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Analyse

AMÉRIQUE LATINE - La Bolivie et le retour de la question militaire, orchestré par Washington et l’O.E.A.

Álvaro Verzi Rangel

mercredi 27 novembre 2019, mis en ligne par Françoise Couëdel

Mardi 12 novembre 2019.

Le renversement du gouvernement populaire d’Evo Morales, en Bolivie, confirme que la question militaire est de retour en Amérique latine, comme caution des projets des États-Unis pour le contrôle civil et politique de son « arrière-cour » et la garantie de l’appropriation des énormes richesses naturelles de la région.

En Amérique latine les luttes sociales, au Chili ou en Équateur, le coup d’État en Bolivie, l’intervention des États-Unis au Venezuela, les élections en Uruguay, l’emprisonnement de Lula, les politiques du FMI, l’avancée des églises évangéliques, le retour du militarisme, la violence dans les villes, les migrations, le racisme, sont des expressions de cette guerre globale.

Cette guerre, même s’il est difficile de l’accepter, est déjà le propre de la complexité de la vie de l’être humain et conditionne sa propre survie en tant qu’espèce, déclare l’ex-vice-chancelier équatorien Kintto Lucas.

Dans ce but, il a fallu saper progressivement toutes les instances d’intégration régionale pour pouvoir impliquer les forces armées dans des affaires d’ordre public, dans la vie électorale, dans la violation des droits humains, la militarisation du supposé combat contre les drogues, la répression des migrations, dans les situations inspirées, encouragées par la politique militaire états-unienne dans la région.

Il a fallu aussi exhumer le Traité interaméricain d’Assistance réciproque (TIAR), pour avoir un autre front – militaire celui-ci – d’attaque contre le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, ou quiconque oserait s’opposer aux politiques de Washington.

Donald Trump, le président des États-Unis, l’a clairement laissé entendre : « Maintenant nous nous sommes rapprochés d’un pas de l’Hémisphère occidental complètement démocratique, prospère et libre. Ces évènements envoient un signal fort aux régimes illégitimes au Venezuela, et au Nicaragua » a-t-il déclaré.

« Les États-Unis applaudissent l’armée bolivienne car elle a respecté son serment de protéger non seulement une personne, mais la constitution bolivienne (…) Après presque 14 ans et sa tentative récente de ne pas respecter la constitution bolivienne et la volonté du peuple, Morales, en partant, préserve la démocratie et ouvre la voie pour que le peuple bolivien fasse entendre sa voix », a déclaré Trump, révélant clairement la participation de son gouvernement au coup d’État contre Morales.

Au Brésil, le président, le vice-président, de nombreux parlementaires et plus de la moitié du cabinet présidentiel sont des militaires qui ont des liens étroits avec les États-Unis : un militaire brésilien est aujourd’hui vice-commandant de l’interopérabilité du Commando Sud.

Le gouvernement de Jair Bolsonaro a approuvé un accord bilatéral pour le lancement de satellites, de fusées et de vaisseaux spatiaux depuis la base de Alcántara et a signé un accord avec la Garde nationale de l’État de New York.

En Uruguay, l’ex-général Guido Manini a obtenu avec un parti d’extrême droite, Cabildo Abierto, onze pour cent des voix aux élections d’octobre, qui lui assurent ainsi 3 sièges de sénateurs et 11 de députés.

L’influence du Commando Sud états-unien en Amérique centrale est décisive et l’action des militaires est la clé de la sécurité intérieure, de la lutte supposée contre le narcotrafic, du contrôle de l’émigration vers les États-Unis, en matière de sécurité intérieure et de la défense des gouvernements corrompus et contestés.

Au Mexique, la création de la Garde nationale pour combattre le crime organisé n’a pas impliqué la démilitarisation de la « guerre contre les drogues ». Au Venezuela, le principal soutien de Nicolás Maduro sont les militaires.

En Colombie, la lenteur extrême des avancées de la part du gouvernement de l’application des accords de paix signés avec les FARC et l’échec du dialogue avec l’ELN sont en partie causés par la pression des forces armées, financées et entrainées aux États-Unis, mais inquiètes aujourd’hui des dénonciations croissantes de violations systématiques des droits humains et la présentation de faux témoignages (paysans assassinés et vêtus comme des guerrilleros pour attester de victoires militaires).

Le président Lenín Moreno, en Équateur, a dû faire appel au soutien et à la répression des forces armées pour imposer sa série de mesures néolibérales. Sa photo aux côtés des quatre représentants des forces armées a mis en évidence le rôle des militaires dans le soutien à un gouvernement impopulaire.

Au Chili, Sebastián Piñera a voulu imposer de nouvelles mesures néolibérales qui ont déclenché une explosion sociale. En réponse, il a décrété l’état d’urgence et ordonné une répression impitoyable par les Carabiniers et les Forces armées.

Pour Juan Gabriel Tokatlian, vice recteur de l’université argentine Torcuato di Tella, ce qui s’est passé en Bolivie est de l’ordre de ce que certains analystes appellent le néoputschisme, ouvertement dirigé par des civils avec l’appui tacite ou la complicité explicite des forces armées de façon à ce que la violation constitutionnelle soit moins ostensible et que soit préservée une apparence institutionnelle bien que virtuelle.

Un pari contre la démocratie

Depuis l’explosion de la crise économique en 2008, l’oligarchie financière globale et sa collusion avec les élites régionales ont cessé de parier sur la démocratie, affirment Matías Caciabue et Paula Giménez, chercheurs du Centre latino-américain d’analyse stratégique.

