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DIAL 2822

VENEZUELA - Chávez annonce l’expropriation des usines fermées.

Jorge Martín

jeudi 1er septembre 2005, mis en ligne par Dial

La mise en route de la « révolution bolivarienne » passe par l’expropriation des usines fermées et la participation des ouvriers au management, à la direction et aux profits des entreprises. L’article ci-dessous témoigne du point de vue de Vénézuéliens partisans convaincus de la ligne bolivarienne. Il revêt un caractère « enthousiaste », que l’on pourra juger parfois excessif, mais non dénué d’analyses sur les « contradictions » rencontrées. Il a l’avantage de citer amplement le président Hugo Chávez s’expliquant sur sa politique dans son émission de radio hebdomadaire, et fournit d’intéressantes données sur la situation du Venezuela. Article de Jorge Martín, paru dans la revue El Militante, traduit par la revue A l’Encontre, revue politique mensuelle (Lausanne ).


Dans son émission de télévision hebdomadaire Aló Presidente, le président vénézuélien Hugo Chávez a annoncé que 136 usines actuellement fermées étaient soumises à un examen en vue d’une expropriation. « C’est comme la terre non travaillée, a-t-il dit. De même que nous ne pouvons pas admettre de terres qui ne sont pas cultivées, de même nous ne pouvons pas accepter des industries qui ne fonctionnent pas. »

Le programme était émis depuis Cumana [1]. Chávez participait également à l’inauguration de l’Union coopérative agro-industrielle du cacao, une entreprise qui, après avoir été fermée pendant neuf ans, vient d’être rachetée par des travailleurs pour en faire une coopérative, grâce à un prêt du gouvernement à bas taux d’intérêt. Chávez a expliqué que ce type de coopérative était un de ces projets qui « génèrent le bien-être collectif à travers le travail commun, dépassant ainsi le modèle capitaliste qui promeut l’individualisme. Nous avons identifié environ 700 entreprises fermées. Cela ne peut être admis », a affirmé Chavez, en lisant une liste des compagnies où le processus d’expropriation a déjà débuté. Il y en a 136 autres qui sont en train d’être examinées, et il y a également de nombreuses autres compagnies qui sont partiellement paralysées. Le nombre total de compagnies ayant été passées en revue s’élève à 1 149.

Il a mentionné le cas d’une entreprise de pisciculture dans le port de Guanta [2] qui est sur le point de commencer à produire. « Mais les employeurs ne veulent pas la faire fonctionner, nous devrons alors exproprier et la gérer nous-mêmes », a-t-il ajouté. Le président Hugo Chávez a alors passé en revue toute la liste et a mentionné un certain nombre de compagnies qui sont actuellement fermées, mais qui possèdent toutes les installations techniques et tous les actifs nécessaires pour commencer la production. Parmi divers exemples, il a cité une usine textile, une scierie, une fabrique de meubles, un hôtel, une fabrique de produits laitiers, une usine de chaussures et une aciérie.

Paraphrasant un dicton populaire vénézuélien, Chávez a déclaré que « celui qui a un commerce doit le garder ouvert ou alors le vendre, s’il ne le garde pas ouvert ni ne le vend, alors nous l’exproprierons. » Mais il est clair que ce dernier ne faisait pas allusion aux petits magasins, puisque les compagnies qu’il venait de citer pourraient employer entre 100 et 500 ouvriers.

Il a ajouté que, pour tous les employeurs voulant garder leurs entreprises ouvertes, l’Etat était prêt à les aider en leur octroyant des prêts à taux d’intérêt réduit, mais à la condition que « les employeurs accordent aux ouvriers une participation au management, à la direction, aux profits de la compagnie ».

Maria Cristina Iglesias, la ministre du travail, est également intervenue dans l’émission en lançant un appel « aux syndicats, aux travailleurs, aux anciens travailleurs de ces compagnies pour qu’ils les récupèrent ». Et d’ajouter : « C’est avec la force des travailleurs que nous pourrons vaincre cet ennemi interne qu’est la dépendance qui nous garde éloignés de nos buts dans la lutte contre la pauvreté. »

« Ceci est la révolution »

« Ceci est la révolution. Ceci est le socialisme », a ajouté Chávez qui a également dit que « la démocratie révolutionnaire constitue la transition, le pont, le chemin vers le socialisme du XXIe siècle, un socialisme qui sera bolivarien, vénézuélien, latino-américain ». Et il a appelé la population à « laisser de côté les fantômes avec lesquels l’idée de socialisme a été associée ».

