Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Juin 2024 > NICARAGUA - Des religieuses et des religieux dans la clandestinité (…)
DIAL 3707 - Face au silence assourdissant du Vatican
NICARAGUA - Des religieuses et des religieux dans la clandestinité dénoncent : « Cette dictature est capitaliste et néolibérale »
RENEC
vendredi 28 juin 2024, mis en ligne par
Le groupe Religieuses et religieux nicaraguayens dans la clandestinité (RENEC) a publié ces derniers mois plusieurs textes qui dénoncent la dictature du couple de Daniel Ortega et Rosario Murillo, respectivement président (depuis 2007) et vice-présidente du pays (depuis 2017) et appellent à la résistance [1]. Nous publions ici, traduit en français, un nouveau texte du RENEC, rendu public le 22 mai 2024. L’Église catholique fait aussi l’objet de mesures répressives de la part du gouvernement : Monseigneur Rolando Álvarez, évêque Matagalpa, a ainsi passé plus de 500 jours en prison après avoir condamné sans jugement à 26 ans de prison pour « trahison à la patrie ». Après avoir demandé aux fidèles de prier pour Rolando Álvarez, Monseigneur Isidoro Mora, évêque de Siuna, a lui aussi été arrêté peu avant Noël 2023, de même que plusieurs prêtres. À la mi-janvier, les deux évêques ont été transférés à Rome, avec des prêtres et deux séminaristes, après un accord entre le gouvernement et le Vatican. D’autres prêtres avaient déjà été expulsés pour avoir formulé de légères critiques vis-à-vis du gouvernement…
En tant que religieuses et religieux qui accompagnons de l’intérieur du Nicaragua les communautés, mouvements et groupes laïcs, en vivant en communion fraternelle avec eux, corps mystique du Christ vivant et ressuscité, nous prenons la parole face au silence assourdissant et à l’absence d’un magistère qui éclaire la vie quotidienne au Nicaragua.
« Les autorités religieuses s’approchèrent de Jésus pour lui dire : Pars d’ici car Hérode veut te tuer ». Jésus répondit : « Allez dire à ce renard : “Aujourd’hui comme demain je continuerai mon œuvre car il ne convient pas qu’un prophète meure loin de la capitale (Jérusalem). » (Lc 13:31-33)
À tout le peuple de Dieu :
Parler de droits humains pour un croyant c’est parler du mystère même et de la gloire de Dieu révélés à l’être humain, créé à son image et à sa ressemblance. La source ultime des droits humains, en effet, ne se trouve pas dans la volonté des êtres humains, des pouvoirs publics ou de l’État, mais en l’homme lui-même et en Dieu son Créateur.
Au Nicaragua beaucoup d’efforts restent encore à faire pour respecter et promouvoir les droits humains dans leur intégralité, raison pour laquelle le silence pastoral des évêques du pays nous préoccupe profondément.
En tant que Vie consacrée, les silences nous préoccupent, plus encore lorsqu’on prétend réduire au silence les voix des prêtres, des évêques et des religieux qui, animés par leur cohérence évangélique, ont accompagné leurs communautés. Silences qui, nous dit-on, viennent du Saint-Siège, ce à quoi nous répondons que ce ne serait pas la première fois que le Vatican se trompe en négociant avec les oppresseurs et en s’inclinant devant eux sur le dos de leurs victimes. Nous appelons donc à une réflexion pastorale approfondie sur le dommage que nous sommes en train de causer en prétendant faire taire les appels au secours d’un peuple crucifié.
Il est urgent de mettre fin à tout abus d’autorité et maltraitance de la part de la police à l’égard des citoyens qui défendent leurs droits pacifiquement, et également de veiller à ce que soient respectés tous les droits humains de toutes les personnes.
Nous avons passé ces dernières années au sein de communautés de résistance et nous avons partagé aussi la tristesse et même le rejet du peuple nicaraguayen au regard de négociations « sous la table » – tournant le dos aux victimes et conséquence politique du silence face à un gouvernement cruel et criminel.
Face à la corruption et à la violence, le silence n’est en aucun cas évangélique ; presque toujours il sent la complicité. L’exemple de Jésus est très clair : face aux menaces d’Hérode et aux craintes des autorités qui lui conseillent « prudence « et « silence ».
Au contraire de l’exemple de Jésus il semble que le Vatican et la hiérarchie catholique nicaraguayenne préfèrent « la sécurité institutionnelle » au travail évangélique. C’est dur de dire cela mais les faits le démontrent.
Les multiples communautés de résistance au Nicaragua n’acceptent pas cette politique du silence ; c’est pourquoi ici et là, dans les lieux les plus inattendus, nous continuons à résister à cette dictature tellement brutale et couarde dans son usage permanent de la violence contre le peuple désarmé, mais toujours résistant.
Nos cris ont pris une autre forme ces dernières années, mais, petit à petit et un pas après l’autre, nous construisons ce nouveau Nicaragua auquel nous aspirons toutes et tous – des communautés marquées par l’égalité et la non-violence…, des communautés ouvertes à toutes celles et ceux qui rêvent de liberté et de justice.
Disposant des informations provenant des entrailles mêmes de la dictature, nous savons comment contrer la propagande grossière produite par le couple dictatorial lui-même et par son « cercle de fer » de plus en plus réduit.
