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DIAL 2961

La Déclaration sur les droits des peuples autochtones, un pas en avant pour sortir de la controverse entre peuples et États ?

Jean-Baptiste Duez

lundi 1er octobre 2007, mis en ligne par Dial, Jean-Baptiste Duez

Jean-Baptiste Duez, anthropologue, analyse les enjeux de la Déclaration sur les droits des peuples indigènes, que l’Assemblée générale des Nations unies vient d’adopter.


Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies avait approuvé à Genève, le 29 juin, la Déclaration universelle des Droits des peuples indigènes, après 22 ans de débats et de négociations entre États et peuples indigènes, par trente votes pour, douze abstentions et deux votes contre (le Canada et la Russie). L’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies a à son tour adopté le 13 septembre la déclaration qui protège plus de 370 millions d’indigènes de par le monde.

Présenté par le Pérou, et sous l’impulsion d’autres pays comme le Guatemala et le Mexique, qui possèdent une importante composante de peuples autochtones, le texte a été approuvé par une écrasante majorité de 143 voix pour, 4 contre (l’Australie, le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande), et 11 abstentions. Le vote a été célébré par les peuples autochtones du monde entier, dont les représentants étaient présents à New-York pour témoigner pendant les quartiers généraux des Nations unies.

Le texte était discuté aux Nations unies depuis 1995 et après la victoire des peuples autochtones en juin à Genève, d’autres déclarations sont venues s’ajouter de la part des représentants des peuples autochtones et des associations qui défendent leurs droits. Pour Jumanda Gakelebone, représentant bushman de l’organisation First People of the Kalahari : « Nous souhaitons exprimer notre immense joie devant cette heureuse nouvelle. Les gouvernements ne pourront plus nous traiter comme des citoyens de seconde zone, ils ne pourront plus expulser les peuples indigènes comme nous l’avons été ». Et pour Kiplangat Cheruiyot, porte-parole des Ogiek du Kenya : « Avec l’adoption de la Déclaration, la vie des peuples indigènes a désormais autant de valeur que celle des autres citoyens du monde ».

Stephen Corry, directeur de Survival International, a déclaré à l’annonce du résultat du vote : « En reconnaissant les droits collectifs, la Déclaration des droits des peuples indigènes va instaurer des standards internationaux tout comme l’a fait, il y a 60 ans, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle va devenir l’instrument de référence qui permettra d’évaluer l’attitude des États envers les peuples indigènes et nous avons bon espoir que ce vote inaugure une nouvelle ère où la violation des droits des peuples indigènes ne sera plus tolérée ».

Le texte compte 46 articles qui établissent les paramètres minimaux pour le respect des droits des peuples autochtones, incluant la libre détermination, l’autonomie, la propriété du sol, l’accès aux ressources naturelles sur les terres et territoires dont ils sont traditionnellement les détenteurs ou les occupants, et l’assurance de la reconnaissance des États ainsi que de la protection juridique à l’égard de ces terres et territoires. Les peuples autochtones devront en outre donner leur accord pour l’exploitation des ressources naturelles, ils ne pourront plus être expulsés de leur territoire sans leur consentement libre et informé. Le texte reconnaît également les droits individuels et collectifs relatifs à l’éducation, à la santé, à l’emploi, au renforcement de leurs institutions politiques, légales, économiques, sociales et culturelles, de leurs cultures et traditions, et à poursuivre leur croissance en conformité avec leurs besoins et leurs aspirations propres. Cette reconnaissance s’inscrit conjointement au droit de pouvoir, s’ils le désirent, participer de manière pleine à la vie économique, sociale et culturelle des pays où ils vivent. La Déclaration établit que les peuples autochtones ont le droit, en tant que collectivités ou en tant qu’individus, à tous les droits de l’Homme et aux libertés fondamentales reconnues par l’Organisation des Nations unies, et cette dernière a précisé que bien que la Déclaration ne soit pas inaliénable, « elle représente un instrument dynamique dans le cadre des relations internationales pour aider à protéger les indigènes contre la discrimination et la marginalisation ». Ban Ki-Moon a déclaré que l’adoption de la déclaration est : « un triomphe de toutes les communautés indigènes du monde », et également qu’il : « s’agit d’un moment historique, en ce que les États membres des Nations unies et les peuples indigènes se sont réconciliés avec leurs histoires douloureuses, et qu’ils ont démontré leur disposition à avancer à l’unisson sur le chemin des droits de l’homme, de la justice et du développement pour tous. » Il a pressé les gouvernements et la société civile à intégrer immédiatement à leurs agendas des droits de l’homme et du développement les sujets liés aux garanties des peuples autochtones, et les engage à élaborer des politiques et des programmes à tous les niveaux pour que la déclaration se convertisse en une réalité.

La déclaration ne rencontre pas l’approbation de certains États qui y voient une source de conflits concernant des enjeux de territoires. Nombre de territoires constituent encore des objets de conflits, parfois très violents, entre différents États. On pourrait interpréter ainsi l’abstention de l’Argentine lors du vote, en la liant au différent qui l’oppose toujours à la Grande-Bretagne pour la possession des îles Malouines et à la crainte que les habitants des Malouines, descendants des Britanniques, puissent se proclamer à leur tour population autochtone et revendiquer le droit à l’autodétermination. Depuis la guerre qui a opposé Anglais et Argentins – jusqu’en 1982, l’Argentine avait maintenu un principe de souveraineté sur les îles même si celles-ci avaient été conquises par l’Angleterre en 1833 – les Malouines sont un territoire britannique d’outremer. Les Argentins de métropole ne peuvent déjà ni s’y installer, ni en exploiter les ressources. Un accord a été conclu entre l’Angleterre et l’Argentine sur les importantes ressources pétrolières off shore des Malouines, que les Argentins ne peuvent cependant pas exploiter.