Précédemment, le président avait divulgué les résultats d’un sondage d’opinion selon lequel la majorité des Vénézuéliens préfèrent le socialisme. L’enquête, faite par une compagnie privée à la fin du mois de mai et au début de juin, révèle que 47,9% des Vénézuéliens préfèrent un « gouvernement socialiste » alors que 27% seulement défendent le capitalisme.

Mais Chávez a expliqué qu’il restait encore 25% de gens à n’avoir pas répondu à la question et que l’offensive idéologique devait donc être renforcée. Depuis que Hugo Chávez a déclaré que le chemin vers la révolution vénézuélienne passait par l’instauration du socialisme, c’est devenu le débat principal à l’intérieur du mouvement révolutionnaire bolivarien, et dans la société en général. Même le président de la fédération patronale Fedecamaras a été obligé de déclarer, il y a quelques mois, qu’il n’était pas question de choisir entre le socialisme et le capitalisme, mais plutôt de « prendre les meilleurs aspects de deux systèmes ».

Plus récemment, le général de division à la retraite Muller Rojas, dans son discours devant l’Assemblée nationale du 5 juillet 2005, réunie en session spéciale à l’occasion du jour de l’Indépendance, a lancé un appel pour créer une nouvelle Société patriotique (l’organisation qui avait mené la lutte pour l’indépendance il y a presque 200 ans), précisant toutefois que cela devrait être aujourd’hui « une société patriotique pour le socialisme ». Quant à Chávez, dans un discours devant les officiers de l’armée, il les a invités à faire entrer le débat sur le socialisme « dans les baraquements » et de mettre au rebut les vieilles idées et les préjugés qui leur avaient été enseignés dans le passé au sujet du socialisme.

Au sein du mouvement des travailleurs, ces idées ont été reçues avec enthousiasme. La discussion principale est maintenant de savoir ce qu’on entend par socialisme, comment appliquer la cogestion et quel est le rôle des travailleurs dans le processus révolutionnaire et dans l’économie. Il est clair qu’il existe encore de nombreuses interprétations de ce que l’on entend par socialisme. Pour les sections plus modérées dans le mouvement bolivarien, le socialisme signifie fondamentalement la démocratie sociale, ou, comme ils le disent eux-mêmes, « le socialisme de Zapatero », se référant au président social-démocrate espagnol.
Mais pour les travailleurs et pour les pauvres, il est clair que le socialisme signifie une rupture radicale avec le capitalisme. Chávez lui-même a expliqué que « à l’intérieur des limites du capitalisme les problèmes de la misère, de la pauvreté, de l’injustice, auxquels les Vénézuéliens doivent faire face ne peuvent pas être résolus ».
Dans l’immense manufacture d’aluminium ALCASA qui est propriété de l’Etat et où l’expérience la plus avant-gardiste de ce que l’on appelle « la cogestion » est mise en place, il est assez clair que pour les travailleurs le mot « cogestion » signifie précisément le contrôle et le management par les travailleurs. De ce fait, une affiche imprimée par ALCASA met en avant le « contrôle ouvrier » comme slogan principal.

Cela a été expliqué clairement par Edgar Caldera, l’un des dirigeants syndicaux d’ALCASA dans un article du 29 mai 2005 : « S’il y a une chose que les travailleurs doivent comprendre clairement, c’est que notre cogestion ne doit pas devenir une arme pour renforcer le mode de production capitaliste qui exploite. Nous ne pouvons répéter la triste histoire de l’Europe, où le système de cogestion a été utilisé pour se débarrasser des droits et des acquis des travailleurs. »

A ALCASA, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui élisent leurs managers. Ces managers conservent le même niveau de salaire qu’ils avaient avant d’être élus et sont soumis au droit de révocation par les travailleurs. Dans le même article, Edgar Caldera donne un exemple de la façon dont le contrôle par les ouvriers signifie en même temps une production plus efficace et une élimination de la bureaucratie, du mauvais management et de la corruption. Il explique comment dans la Ligne de Réduction III [3], une compagnie de l’extérieur avait été chargée de la maintenance et des réparations. Mais c’était en fait une source de corruption et, dans la pratique, cela signifia que, pendant environ sept ans, 10% des cellules de la ligne de réduction restèrent au repos. Lors d’un meeting de masse, les travailleurs ont donc décidé de renvoyer le contractant externe et d’engager le nombre nécessaire de travailleurs pour faire le même travail dans l’entreprise. Le résultat fut que les pannes diminuèrent dans un temps record et que maintenant la ligne de production travaille à pleine capacité.

