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BRÉSIL - Lettre au peuple de Dieu

153 archevêques, évêques, évêques émérites

vendredi 31 juillet 2020, mis en ligne par Pedro Picho

Toutes les versions de cet article : [français] [Português do Brasil]

Cette lettre a été signée par 153 archevêques, évêques, évêques émérites, y compris le cardinal Claudio Hummes président du REPAM [1], en défense du dialogue pour sauver la démocratie et le pays, avec de dures critiques à un gouvernement qui méprise la santé, l’éducation, la culture, les pauvres et les populations autochtones. La lettre attend encore l’approbation du Conseil permanent de la Conférence des évêques du Brésil (CNBB), mais elle a déjà été divulguée intégralement (fuite intentionnelle ?) par la journaliste Monica Bergamo, sur son blog de la Folha de Sao Paulo. Par la suite elle a été publiée intégralement sur d’autres blogs accompagnée de divers commentaires.


Nous sommes des évêques de l’Église catholique, de diverses régions du Brésil, en profonde communion avec le pape François et son magistère et en pleine communion avec la Conférence nationale des évêques du Brésil, qui, dans l’exercice de sa mission évangélisatrice, défend toujours les petits, la justice et la paix. Nous avons écrit cette Lettre au Peuple de Dieu, interpellés par la gravité du moment dans lequel nous vivons, sensibles à l’Évangile et à la doctrine sociale de l’Église, comme un service à tous ceux qui souhaitent voir surmonter cette phase de tant d’incertitudes et de tant de souffrances.

Évangéliser est la mission de l’Église héritée de Jésus. Elle est consciente que « évangéliser, c’est rendre le Royaume de Dieu présent dans le monde » (Joie de l’Évangile, 176). Nous voyons clairement que « le but de l’Évangile n’est pas seulement une relation personnelle avec Dieu. Notre réponse aimante ne doit pas être comprise comme une simple somme de petits gestes personnels en faveur de certains individus dans le besoin […], une série d’actions destinées uniquement à calmer leur conscience. La proposition est le Royaume de Dieu […] (Lc 4,43 et Mt 6,33) » (Joie de l’Évangile, 180). Nous comprenons donc que le Royaume de Dieu est un don, un engagement et un but.

C’est dans cet horizon que nous nous positionnons par rapport à la situation actuelle au Brésil. Nous n’avons aucun intérêt politique, de parti, économique, idéologique ou autre. Notre seul intérêt est le Royaume de Dieu, présent dans notre histoire, alors que nous avançons dans la construction d’une société structurellement juste, fraternelle et solidaire, comme une civilisation de l’amour.

Le Brésil traverse l’une des périodes les plus difficiles de son histoire, que l’on peut comparer à une « véritable tempête » qui, péniblement, doit être traversée. Les causes de cette tempête combinent une crise sanitaire sans précédent, un effondrement dévastateur de l’économie et la tension qui touche les fondamentaux de la République, causée en grande partie par le Président de la République et d’autres secteurs de la société, entraînant une profonde crise politique et de gouvernance.

Ce scénario d’impasses dangereuses, qui met notre pays à l’épreuve, exige de ses institutions, des dirigeants et des organisations civiles beaucoup plus de dialogue que de discours idéologiques fermés. Ceci nous pousse à présenter des propositions et des pactes objectifs, en vue de surmonter les grands défis, en faveur de la vie, en particulier des secteurs les plus vulnérables et des exclus, dans cette société structurellement inégale, injuste et violente. Cette réalité n’implique pas l’indifférence.

Il est du devoir de ceux qui défendent la vie de se positionner clairement par rapport à ce scénario. Les choix politiques qui nous ont amenés ici et le discours qui propose la complaisance face aux excès du gouvernement fédéral ne justifient pas l’inertie et l’omission dans la lutte contre les maux qui sont tombés sur le peuple brésilien. Calamités qui tombent également sur la Maison Commune, constamment menacée par l’action sans scrupules des exploitants forestiers, des industries minières, des orpailleurs, des grands propriétaires terriens et autres défenseurs d’un développement qui méprise les droits de l’homme et ceux de la terre mère. « Nous ne pouvons pas prétendre être en bonne santé dans un monde malade. Les blessures causées à notre terre-mère nous saignent également » (Pape François, Lettre au Président de la Colombie à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, 06/05/2020).

