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DIAL 2941

AMÉRIQUE LATINE - Point de vue sur la Cinquième conférence des évêques d’Amérique latine à Aparecida, au Brésil

P. Bernard Lestienne, sj

vendredi 1er juin 2007, mis en ligne par Dial

Il est trop tôt pour faire une évaluation d’ensemble du travail effectué par les évêques à Aparecida au cours de la Vème Conférence générale des évêques d’Amérique latine et des Caraïbes, qui vient de se terminer. Nous ne disposons pas encore du texte final envoyé à Rome et les contacts de la Conférence avec la presse ont été succincts tout au long de la rencontre. Dial reviendra prochainement sur les orientations qui auront été prises au cours de cette Conférence. Dans l’immédiat, Bernard Lestienne sj, de l’Ibrades (Institut Brésilien de Développement), organe annexe de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB) a bien voulu rédiger pour Dial l’article ci-dessous dans lequel il fait le point sur les travaux préparatoires de la Conférence, qui ont donné lieu à des contributions substantielles et d’origines diverses. Il analyse également la portée du voyage de Benoît XVI et tout particulièrement le contenu de son discours introductif à la Conférence. Comme les grands médias n’ont pas nécessairement mis en valeur ce qu’il y eut de plus important et de plus positif, il importe que Dial publie un point de vue dont l’aspect critique n’élimine pas une vision plus équilibrée de l’événement.


La visite du pape

Comme ses prédécesseurs – Paul VI à Medellin (Colombie) en 1968, et Jean Paul II à Puebla (Mexique) en 1979 et à Saint-Domingue (République Dominicaine) en 1992 – Benoît XVI est venu au Brésil pour l’ouverture de la Vème Conférence générale (Vème CG) des évêques d’Amérique latine et des Caraïbes. Avant cela, le pape est resté quatre jours à Sao Paulo (environ 18 millions d’habitants) pour un premier voyage hors des frontières de l’Europe. Au-delà des visites protocolaires, il a rencontré et dialogué avec la jeunesse, en particulier avec des drogués en récupération, avec les évêques du Brésil, avec des religieuses contemplatives, et avec des séminaristes, prêtres, religieux et religieuses.

La couverture médiatique fut totale et bien faite. Dans l’ensemble, les TV et radios présentèrent une figure sympathique du pape ; moins de ses discours. La « défense de la vie » fut quasi exclusivement interprétée par la presse comme condamnation de l’avortement et de l’euthanasie, bien que Benoît XVI l’associât aussi à la promotion de la personne humaine et à « la solidarité, en particulier envers les pauvres et abandonnés ». La presse mit aussi en avant, de manière exagérée, la croissance des sectes, comme si l’effort d’évangélisation de l’Eglise catholique dans une société en profonde crise de valeurs était d’abord orienté contre ces nombreux groupes religieux.

L’accueil chaleureux de l’ensemble de la population a vaincu la réserve et la timidité du pape, heureux d’entrer en dialogue avec ceux qu’il rencontrait. Le pape paraissait heureux au milieu des jeunes, libéré de tant de protocoles et formalisme qui maintiennent le pasteur trop distant du troupeau. « Bain de jeunesse » à l’inverse de la glaciale rigidité de la rencontre avec les évêques dans la cathédrale de Sao Paulo, où les fidèles ne pouvaient entrer.

La préparation de Vème Conférence

De Sao Paulo, le pape est parti en hélicoptère à Aparecida (200 kms) pour l’ouverture de la Vème CG. Pourquoi cette Conférence à Aparecida ? Ce fut une surprise. Dans les curies éclésiastiques, l’on donnait l’Argentine, le Chili ou l’Équateur gagnants. Benoît XVI lui-même choisit le grand sanctuaire d’Aparecida au Brésil, manière, sans doute, de réviser une certaine marginalisation où l’Église du Brésil avait été maintenue sous Jean Paul II.

