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DIAL 3121

ÉQUATEUR - « Les femmes conquièrent petit à petit de nouveaux espaces », entretien avec Mónica Chuji

Luis Ángel Saavedra

jeudi 7 octobre 2010, mis en ligne par Dial

Dans ce numéro, DIAL publie deux articles sur le rôle des femmes indiennes dans des sociétés en pleine transformation. Le premier, publié ci-dessous, prend la forme d’un entretien avec la leader kichwa Mónica Chuji [1] et aborde plus particulièrement la question du pouvoir et des décisions politiques. Le second est centré sur des problématiques touchant à la santé et à l’interculturalité. Texte publié par Noticias Aliadas le 16 juin 2010.


Mónica Chuji Gualinga est une leader indienne kichwa de la région amazonienne. Elle est née en 1973, à Sarayaku, dans la province de Pastaza, en Équateur. Elle est diplômée en communication sociale et possède une formation en droits humains et droit des peuples acquise dans le cadre du Programme de formation indienne du Bureau du Haut-Commissariat des Nation unies aux droits de l’homme (Genève) et de l’Institut de droits humains Pedro Arrupe, (Université de Deusto [2], Bilbao, Espagne) en 2002.

Elle a été membre de l’Assemblée constituante de l’Équateur en 2008 et secrétaire générale de la communication dans le gouvernement de Rafael Correa [3] au début de son mandat. Actuellement elle dirige la Fondation Tukuishimi (Toutes les voix) et c’est une militante active de la Fédération des organisations kichwa de Sucumbíos et de la Confédération des nationalités indiennes de l’Équateur (CONAIE).

Lors de l’entrevue, transcrite ci-dessous, accordée à notre correspondant Luis Ángel Saavedra, Chuji fait part de sa réflexion sur la participation des femmes indiennes en tant que dirigeantes dans et hors de leurs communautés.

Au cours de ces dernières années un changement s’est-il produit dans le rôle des femmes indiennes au sein de leurs communautés ? Sont-elles parvenues à avoir accès aux postes à responsabilité ?

Elles continuent d’assumer leur rôle traditionnel au sein de la famille, du foyer, dans la vie culturelle de la communauté mais elles aspirent maintenant à jouer un rôle important dans le changement de vie, à contribuer au renforcement des organisations.

Il y a un plus grand nombre de jeunes femmes, de jeunes camarades qui commencent à assumer un rôle d’organisation, mais, j’insiste, cela ne signifie pas qu’elles aient abandonné leur rôle au sein de la famille. Les femmes qui n’ont pas d’enfant, les femmes séparées ou célibataires ont plus de possibilités pour cela que celles qui sont mariées, qui ont une famille et qui rencontrent toujours des difficultés et ne vivent pas un processus suivi de participation ; elles sont durant un temps à un poste de responsable, en tant que vice-présidentes parfois ou en tant que responsables dans le secteur des droits humains ou des droits de la femme, mais, passé un temps, elles disparaissent et retournent à la communauté, à leur foyer.

Le fait d’intégrer les instances dirigeantes a-t-il induit des avancées pour ces femmes ou bien gardent-elles des rôles marginaux sans pouvoir influer sur la vision générale de ces instances ?

La participation active, les propositions des femmes ont une incidence sur les décisions communautaires et structurelles. Cependant cette marge d’influence reste encore à amplifier. Dans le cadre d’une évaluation globale, on voit qu’il y a un changement de la part des collègues masculins ; souvent, après examen, ils accordent davantage de confiance, pour un poste à responsabilité, à une femme plutôt qu’à un collègue masculin. Ils disent qu’une femme à la présidence de la communauté s’avère plus efficace pour poser les problèmes, établir des relations avec les autorités, avec l’ensemble de la structure communautaire et avec certains collègues qui parfois, ont des comportements irresponsables. Il y a des femmes au niveau régional et national qui ont été très actives et qui servent d’exemple aux collègues féminines de la base. Ces dernières s’efforcent par tous les moyens et dans divers secteurs de se rendre plus visibles et d’être plus actives dans les structures d’organisation. Mais il y a des questions qui se posent : combien parmi elles ont-elles une réelle influence ? Combien sont beaucoup plus actives qu’auparavant ? Combien sont en situation de débattre et de discuter avec des dirigeants masculins ? Je crois effectivement que pour le petit nombre de femmes concernées, l’expérience est positive ; petit à petit les femmes conquièrent de nouveaux espaces.

Et hors de leurs communautés accèdent-elles à des postes de direction, comment cela se passe-t-il, et quels sont les défis qu’elles affrontent ?

