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DIAL 2366

CHILI - Les enfants travailleurs de Santiago

Pablo Soto

samedi 1er avril 2000, mis en ligne par Dial

Article de Pablo Soto, paru dans Pastoral Popular, novembre-décembre 1999, Santiago, Chili (voir aussi les autres dossiers sur les enfants : DIAL D 2365, 2367, 2368, 2369 et 2370).


La crise économique qui frappe une grande partie du monde et qui a atteint les pays d’Amérique latine avec plus de force, a laissé et laisse encore dans notre pays un nombre élevé de chômeurs. Eux, les victimes et les témoins de son passage, comme beaucoup d’autres, espèrent voir rapidement la reprise économique tant annoncée. Cette période critique dévoile une fois de plus la réalité d’un petit groupe de travailleurs courageux.

Ils ne perçoivent pas un salaire de base, mais ils vivent de pourboires et de petites ventes. Aussi doivent-ils travailler presque le double d’une journée normale. Ils ne sont pas syndiqués, ce qui les expose en permanence aux abus de leurs « employeurs ». Ils travaillent dans la rue et presque toujours de nuit ; ils ne bénéficient pas de la sécurité de l’emploi, ils ne cotisent pas pour plus tard et ils ne sont pas couverts par un organisme de santé des travailleurs, ce qui met en danger leur vie même. Mais ce dont ils ne manquent pas, c’est du courage nécessaire et de la force suffisante pour continuer à faire de leur travail un jeu amusant : ce sont les enfants-travailleurs de Santiago.

Rois de la vente des calendriers de poche dans les bus et de pansements dans le métro, ils proposent des fleurs dans les principales avenues et restaurants (quand ils réussissent à y entrer), ils vendent des sacs pour les courses dans les marchés populaires, on les voit en manutentionnaires épuisés dans les foires ou faisant les paquets dans un quelconque supermarché. Le travail des enfants est un sujet qui n’a pas vraiment réussi jusqu’à présent à sensibiliser les autorités ni le reste de la société chilienne, c’est pourquoi il nous paraît une activité normale, répétitive, voire dérisoire. Heureusement, les rares espaces qui accueillent ces enfants font un travail de plus en plus efficace, et parviennent à rendre une partie de leur enfance à ces ouvriers précoces.

Le Vicariat de pastorale sociale de l’Église catholique a mis en place depuis 1996 le programme « enfants travailleurs » dans quatre zones de la capitale. Son principal objectif, comme le remarque Loreto Rebolledo, chargée du programme de la zone Nord, est de « créer des espaces communautaires pour ces enfants, les épauler et leur permettre de se développer dans un environnement récréatif, éducatif, familial et social. Penser et développer l’art de protéger ceux qui sont dans la rue afin de diminuer au maximun leurs risques, depuis le contact avec les drogues et la délinquance jusqu’aux abus sexuels et à l’exploitation. »

On ne les critique pas et on ne prétend pas les sortir de l’endroit où ils travaillent. Loreto affirme que cela se respecte, on ne met pas en question la décision de ces petits de vouloir travailler, il s’agit de mettre en valeur leur condition d’enfants, afin qu’eux-mêmes comprennent et se souviennent qu’ils ont des droits précis qu’ils doivent toujours faire respecter, en leur montrant qu’ils ont aussi des responsabilités propres à leur âge, par exemple s’éduquer. Tous ces éléments dépendent de la société adulte et des autorités qui ont la responsabilité de garantir à ces enfants que leurs droits ne resteront pas seulement des mots sur du papier.

Une nouvelle table ronde de dialogue sur le travail des enfants

Il y a quelques mois seulement, et après les contacts du Vicariat avec quelques municipalités et les travaux qui ont suivi, le gouvernement a vu la nécessité de créer un lieu de dialogue sur ce sujet. Autour de cette nouvelle table ronde se sont réunis les représentants du ministère de l’éducation, du ministère du travail, de l’Église par l’intermédiaire du Vicariat de pastorale sociale, le SERNAN, des employeurs et des policiers. Divers projets ont été élaborés, mais étant donné que cette table ronde existe depuis peu, ils n’ont pas dépassé l’état de projet. Cependant, le réel apport de cette « table ronde pour l’éradication du travail des enfants » est sans doute d’avoir réuni des personnalités du gouvernement (chargés de faire appliquer la loi en vigueur n° 18 620 du Code du travail, qui dans ses articles 12 et 14 spécifie qu’aucun mineur de moins de 18 ans ne sera admis à des travaux qui mettent en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité) avec des entrepreneurs, maîtres du pouvoir d’achat, qui peuvent apporter l’argent, élément fondamental pour la réussite de tout projet social. Jusqu’à présent, les apports ont été minimes et viennent seulement d’organisations étrangères liées au sujet. Ils ont servi à atteindre les petits succès. Cependant, l’aide extérieure est de plus en plus faible, car pour ces organismes, l’Amérique latine en général et le Chili en particulier ne sont pas une priorité, étant donnée l’image de « croissance économique et de bien-être social et politique soutenu » que beaucoup de politiciens et de patrons ont prêché à l’extérieur du pays.

Travail versus études

Dans toute cette problématique, il y a un sujet que les autorités en charge ont sans doute complètement oublié et qu’elles cherchent maintenant à résoudre au plus tôt.

Depuis l’année passée, la nouvelle réforme de l’éducation qui augmente les horaires de classe de la demi-journée à la journée entière s’applique de façon substantielle dans divers collèges du pays. Cela laisse évidemment en dehors du système scolaire les enfants qui doivent partager leur temps entre l’école et le travail. Si beaucoup de ces mineurs ne vont déjà plus en classe ou y vont de manière très irrégulière, le nouveau système éducatif les force obligatoirement à choisir entre le travail et les études. Dans une famille dont les ressources sont rares ou minimes, quand le travail d’un enfant est une part importante des ressources mensuelles, il ne fait pas de doute que le choix sera d’abandonner l’école définitivement.

Il semble par moments que ce problème n’ait pas de solution, si ce n’est à travers les succès limités mais significatifs des groupes ecclésiaux. Cependant, ces mesures ne seront qu’illusoires si le problème de fond n’est pas résolu, c’est-à-dire la suppression de la pauvreté extrême au Chili. Cela signifie résoudre les problèmes économiques des familles de faibles revenus pour que leurs enfants ne soient pas obligés de travailler, et aménager aussi le modèle éducatif de nos collèges pour en faire des espaces agréables où les enfants aient des possibilités réelles d’apprendre et de s’amuser. Tant que les autorités continueront leurs discours habituels et que la société ne prendra pas conscience de cette situation déplorable, continueront à naître des enfants condamnés à passer toute leur enfance à travailler.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2366.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Pastoral Popular, novembre 1999.
 
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