Dans notre recherche partagée de la vérité, nous prenons comme exemple les premières communautés chrétiennes « des catacombes » – reconnaissant nos faiblesses et vulnérabilités mais confiants en la présence de notre frère Jésus qui partageait aussi nos vulnérabilités.
Au milieu de toute la violence qui nous entoure, nous sommes engagés dans « le travail de l’évangile, aujourd’hui, demain, tous les jours », créant de nouvelles relations sociales entre égaux, en cherchant toujours la vérité, pour renforcer notre mémoire et celle des générations qui nous suivront et toujours, toujours, en nous organisant de façon non-violente.
Nous élevons nos voix en soutien au journaliste Orlando Chávez Esquivel, un catholique engagé dans le quartier El Laboratorio de Léon, récemment arrêté de manière violente par la police, au poète, écrivain et compositeur Pedro Alfonso Morales Rui et aux 131 personnes prisonnières politiques qui sont encore dans les prisons de la dictature où elles mises à l’isolement et torturées cruellement de différentes manières.
Nous sommes également solidaires de leur entourage soumis à une violence constante et qui, par crainte de plus de répression, ne porte pas plainte.
La concentration du pouvoir, la corruption gouvernementale, la confusion État - parti, la soumission des pouvoirs de l’État à la volonté de l’exécutif, l’irrespect des lois, le manque de sécurité juridique, le trafic d’influence, l’intolérance politique, la main mise sur la totalité des mairies du pays et jusqu’aux dernières réformes constitutionnelles, tout cela, à la fois légal et illégitime, nous confirme que, loin de chercher la réconciliation comme la vice-dictatrice le réclame tous les jours, ce qui se prépare concrètement c’est un État dans lequel existe un parti unique avec une succession familiale. Père, épouse, enfants. Une dictature à la Somoza.
L’Église, pour être fidèle à sa mission évangélisatrice, doit lire les signes des temps. Ce fut là l’annonce prophétique du Pape Saint Jean XXIII lorsqu’il convoqua le Concile Vatican II. Par conséquent, nous devons assumer fermement cette invitation à découvrir le souffle de l’Esprit Saint pour annoncer le Ressuscité au cœur de la vie de notre peuple.
Nous vivons, comme le dit Aparecida, un changement d’époque (DA 44). Cela pose d’énormes défis dans tous les domaines : social, économique, culturel, politique et religieux.
Nous constatons avec douleur les grandes difficultés économiques auxquelles sont confrontées de nombreuses familles, à cause de la fracture de plus en plus alarmante entre nouveaux riches et pauvres et du dramatique manque d’emplois dans lequel vit une grande partie de notre population. Dans beaucoup de communautés rurales du Nicaragua, les gens connaissent désormais la faim, les aliments manquent dans les foyers, dont beaucoup sont à la charge de femmes âgées car les plus jeunes ont émigré ou se sont exilés à cause de la violence politique que connaît le pays.
Nous dénonçons et rejetons l’amplification de la politique extractiviste matérialisée par la concession de licences à des entreprises chinoises pour exploiter les ressources naturelles du Nicaragua, ce qui, au lieu d’apporter un développement, plonge le pays dans une extrême pauvreté et une crise aux causes multiples. Cette dictature est capitaliste et néolibérale.
Nous assumons sur la base d’une lecture croyante la tâche d’appréhender la réalité dans le but de :
– 1.- Augmenter en qualité et en quantité la participation dans les paroisses afin de porter l’Évangile à un nombre plus grand de personnes.
– 2.- Faire des paroisses des paroisses missionnaires, évangélisées et évangélisatrices, mobilisées pour la défense des droits humains, solidaires des personnes qui ont des problèmes de santé, de faim, de persécution et de criminalisation pour le simple fait de penser différemment, des paroisses d’accueil des migrants.
– 3.- Résister par le biais de la formation, en analysant la réalité que nous vivons pour nous encourager à l’identifier et à la juger selon Jésus-Christ qui est le chemin, la vérité et la vie ; et agir en tant qu’Église, corps mystique de Jésus-Christ et sacrement universel de salut, mus par l’Esprit Saint, à la propagation du Royaume de Dieu, qui est semé sur cette terre et fructifie pleinement au ciel (DA 19, plan global CELAM 2015-2019, n° 3-7).
– 4.- Développer la prière. Nous ne pouvons pas nous laisser dominer par le pessimisme. Ce serait pêcher à l’encontre de la confiance en Dieu. « Ne nous laissons pas voler l’espérance ! »(EG, 86).
Dans cet esprit et commémorant six ans de lutte extraordinaire contre cette dictature criminelle, nous nous souvenons en ces jours des mères d’avril[[Le collectif des mères d’avril regroupe les mères dont les enfants ont été assassinés par l’armée lors des manifestations contre la réforme de la sécurité sociale au printemps 2018, il y a maintenant 6 ans – note DIAL.], de tous et toutes les centaines d’assassiné⋅e⋅s-disparu⋅e⋅s, les prisonnières et prisonniers politiques, les centaines de milliers d’exilés forcés… et toutes leurs familles.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3707.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Religión digital, 22 mai 2014.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir par exemple : RENEC, « Desde las “catacumbas” de Nicaragua : Pronunciamiento (clandestino) de los religiosos y religiosas », Religión Digital, 2 février 2024.