Les femmes qui, d’une façon ou d’une autre, ont reçu une certaine formation ou ont acquis des qualifications dans ou hors du pays cherchent des secteurs dans lesquels elles recevront salaire ou rémunération pour leur travail. C’est un défi pour nos organisations de se lancer dans des initiatives nouvelles qui permettent d’intégrer les femmes qui se sont formées, les techniciennes, les diplômées du supérieur. Ce qui manque à l’heure actuelle c’est que les instances dirigeantes, les conseils de gouvernement, se mettent à les attirer, à faire appel à elles et à ouvrir de nouveaux espaces d’activité, à faire des alliances stratégiques, des contrats de formation avec les ONG pour qu’elles travaillent en fonction des nécessités réelles de l’organisation indienne. Le plus évident serait que la personne qui appartient à une organisation indienne, qui s’est formée, a acquis des qualifications et a une expérience revienne à cette organisation, mais le problème est que ces femmes reviennent mais l’organisation manque de moyens, n’a pas monté de nouveaux projets, de nouveaux programmes, n’a pas ouvert des secteurs à l’intérieur desquels elles puissent avoir une activité. Il y a aussi une co-responsabilité des femmes dans ce cas, elles pourraient aussi, avec leur expérience, aller vers les communautés et apporter leur contribution à travers des idées et des initiatives nouvelles. Là est le problème, la co-responsabilité.

Pourquoi les femmes qui sont passées par les instances dirigeantes, par exemple, les conseils de gouvernement de la Confédération des nationalités indiennes d’Équateur (CONAIE) ne sont-elles pas parvenues à prendre des positions publiques ?

En ce qui concerne l’Amazonie, à la différence de la Côte ou la Sierra, il y a beaucoup de femmes qui dirigent les organisations locales et provinciales. Cependant ce qui fait la différence, c’est que ces femmes ont très peu de visibilité, une des causes en est le problème de l’éloignement, par rapport au lieu d’émergence de l’information et à l’importance de l’incidence qu’elles peuvent avoir au plan national. Dans le cas de la province orientale d’Orellana, par exemple, la présidente de l’organisation provinciale est une des plus actives, elle fait entendre sa voix, est à l’origine de propositions et de mouvements d’opinion ; il y a, autre exemple, une camarade députée shuar qui, ces derniers temps, a été très active. Ce qui joue beaucoup, c’est aussi le niveau de responsabilité et de confiance que leur accordent les hommes sur le plan de la vie publique. Dans le cas de la Sierra il y a une ouverture en direction des femmes pour leur donner la parole et les investir dans des rôles publics. Dans le cas de l’Amazonie, ce n’est pas aussi développé et je peux l’affirmer à travers mon expérience personnelle, car on y croit encore que, même avec de l’expérience, elles ne sont pas encore préparées à assumer une représentation régionale ou une prise de parole publique. Cela a beaucoup à voir avec les résistances de certains milieux dirigeants.

Comment, dans les espaces de participation internationale qu’ont les Indiens, les femmes se donnent-elles une visibilité ?

Là, en effet, quelques rares femmes ont assumé un rôle de niveau international. C’est un domaine où tous les espaces sont dominés par les hommes, par des experts sur différents sujets, et certaines femmes, peu nombreuses, ont assumé un rôle plus reconnu. Ce sont les mêmes qui, au plan national, ont eu un certain niveau de participation qui se démarquent au niveau international et c’est pourquoi on ne peut pas s’attendre à ce qu’il y ait un changement dans les rôles ou un degré plus élevé de participation féminine. Mais ce que je peux dire c’est que les rares qui participent ont un rôle assez actif et cela est positif, un rôle de proposition, qui va au-delà du discours convenu qu’on entend au sein des Nations unies. Ces femmes apportent des propositions nouvelles et beaucoup plus réalistes, accompagnées d’une réflexion en prise avec le terrain qu’elles observent dans leur pays, avec des propositions nationales susceptibles d’entrer en accord avec des réseaux féminins d’autres continents, d’autres pays, et cela donne plus de force.

Pour continuer sur l’international, quelles seraient les propositions ou les éléments qui pourraient justifier une participation féminine en tant que dirigeantes ?

Le domaine international est assez abandonné par nos organisations et les femmes qui y ont pris part assument, au niveau national, des postes d’une certaine responsabilité, mais on ne trouve pas de femmes engagées au niveau régional et moins encore provincial. Ce qui manque ici, par exemple, c’est de les former, de leur donner l’information générale de base sur ce dont on débat au niveau international ; par exemple que nous ne sommes pas déconnectés de toute la politique internationale, que ce qui advient hors d’un pays a des conséquences au niveau national. La problématique nationale et les propositions il faut les porter à un niveau international. Cela fortifie l’organisation et, à l’évidence, permet à la femme d’avoir accès à un autre genre d’expérience, de pratiques efficaces, avec des femmes d’autres continents, d’autres pays, qui peuvent nous être utiles, à un moment donné, à nous les femmes, dans le cadre national, régional ou tout simplement de la communauté.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3121.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 16 juin 2010.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[1Un autre entretien avec Mónica Chuji a été publié en janvier 2009 sur le site Risal.info.

[2Du nom du quartier de Bilbao où l’université jésuite se trouve – NdT.

[3Rafael Correa a été réélu président de l’Équateur le 26 avril 2009 après l’adoption en septembre 2008 d’une Constitution d’inspiration socialiste. Son mandat doit se terminer en 2013 – NdT.

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