Aparecida est le principal sanctuaire marial du Brésil (plusieurs millions de pélerins chaque année), et l’un des principaux au monde, situé dans l’Etat de Saint Paul, juste à la frontière avec celui de Rio de Janeiro. En 1717, dit la légende, des pêcheurs trouvèrent successivement le corps puis la tête d’une statue noire de Marie. Plusieurs églises furent construites pour vénérer cette image de la Vierge. En 1955, en période de pleine croissance économique du Brésil, avec l’appui du nouveau président fondateur de Brasília, commencèrent les travaux de construction, jamais tout à fait achevés, d’une gigantesque basilique dédicassée à la récemment proclamée (en 1930) patronne du Brésil : Notre Dame “apparue” (“trouvée”). La dévotion populaire est profonde et belle.

Les Conférences Générales des évêques d’AL et Caraïbes sont des moments importants pour évaluer et redéfinir la mission d’évangélisation de l’Église de la région. Elles sont comme des Conciles régionaux, longuement préparés par d’intenses débats. Elles produisent un document final, assez (trop) long, que, d’un avis assez commun, bien peu d’évêques, prêtres ou religieux/ses lisent. L’on retient des phrases, au mieux des paragraphes, que chacun choisit et répète en fonction de son propre point de vue. Medellin (1968) a marqué car elle a retraduit les grandes intuitions du Concile Vatican II, et en particulier de Gaudium et spes, à partir de la réalité socio-politique et culturelle de l’Amérique Latine. Parmi d’autres slogans – certains analystes disent volontiers que personne ne lit les longs doucuments et que l’on ne se souvient que de quelques phrases-phare – chacun retient de Medellin l’option préférentielle pour les pauvres. Puebla (1979) fut aussi une étape importante pour confirmer les particularités latino-américaines de l’Église. L’on se souvient de la belle et douloureuse description des visages meurtris des pauvres et exclus, images du visage du Christ ; de l’option pour les jeunes et du choix des communautés ecclésiales de base (CEB), comme noyaux centraux des paroisses. L’on sait malheureusement combien les incartades romaines contre les CEB ont blessé le dynamisme et les aspirations profondes du peuple de Dieu humble et pauvre. De Saint-Domingue (1992) que reste-il ? Quelques formules vagues et abstraites sur la culture et la crise des valeurs. Le document final cache difficilement le recul de l’identité latino-américaine de l’Église et de son insertion et inculturation parmi les pauvres. Rome a imposé sa vision de l’unité sous forme d’uniformité et de soumission.

Comme pour les Conférences antérieures, Aparecida a réveillé parmi certains secteurs de l’Église d’anciennes et permanentes aspirations : se souvenir des objectifs premiers de Medellin et Puebla, reparcourir le chemin fait depuis le Concile, renouveler les engagements d’alors, révivifier les valeurs perdues et retrouver l’identité propre latino-américaine. À Aparecida l’Église ne pouvait pas ne pas se situer devant la complexe réalité d’une région qui s’est beaucoup transformée dans les 40 dernières années (depuis Medellin), et dont l’identité se détache rapidement du lien à l’Église catholique. Aparecida était devenu un moment privilégié pour des retrouvailles entre la fécondité de l’Évangile, la réalité de la vie de la majorité de la population, et de nouvelles formes de la vie de l’Église.

