnes enlevées est passé de 391 à 698. Des membres des gangs, 1682 ont perdu la vie l’année dernière, contre plus de 2700 civils tués et 1328 blessés.
Les effectifs de la police, cible fréquente des bandes, diminuent à un « rythme alarmant » : en 2023, 1635 officiers ont démissionné, 48 ont perdu la vie, et 75 ont été blessés. Au 31 décembre les effectifs de la police nationale étaient de 13.196 membres.
Au 4 janvier, dans les prisons haïtiennes s’entassaient 11 778 personnes dans des installations prévues pour 3 900 reclus.
Dans la zone métropolitaine de Port au Prince, l’influence des bandes s’est accrue à un « rythme alarmant » dans des zones précédemment moins touchées comme Carrefour-Feuilles, Solino, Bon-Repos, Mariani et Léogâne. À Mariani, faubourg au sud de Port au Prince, les bandes ont pris le contrôle de la principale source d’eau qui alimente plus d’un million et demi de personnes et imposent des tarifs illégaux aux véhicules privés et commerciaux qui entrent ou sortent de la capitale.
Le 23 novembre, le fournisseur de l’énergie électrique de Haïti s’est vu dans l’obligation de transférer le personnel de son siège, situé près de l’aéroport international, vers d’autres installations. Les chefs d’entreprise, les fonctionnaires et les personnes qui circulent quotidiennement dans les transports publics sont ceux qui courent le plus grand risque d’être kidnappés par les bandes armées, dit le rapport.
Plus de 40% de la population de Haïti a souffert d’insécurité alimentaire aiguë. L’accès à l’électricité, à l’eau potable, aux services d’hygiène, aux soins et à l’éducation est sévèrement limité. En dépit des conditions de vie terrible du pays, des gouvernements étrangers ont rapatrié à Haïti plus de 100 000 personnes, entre janvier et août 2023. La République dominicaine est responsable de 94% de ces rapatriements.
Álvaro Verzi Rangel est sociologue et analyste international. Il est codirecteur de l’Observatoire en communication et démocratie et analyste senior du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE, www.estrategia.la).
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://estrategia.la/2024/01/24/la-violencia-indiscriminada-en-haiti-la-onu-y-la-falta-de-soluciones-reales/.