De façon générale, les pays sud-américains saluent cependant l’adoption de la déclaration. Le président bolivien Evo Morales a ainsi déclaré : « C’est un grand pas pour la lutte en faveur des peuples indigènes. Le droit qu’ils ont toujours eu, mais qui leur a toujours été nié, sera exercé pleinement. » Et Aucan Wilcaman, dirigeant mapuche chilien, a estimé que : « le droit international a fait un pas important dans la reconnaissance des droits collectifs ». Les conditions de vie des populations autochtones en Amérique Latine sont souvent difficiles, où, comme le font apparaître les chiffres de la Banque Mondiale, 10% des quelques 550 millions de Sud-Américains sont indigènes et figurent parmi les plus pauvres et les plus marginalisés. En Équateur, 96% de la population originaire des zones rurales est pauvre ; en Bolivie et au Guatemala, plus de la moitié de la population est pauvre et cette proportion s’élève à 75% chez les indigènes ; au Mexique l’extrême pauvreté est de 4,5 points plus importante dans les municipalités indigènes que dans les municipalités non indigènes.

D’autres enjeux se constituent à l’intérieur des États eux-mêmes, ils concernent la répartition ainsi que les statuts des territoires. Le représentant de la France, Fabien Fieschi, s’est félicité de l’adoption de la Déclaration et a rappelé que « son gouvernement avait soutenu l’ensemble des engagements pris au niveau multilatéral en matière de promotion et de protection des droits des autochtones ». La France est cependant marquée par l’histoire de la colonisation et la conservation des D.O.M., T.O.M. et C.O.M. Les accords de Nouméa et les revendications des peuples kanaks permettent d’interpréter les mouvements de réticence puis d’ouverture de la France à l’égard de la Déclaration sur les droits des peuples indigènes. La question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ou de son maintien au sein de la République française sera soumise à un référendum local en 2014. Un article du Monde du 15 septembre 2007 explique : « Selon des sources diplomatiques, la France a longtemps été réticente vis-à-vis de passages clés de la déclaration, “en raison du principe d’indivisibilité de la République” et “par refus de reconnaître des droits collectifs en matière de droits de l’homme”. Mais sous l’impulsion de l’ancien président Jacques Chirac, qui attachait un intérêt particulier aux peuples premiers, ces réticences ont été surmontées. Jeudi, Paris a voté en faveur du texte, tout en semblant, à travers une “déclaration interprétative”, limiter sa portée nationale “aux autochtones des collectivités territoriales d’outre-mer”. Le droit à l’autodétermination ne peut s’exercer que “conformément aux normes constitutionnelles nationales”, a aussi précisé la France. »

Les militants kanaks ont de leur côté travaillé à l’élaboration de la Déclaration des droits des peuples indigènes à l’ONU. Eloi Machoro a parlé à la conférence du Conseil mondial des peuples indigènes, et le Conseil National des Peuples Autochtones (CNDPA), créée dans les années 1990, a continué son travail jusqu’à aujourd’hui. Ce mouvement cherche à obtenir la reconnaissance pour la Kanaky-Nouvelle Calédonie, tout comme le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). La notion d’intégrité territoriale contenue dans la déclaration promeut par le biais de l’identité du peuple kanak, l’idée d’une Kanaky-Nouvelle Calédonie, à l’opposé de la partition actuelle en trois collectivités territoriales de la République française. Le peuple autochtone kanak est donc mis en avant par la déclaration dans la question de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

On retrouve aussi en Guyane, avec la Fédération des organisations autochtones de Guyane (FOAG), la revendication de la récupération d’une souveraineté et de la restitution des territoires et des ressources naturelles. La politique de la FOAG vis-à-vis de la France et des États de l’Union européenne vise à faire émerger « dans le dialogue un nouveau partenariat basé sur le respect et la reconnaissance de la libre détermination des peuples indigènes du monde. »

Pour les peuples autochtones et les États, la déclaration pourrait permettre d’établir un nouveau contrat social basé sur la reconnaissance et le respect mutuels. Comparer vues et intérêts des différentes populations autochtones permet d’établir un dialogue global, auquel se confrontent les spécificités des histoires des peuples et des États, des spéculations identitaires pour des enjeux économiques et de pouvoir, ou des niveaux de richesse des différentes populations du monde. Si la Déclaration sur les droits des peuples autochtones avive le désir d’indépendance de certaines populations, il permet aussi, et peut-être surtout, d’articuler, au-delà de tout essentialisme, un dialogue autour des questions du respect des populations et du respect des États. La phase actuelle de valorisation ou d’activation des identités nationales prend sur ce point des tournures variées, entre institutionnalisation de la xénophobie par le biais de la suractivation des identités nationales et la nécessaire reconnaissance des États entre eux, qui semble désormais acquise comme le moyen le plus sûr pour garantir l’absence de conflits. Autant d’impératifs en regard de l’histoire et de la diplomatie internationale. En ce sens la Déclaration apparaît comme pouvant tenir le rôle de référent central. Elle abonde principalement dans le sens de la lutte contre les ethnocraties, notamment à l’intérieur des États eux-mêmes. Une telle démarche, à défaut d’être « première » – qualificatif soulignant les inégalités – paraît désormais primordiale.


Références

Survival international, « Les Nations unies adoptent la Déclaration des peuples indigènes », reproduit dans AlterInfos vendredi 14 septembre 2007.

« Derechos indígenas protegidos », Noticias Aliadas, n° 17, 19 septembre 2007, p. 12.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2961.

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