La médiocrité et pauvreté du premier document de travail envoyé fin 2005 par le Celam (Conseil Épiscopal Latino-américain) suscitèrent de vives réactions tant parmi les évêques que parmi les secteurs de l’Église intéressés par les enjeux de Aparecida. Dans tous les pays il y eut une réelle mobilisation et de nombreux groupes, instances pastorales et mouvements d’Église envoyèrent leurs observations aux conférences épiscopales nationales qui, à leur tour, intégrèrent ces apports et envoyèrent leurs propres contributions. En février 2007, le Celam envoya un nouveau texte de synthèse, bien meilleur que le premier document, que devait servir de référence pour les travaux de la Vème CG. Aparecida créa aussi une occasion pour une nouvelle expression publique des théologiens de la libération. Regroupés dans le mouvement ‘Amerindia’, ils organisèrent de nombreuses rencontres théologiques et publièrent en décembre 2006 un remarquable petit ouvrage : « Apports pour Aparecida ». Et l’on se prend à rêver : un tel travail n’aurait-il pu être un des documents de base pour la préparation et réalisation de la Vème CG ? Il y eut cependant une avancée : ‘Amerindia’ fut invité deux fois par la présidence du Celam pour partager ses préoccupations lors de la préparation de la Conférence, et, même s’il ne faut pas un invité officiel, le groupe de théologiens était présent à Aparecida, reconnu et admis comme tel par la présidence de la rencontre. Dans un climat bien différent de celui de Saint-Domingue, la théologie de la libération bénéficia en quelque sorte à Aparecida d’une reconnaissance implicite de son rôle et de sa valeur.

L’assemblée de la Vème CG est composée de 162 évêques et cardinaux, de 13 experts conseillers, 24 prêtres, 16 religieux/ses, huit laïcs, 4 diacres permanents, et huit observateurs représentant des Églises chrétiennes et des religions non chrétiennes. Non autorisées à s’installer dans l’enceinte officielle, plusieurs tentes furent installées aux alentours du sanctuaire ; elles recoivent les pélerins et autres visiteurs en quête d’accueil, d’aide à la prière ou d’information sur la Conférence elle-même. La ‘tente des martyrs’ rappelle ceux et celles, nombreux en Amérique Latine, qui donnèrent leur vie pour un monde meilleur en annonçant la bonne nouvelle de l’Évangile. Plusieurs théologiens/nes, ‘persona non grata’ dans l’enceinte, conseillers d’évêques ou de mouvements d’Église qui viennent les rencontrer, sont installés eux-aussi dans les tentes ou près d’elles. Douloureuse distance, ou même rupture, entre les évêques et l’ensemble du peuple chrétien. Huit laïcs (souvent choisis par les évêques et non par d’autres laïcs) sur 235 participants ! Visage d’une Église trop cléricale et épiscopale, où les laïcs sont considérés et traités comme mineurs, inférieurs parfois.

Parmi bien d’autres initiatives des laïcs pour marquer leur présence pendant la Conférence, mentionnons la marche des pastorales sociales vers Aparecida, de nuit (22h00-6h00), regroupant environ sept mille pélerins venant exprimer à la Vierge et aux évêques leurs aspirations de justice et de paix et d’une Église plus paticipative et plus solidaire des petits et des pauvres. Le séminaire de théologie organisé par des laïcs a été suivi par 230 participants dont 40 venus de 17 pays latino-américains. La belle lettre finale, adressée au peuple de Dieu, traduit elle aussi avec courage les aspirations des laïcs et leurs engagements en tant que chrétiens pour un profond renouvellement de la société et de l’Église.

L’ouverture de la Vème Conférence d’Aparecida

Le discours le plus attendu du voyage du pape était celui pour l’ouverture de la Conférence des évêques. Le pape a offert une profonde réflexion à partir de l’intitulé officiel de la Conférence : « Disciples et missionaires du Christ, pour qu’en Lui tous aient la vie en plénitude ». Ce fut un message positif, ouvert et encourageant, sans réprimandes ou paroles dures, comme certains le craignait, qui offrait aux évêques un large espace de réflexion et de débat, pour créer un texte nouveau.

Il faut noter d’emblée le choix par Benoît XVI de la méthode pédagogique d’analyse ‘voir, juger, agir’. A l’encontre d’une tendance dans l’Église qui considère volontiers que l’observation et la compréhension de la réalité peut être remplacée par l’énoncé de principes éternaux de la révélation, le pape a repris la grille d’analyse tant utilisée dans l’Église depuis les années 60. À son tour, la Conférence décida d’utiliser la même méthode pour structurer son document.