Tout le monde, individus et institutions, sera jugé pour ses actions ou ses omissions dans ce moment très sérieux et difficile. Nous assistons systématiquement à des discours anti-scientifiques, qui tentent de naturaliser ou de normaliser le fléau des milliers de morts par COVID-19, le traitant comme le résultat du hasard ou de la punition divine, le chaos socio-économique qui nous attend, avec le chômage et la famine qui sont prévus pour les mois à venir, et les combines politiques qui visent à maintenir le pouvoir à tout prix. Ce discours n’est pas basé sur des principes éthiques et moraux, ni ne supporte d’être confronté à la Tradition et à la Doctrine sociale de l’Église, à la suite de Celui qui est venu « pour que tous aient la vie et l’aient en abondance » (Jn 10, 10).

En analysant le scénario politique, sans passions, on perçoit clairement l’incapacité et l’incompétence du gouvernement fédéral pour faire face à ces crises. Les réformes du droit du travail et de la sécurité sociale, considérées comme améliorant la vie des plus pauvres, se sont révélées être des écueils qui ont rendu la vie des populations encore plus précaire. Il est vrai que le Brésil a besoin de mesures et de réformes sérieuses, mais pas comme celles qui ont été prises, dont les résultats ont aggravé la vie des pauvres, non protégé les vulnérables, libéré l’utilisation de pesticides auparavant interdits, assoupli le contrôle de la déforestation et, par conséquent, n’a pas favorisé le bien commun et la paix sociale. Une économie qui insiste sur le néolibéralisme, qui favorise le monopole des petits groupes puissants sur la grande majorité de la population, n’est pas viable.

Le système du gouvernement actuel ne place pas la personne humaine et le bien de tous au centre, mais la défense sans compromis des intérêts d’une « économie qui tue » (Joie de l’Evangile, 53), centrée sur le marché et le profit à tout prix.

Ainsi, nous vivons avec l’incapacité et l’incompétence du gouvernement fédéral à coordonner ses actions, aggravées par le fait qu’il s’oppose à la science, aux États et aux municipalités, aux pouvoirs de la République ; pour aborder le totalitarisme et utiliser des dispositifs répréhensibles, tels que soutenir et encourager des actes contre la démocratie, assouplir le code de la route et l’utilisation des armes à feu par la population, et le recours à la pratique d’actions de communication suspectes, comme les fake news qui mobilisent une masse de partisans radicaux.

Le mépris pour l’éducation, la culture, la santé et la diplomatie nous épouvantent. Ce mépris est visible dans les manifestations de colère contre l’éducation nationale ; en faisant appel aux idées obscurantistes ; en choisissant l’éducation comme ennemie ; par des erreurs successives et grossières dans le choix des ministres de l’éducation et de l’environnement et du secrétaire à la culture ; par l’ignorance et la dépréciation des processus pédagogiques et des penseurs importants au Brésil ; par le dégoût de la conscience critique et de la liberté de pensée et de presse ; par la détérioration des relations diplomatiques avec plusieurs pays ; par l’indifférence du fait que le Brésil occupe l’une des premières places en nombre de personnes infectées et tuées par la pandémie sans même avoir un ministère de la Santé à part entière ; par la tension inutile avec les autres entités de la République pour coordonner la lutte contre la pandémie ; par le manque de sensibilité vis-à-vis des proches des personnes tuées par le nouveau coronavirus et des professionnels de santé qui tombent malades dans leurs efforts pour sauver des vies.

Sur le plan économique, le ministre de l’économie dédaigne les petits entrepreneurs, responsables de la plupart des emplois du pays, ne privilégiant que les grands groupes économiques, les concentrateurs de revenus et les groupes financiers qui ne produisent rien. La récession qui nous hante peut nous faire atteindre les 20 millions de chômeurs. Il y a une brutale discontinuité dans le versement des allocations de ressources des politiques publiques dans le domaine de l’alimentation, de l’éducation, du logement et de la création de revenus.