Cette expérience a énormément élevé le niveau de conscience politique des travailleurs concernés. Du 16 au 18 juin a eu lieu un meeting de travailleurs impliqués dans des expériences de contrôle ouvrier et les conclusions qui ont été tirées sont très pointues. Tout au long du meeting, il y a eu une compréhension claire du fait que ce qui est connu au Venezuela comme « cogestion » constitue en fait une marche vers la construction d’une société socialiste. Un des points sur lesquels il y a eu accord est très clair : « Il faut inclure dans les propositions pour une cogestion révolutionnaire le fait que les compagnies doivent être propriété de l’Etat, sans distribution de parts pour les travailleurs, et que tous les profits doivent être distribués en fonction des besoins de la société à travers des conseils de planification socialiste. Ces conseils de planification socialiste doivent être compris comme des organes qui mettent en œuvre les décisions prises par les citoyens en assemblées. »

Contradictions

Tout ce processus de discussion politique et d’action par les travailleurs et les pauvres n’est pas exempt de contradictions. Par exemple, dans l’ancienne fabrique de papier VENEPALl, maintenant INVEPAL, la première firme à avoir été expropriée par le gouvernement bolivarien, les responsables syndicaux ont fait le pas de se séparer du syndicat. Ils espèrent racheter la part de l’Etat dans la compagnie afin d’être les seuls propriétaires et de pouvoir garder tous les profits de la production. D’autres responsables syndicaux les ont mis en garde contre ce projet, en insistant sur le fait que cette façon d’agir maintenait en place le capitalisme et que cela pourrait même les mettre en conflit avec d’autres travailleurs dans le futur.

A INVEVAL, l’ancienne Compagnie nationale de fabrication de soupapes, CNV, qui a été expropriée par le gouvernement le 1er mai 2005, les difficultés ne sont pas le fait des travailleurs eux-mêmes, mais plutôt de la bureaucratie de l’Etat. Au cours de la signature du décret d’expropriation, Chávez a dit clairement que les travailleurs devaient avoir une majorité de représentants dans les conseils de direction et que l’organe décisionnel suprême devait être l’Assemblée générale des travailleurs. Mais lorsqu’en date du 27 juin un représentant du ministère de l’économie populaire a lu aux travailleurs les statuts proposés pour la compagnie, ceux-ci ne faisaient aucune mention de la participation des travailleurs. L’assemblée présente a donc rejeté cette proposition et a commencé un processus de mobilisation pour exiger le contrôle ouvrier. Afin d’élargir leur lutte au-delà d’INVEVAL, les travailleurs sont maintenant en train de tisser des liens avec des travailleurs d’autres compagnies où des expériences semblables sont menées.

Et comme dernier exemple, dans la compagnie d’Etat de production et de distribution d’électricité CADAFE, il y a eu toutes sortes de tensions avec la direction de l’entreprise, dès le tout début de la mise en œuvre de la cogestion (à l’époque où les travailleurs exerçaient le contrôle ouvrier pour prévenir le sabotage durant le lock-out des patrons de décembre 2003). La direction voulait d’abord limiter le pouvoir des travailleurs à la prise de décisions sur des aspects secondaires comme, par exemple, le genre de décorations de Noël dans le bâtiment de la compagnie à Valencia ! Les travailleurs et leur syndicat ont donc dû lutter pour chaque pouce de contrôle ouvrier qu’ils détiennent maintenant dans la compagnie. La direction doit alors avancer un autre argument : « Il ne peut y avoir de participation ouvrière dans les usines stratégiques. »

L’argument tombe face à la réalité, puisque c’est précisément pendant le lock-out patronal de 2003 que les travailleurs du pétrole ont rétabli la production à PDVSA [4] et que les travailleurs de l’aluminium et de la sidérurgie des immenses sites de Guayana se sont battus physiquement pour se frayer un chemin vers les installations de gaz et pouvoir ainsi réactiver l’approvisionnement de leurs usines. C’est aussi à ce moment que les travailleurs du métro de Caracas ont maintenu le métro ouvert et que les travailleurs de l’électricité de CADAFE ont maintenu l’approvisionnement de l’électricité empêchant ainsi le sabotage de l’industrie.

Le mouvement des travailleurs vénézuélien est en train de vivre une transformation massive et de devenir conscient de sa propre force. C’est là que réside l’espoir pour le futur de la révolution bolivarienne.
Une chose dont les travailleurs ont une conscience très claire, comme Chávez l’a dit dans son programme Aló Presidente, une révolution est un processus dans lequel de nouvelles idées et de nouveaux modèles naissent, alors que de vieilles idées meurent et « dans la révolution bolivarienne, c’est le capitalisme qui va être éliminé » .


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2822.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : El Militante

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[1Qui se situe dans l’Etat de Sucre.

[2Près de Puerto La Cruz.

[3Segment du procès de production de l’aluminium.

[4Compagnie nationale pétrolière.

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