Elle a coïncidé précisément avec le moment même où les peuples de la région réussissaient à la consolider en tant que forme d’organisation, avec une capacité d’octroyer des niveaux de réparation économique et de justice sociale pour les immenses majorités de la région la plus inégalitaire de la planète. Cette dure actualité, caractérisée comme une région en conflit, a commencé avec le coup d’État civil et militaire contre Manuel Zelaya, au Honduras, en 2009.

À cette liste se sont ajoutés la tentative de coup d’État déjà en Bolivie en 2009, bloqué par l’intervention rapide des pays de la région et des organismes d’intégration, et la destitution juridico-mafieuse de Fernando Lugo au Paraguay en 2012.

S’ajoute à cela le coup d’État permanent au Venezuela depuis la mort d’Hugo Chavez en 2013, qui est monté en puissance avec les garimbas et le début des sanctions économiques étatsuniennes de 2015 et la guerre non conventionnelle depuis le second mandat de Nicolás Maduro, en cette année 2019 (sans oublier évidemment le coup d’État d’avril 2002 et la grève du secteur pétrolier de 2003).

Il est difficile d’ignorer la détérioration juridico-médiatique du gouvernement de Cristina Fernández en 2105 et le triomphe de Macri et de son alliance Cambiemos qui a suivi (sans oublier les coups de force du patronat agricole de 2008) ni l’impeachment (destitution) contre Dilma Rousseff en 2015 et la criminalisation des militants du Parti des travailleurs (PT).

Ni la détention qui s’en est suivi, par les mécanismes avérés du law-fare (guerre judiciaire) de Lula Da Silva qui, s’il avait été libre aurait gagné les élections de 2018, au Brésil, où s’est finalement imposé Jair Bolsonaro de l’ultra droite.

Il faut mentionner les trahisons de Lenín Moreno en Équateur et de Nayib Bukele au Salvador qui révèlent les défections des secteurs bourgeois aux programmes de transformation auxquels ils avaient souscrits ; sans compter les mouvements de destitution contre le sandinisme au Nicaragua de 2018, à quelques mois d’élections où Daniel Ortega a obtenu 72% des voix.

Aujourd’hui, sous nos yeux, en Bolivie, se met en place une dictature civico-militaire qui a imposé une forte censure médiatique et a commencé à arrêter des activistes sociaux, des dirigeants politiques et des fonctionnaires du gouvernement constitutionnel, sous l’aile des États-Unis, la secrétaire générale de l’Organisation des États américains et le Groupe de Lima (qui appuient la politique d’ingérence des États-Unis).

Détruisons ce qui a été construit

Ce qu’il en a tellement coûté à construire, en trois lustres, au Mouvement vers le socialisme (MAS) peut disparaître en quelques jours ou quelques heures. Les conquêtes sociales, économiques, ethniques, culturelles, de genre, qui ont fait de la Bolivie un exemple en matière de programmes de santé, d’éducation, et de logement seront démonisées considérés comme les causes du coup d’État.

 La Bolivie de pays le plus pauvre de l’Amérique est devenu le pays avec le plus haut taux de croissance d’Amérique : son PIB a augmenté de 400%. Le salaire minimum a augmenté de 1000%.
 La discrimination envers les Indiens a pris fin et la République plurinationale a été créée. La culture et le respect de l’environnement, l’amour de la Pachamama ont été encouragés.
 Une nouvelle Constitution a été votée qui a donné des droits aux travailleurs, aux paysans, aux étudiants, aux femmes et aux Indiens.
 Le gaz et l’eau ont été nationalisés. Plus de 25 000 kilomètres de routes, 134 hôpitaux, 7 191 centres sportifs, 1 100 écoles ont été construits.
 L’analphabétisme est passé de 22,7% à 2,3%.
 Il y a eu de nombreuses créations d’entreprises : 12 entreprises d’exploitation du lithium, 3 cimenteries, 2 usines automobiles, 28 de textiles et 12 694 coopératives.
 Les 8 bases militaires que les États-Unis avaient en Bolivie ont été fermées et les missions de la DEA et de la CIA ont été annulées.
 Les emplois publics sont occupés pour moitié par des femmes, parmi lesquelles 68 % sont indiennes.
 La retraite pour les adultes âgés de plus de 65 ans et une aide pour tous les étudiants de Bolivie ont été instaurées.
 La Bolivie a lancé son premier satellite, le Túpac Katari.

La haine accumulée par la ploutocratie dans un pays où la domination de l’oligarchie se fonde sur le discours de la supériorité ethnique raciale est un facteur de coagulation, écrit Marcos Roitman. On a vu des maires attachés à des arbres, obligés d’avancer à genoux , insultés, sortis de chez eux, roués de coups, menacés de mort. Mais un peuple qui sort sans arme pour défendre son combat, son histoire.

La violence de la part de hordes fascisantes appuie et complète l’action des forces armées et de la police insurgée. Une situation nouvelle dans la technique du coup d’État, sans oublier l’anticommunisme réactionnaire, un fantôme démodé mais qui tombe toujours bien pour manipuler les populations.


Álvaro Verzi Rangel est sociologue, co-directeur de l’Observatoire en communication et démocratie et du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE, www.estrategia.la).

Traduction française : Françoise Couëdel

Source (espagnol) : http://estrategia.la/2019/11/12/bolivia-y-el-regreso-de-la-cuestion-militar-de-la-mano-de-washington-y-la-oea/.

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