Fermant les yeux sur les appels des entités nationales et internationales, le gouvernement fédéral fait preuve d’omission, d’apathie et de rejet des plus pauvres et des plus vulnérables de la société, à savoir : les populations autochtones, les quilombolas, les communautés riveraines, les populations des périphéries urbaines, et les personnes qui vivent dans les squats ou dans la rue, par milliers, partout au Brésil. Ce sont les plus durement touchés par la nouvelle pandémie de coronavirus et, malheureusement, on ne voit pas de mesures efficaces qui les permettraient d’espérer surmonter les crises sanitaires et économiques qui leur sont cruellement imposées. Le président de la République, il y a quelques jours, dans le Plan d’urgence pour faire face au Covid-19, approuvé par le législateur fédéral, au motif qu’il n’y avait pas de prévision budgétaire, a opposé son veto à l’accès à l’eau potable, au matériel d’hygiène, à la fourniture de lits d’hôpitaux et de soins intensifs, ventilateurs et appareils d’oxygénation du sang, dans les territoires indigènes, quilombolas et communautés traditionnelles (Cf. Présidence CNBB, Lettre ouverte au Congrès national, 13/07/2020).

Même la religion est utilisée pour manipuler les sentiments et les croyances, provoquer des divisions, répandre la haine, créer des tensions entre les Églises et leurs dirigeants. Il convient de souligner à quel point toute association entre religion et pouvoir dans l’État laïque est pernicieuse, en particulier l’association entre les groupes religieux fondamentalistes et le maintien du pouvoir autoritaire. Comment ne pas être indigné de l’utilisation du nom de Dieu et de sa Sainte Parole, mêlés de discours et de postures discriminatoires, qui incitent à la haine, au lieu de prêcher l’amour, pour légitimer des pratiques incompatibles avec le Royaume de Dieu et sa justice ?

Le moment est à l’union dans le respect de la pluralité ! Pour cette raison, nous proposons un large dialogue national impliquant les humanistes, les personnes attachées à la démocratie, les mouvements sociaux, les hommes et les femmes de bonne volonté, afin que le respect de la Constitution fédérale et de l’État de droit démocratique soit rétabli, avec l’éthique en politique, avec la transparence de l’information et des dépenses publiques, avec une économie qui vise le bien commun, avec la justice socio-environnementale, avec « terre, toit et travail », avec joie et protection de la famille, avec une éducation complète et de qualité et la santé pour tous. Nous sommes attachés au récent « Pacte pour la vie et pour le Brésil », entre la CNBB et les entités de la société civile brésilienne, et en accord avec le Pape François, qui appelle l’humanité à réfléchir à un nouveau « Pacte éducatif mondial » et à la nouvelle « Économie de François et Claire », ainsi que, nous rejoignons les mouvements ecclésiaux et populaires qui recherchent des alternatives nouvelles et urgentes pour le Brésil.

En cette période de pandémie qui nous oblige au détachement social et nous enseigne une « nouvelle normalité », nous redécouvrons nos maisons et nos familles comme « Église domestique », comme espace de rencontre avec Dieu et avec les frères et sœurs. C’est surtout dans cet environnement que doit briller la lumière de l’Évangile, ce qui nous fait comprendre que ce temps n’est pas à l’indifférence, ni à l’égoïsme, ni aux divisions ou à l’oubli (cf. Pape François, Message Urbi et Orbi, 4/12/20).

Par conséquent, réveillons-nous du sommeil qui nous immobilise et fait de nous de simples spectateurs de la réalité de milliers de morts et de la violence qui nous tourmente. Avec l’apôtre Saint-Paul, nous alertons que « la nuit touche à sa fin et le jour approche ; rejetons les œuvres des ténèbres et revêtons l’armure de la lumière » (Rm 13, 12).

« Le Seigneur vous bénit et vous garde. Il vous montre son visage et vous prend en pitié.
Que le Seigneur tourne son regard sur vous et vous donne sa paix ! » (Nm 6,24-26).


Introduction et traduction française de Pedro Picho.

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[1Réseau ecclésial panamazonien.

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