En guise d’introduction, dans une première partie, le pape présente l’évangélisation historique du continent. Non sans raison, on lui reprocha de n’avoir pas regretté les méthodes, parfois violentes, utilisées pour évangéliser les peuples indigènes et les afrodescendants.

La seconde partie est intitulée « continuité avec les autres Conférences ». Elle mentionne les grandes évolutions et défis dans le continent, parmi lesquels celui de la pauvreté et de la misère. La mondialisation menace de transformer les profits en valeur suprême. Le pape souligne la nécessité de maintenir l’héritage des Conférences antérieures, pour apporter espérance et réconfort. Il mentionne la riche et profonde religiosité populaire et l’expérience positive des CEB et des oeuvres sociales catholiques.

Dans une troisième partie « disciples et missionnaires » Benoît XVI soulève plusieurs questions qui nous invitent à approfondir notre foi. « Que nous donne vraiment le Christ ? » et « Pourquoi voulons-nous être disciples du Christ ? » ou encore : « Qui connaît le Christ et comment pouvons-nous le connaître ». Il s’agit d’une solide réflexion sur l’articulation entre la connaissance de la réalité et la foi.

La quatrième partie « pour qu’en Lui ils aient la vie », la plus développée, est centrée sur les problèmes sociaux et politiques. Au coeur de cette partie, le pape souligne l’importance de l’Eucharistie, rencontre personnelle avec le Christ, qui nous envoie vers les autres, vers nos responsabilités sociales et politiques.

Le pape cite l’encyclique de Paulo VI sur « le développement des peuples » mentionne le droit à des conditions de vie plus humaines (citations de Populorum Progressio) et invite à supprimer les graves inégalités sociales.

La question initiale est : « Comment l’Église peut-elle apporter une solution aux urgents problèmes sociaux et politiques ? » Cette question nous concerne tous et il est inévitable, dit le pape, de parler des structures. Ni le marxisme ni le capitalisme n’ont su construire des structures justes.

Dans la meilleure tradition de la Doctrine sociale de l’Eglise, Benoît XVI rappelle que le travail proprement politique n’est pas de la compétence immédiate de l’Église, mais que les laïcs chrétiens doivent être conscients de leurs responsabilités dans la vie publique. Cette page centrale du discours de Benoît XVI, traversée par un authentique souci pour la justice sociale et l’amour des pauvres, fut la plus applaudie par l’assemblée des évêques.

Le pape mentionne alors, dans une cinquième partie, d’« autres champs prioritaires » pour le renouvellement de l’Église : la famille, les prêtres, les religieux et religieuses, les laïcs et les jeunes.

Le pape termine son discours par une humble prière au Christ d’Emmaüs « Reste avec nous » ... quand nous ne te reconnaissons pas ... quand dans nos coeurs entre le désespoir ... reste dans nos familles et soutiens-les ... reste avec les plus vulnérables de nos sociétés, les pauvres, les humbles, les indigènes et les afroaméricains ... reste Seigneur avec nos enfants, nos jeunes, nos anciens et nos malades.

Le pape fut longuement applaudi à la fin de son discours qui devra certainement marquer le texte préparé pendant les 18 jours de la Conférence. Sur le déroulement même de cet important événement pour le futur de l’Église en Amérique Latine, il faut hélas regretter le manque presque total d’information pour les média et pour toutes les personnes intéressées. La consigne semblait être : information zéro ! Le rassemblement des évêques de toute l’Amérique Latine, au Brésil même, dans un lieu hautement symbolique du pays, ne fut pratiquement pas mentionné dans les médias nationaux.

Les délais de publication exigent de clore cet article avant la fin de la Conférence, jeudi 31 mai à midi. Avant sa publication, le document final sera soumis à l’approbation du pape.

P. Bernard Lestienne, sj

Ibrades (Institut Brésilien de Développement), organe annexe de la CNBB

Brasília, mardi 29 mai 2007.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2941.

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