Accueil > Français > Amérique latine et Caraïbes > PORTO RICO - Entre défi et passivité

PORTO RICO - Entre défi et passivité

NCM Noticias

mardi 22 février 2022, par Françoise Couëdel

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

17 février 2022 - Porto Rico est le théâtre de gigantesques manifestations de rues qui, ce mois ci, ont amené à plus de 35 mille professeurs, pompiers et autre travailleurs à envahir les rues de la vieille ville de San Juan.

Face à l’arrivée de plus de mille investisseurs aventuriers pour consolider la domination coloniale des États-Unis sur Porto Rico, les portoricains ont deux options qui sont, la passivité et l’exil, ou, l’action politique pour relever le défi, selon la sénatrice María de Lourdes Santiago Negrón.

L’arrivée de ces riches aventuriers vient se substituer à ce qui, en d’autres temps, fut l’exemption d’impôts à payer aux États-Unis dont jouissaient les filiales des corporations étasuniennes qui s’établissaient à Porto Rico. Ainsi ce privilège est transféré des grandes corporations productives à des personnes privées qui ne sont pas tenues de produire et c’est ce qui a provoqué l’appel à la résistance.

Mais la sénatrice Santiago, celle qui a obtenu le plus de voix aux élections dernières, ne s’imagine pas elle-même être le leader ou l’instigatrice qui serait tenue de relever un tel défi face à de nouveaux colonisateurs et leurs alliés de l’élite politique coloniale, elle estime que ce doit être au peuple d’agir.

« C’est ce que voudrait voir le Parti indépendantiste portoricain », a déclaré Santiago lors d’une entrevue avec NCM Noticias et ses mots ont été plus qu’un appel, une définition du dilemme dans lequel se trouve Porto Rico.

Au commencement de la troisième décennie du XXIe siècle, la politique états-unienne se retrouve embourbée dans cette petite nation insulaire du nord-ouest de la Caraïbe, après l’échec des différents modèles antérieurs implantés par Washington et ses alliés de l’élite politique portoricaine. Les soutiens à cette stratégie actuelle sont, d’un côté l’émission d’une nouvelle dette impossible à rembourser aux investisseurs charognards de Wall Street par le gouvernement de Porto Rico et par ailleurs la protection assurée à un millier de riches aventuriers qui se présentent pour acheter les terres et les propriétés des portoricains « à des prix surévalués », car ils ne sont pas tenus de payer un seul centime d’impôts sur leurs gains personnels, sans compter d’autres bénéfices.

Il s’agit de riches qui souvent ne vivent même pas vraiment dans le pays. Santiago a déclaré qu’elle connaît des cas d’individus qui arrivent dans leur avion privé, se paient un café à l’aéroport et retournent chez eux, et qui utilisent le ticket de caisse pour justifier de leur résidence officielle à Porto Rico et, de cette façon, ne pas payer d’impôts sur les revenus, ni ici ni aux États-Unis. C’est ce qui se produit parce que la loi exige qu’ils vivent dans le pays au moins six mois par an mais qu’aucun mécanisme n’a été mis en place pour les contrôler.
Elle a ajouté, en outre, qu’ils achètent les soutiens des politiques et même de groupes de pression sociale et que cela elle le sait, pour avoir du, en tant que sénatrice, rejeter leurs propositions indécentes. Pour appuyer ses déclarations, elle a raconté que, après avoir décliné des invitations à dîner de la part de ces hommes d’affaires, elle a reçu des appels d’une de leurs représentants, qui lui a demandé de lui remettre une liste d’organisations populaires auxquelles elle aurait voulu faire des dons importants. Chose qu’elle a également refusée.

Tandis que des milliers de Portoricains vendent ou émigrent, avec ou sans argent, aux États-Unis, le pays est la scène d’immenses manifestations de rues, comme celles qui ce mois-ci ont amené d’abord 10 000 et une semaine plus tard 25 000 professeurs, pompiers et autres travailleurs à envahir les rues du Vieux San Juan. Ces manifestants réclament la réparation des dommages subis qui vont de l’appauvrissement des enseignants et des retraités jusqu’aux tentatives des riches de faire main basse sur les plages en violation manifeste de la Constitution.

Le gouvernement a tenté, usant de mépris et d’insultes, d’abord de nier ces revendications mais a utilisé ensuite les millions de dollars des fonds envoyés par les États-Unis en les destinant aux salaires et autres compensations, en les répartissant aussi entre des institutions et des associations sociales et culturelles. Évidemment, l’essentiel des revendications, le refus d’un appauvrissement accru par l’acceptation d’une dette impossible à rembourser et la destruction du système de retraites, n’ont pas été entendus, raisons pour lesquelles d’autres appels à manifester ont été lancés.

Santiago qui, il y a presque vingt ans de cela, a été envoyée en prison en raison des efforts déployés pour évacuer la flotte des États-Unis de l’île de Vieques, est toujours active sur le front des luttes sociales.

L’entretien s’est orienté sur le problème posé par ces aventuriers entrepreneurs récemment arrivés qui, selon ce qu’elle a expliqué, non seulement s’approprient des terres, des maisons et des édifices mais qui ont un effet dévastateur sur l’économie de marché et même sur la culture et les conditions sociales. Elle a expliqué que les portoricains sont progressivement déplacés et acculés, prisonniers de forces qui menacent leur existence.

Santiago a refusé l’idée que c’est un développement propre au capitalisme. Elle a déclaré qu’au contraire le gouvernement colonial, en cherchant un moyen de stabiliser la domination états-unienne, agit de façon inappropriée « en contournant les règles du marché » pour favoriser les riches qui viennent de l’étranger.

« Il ne s’agit pas ici de libre entreprise » a déclaré Santiago qui a ajouté « ce que crée sciemment l’État c’est l’instabilité au détriment des pauvres ».

« On encourage les étrangers à pouvoir obtenir des titres immobiliers » a dit Santiago. Mais elle estime que c’est un sujet qui« devrait inquiéter » les entrepreneurs portoricains car, à plus ou moins court terme, ils seront amenés à partager le même sort que les pauvres de ce pays.

Elle a expliqué qu’un modèle mis en application antérieurement, avec le secours de la loi, avait eu pour finalité de déloger des communautés entières de la capitale et de vendre des édifices et des terrains à des développeurs de projets coûteux, et que ce fut un échec car dans la réalité il n’y avait pas de marché. Dans les faits le nouveau système n’exige pas que ces riches développent quoi que ce soit mais bien qu’ils achètent pour se faire passer pour résidents, ce qui entraine l’augmentation des prix des biens et des services sans qu’il y ait d’augmentation réelle de production ou de création d’emplois.

Le résultat est que « les pauvres sont en train de financer les millionnaires » alors que c’est à cette caste d’étrangers « qu’incombe l’obligation de participer au bien commun ». Elle a insisté sur le fait que ces opérations bénéficieront à Washington si toutefois les portoricains ne se soulèvent pas « contre ce régime qui les encourage ».


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/214948.

responsabilite

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.