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ARGENTINE - Adrián Moyano : « le peuple mapuche est sous la domination de deux états coloniaux »

Gerardo Gamarra

lundi 13 juin 2022, mis en ligne par Françoise Couëdel

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3 juin 2022 - La question mapuche est un sujet qui perturbe les agendas de l’Argentine et du Chili, plus encore depuis l’ascension de Gabriel Boric et le commencement du processus constituant. Gerardo Gamarra, pour ALAI, s’est entretenu sur le sujet avec l’écrivain et activiste Adrián Moyano.

Adrián Moyano est un journaliste et écrivain argentin, qui réside à Bariloche, province du Río Negro. Il a étudié, entre autres sujets, la cosmovision des Mapuche, c’est aussi un activiste qui défend la revendication politique d’une nation ancestrale sur le territoire de deux États modernes : le Chili et l’Argentine.

Le dernier ouvrage de Moyano s’intitule Digno de renombre de Bravo : El longko Keupü y la resistencia mapuche en la cordillera (1872-1884) [Digne du renom de Bravo : le longko Keupü et la résistance mapuche dans la cordillera (1872-1884)]. Il revient sur la figure de ce chef mythique, dans l’intention de débattre de quelques faits supposés historiques de la mal nommée « Campagne du désert », responsable d’un authentique génocide. Nous nous entretenons avec cet écrivain sur la question mapuche, la politique d’État et les expectatives qui s’ouvrent au Chili.

Gerardo Gamarra : En partant de ton étude de toutes ces années pendant lesquelles tu as suivi les luttes de la nation mapuche, quelle réflexion suscite chez toi le contexte actuel, avec l’émergence de différents gouvernements progressistes ?

Adrian Moyano : en regardant sur le long terme nous en sommes au même point qu’à la fin du XIXᵉ siècle, quand deux États – le Chili et l’Argentine – se sont appropriés le territoire mapuche, libre jusqu’alors, en exerçant leur domination coloniale, surtout à partir de la « Pacification de l’Araucanie », au Chili, et, en Argentine, avec la « Campagne du désert ».

Ces deux États ont amené le capitalisme et les institutions d’état, grâce auxquels ils ont installé une relation de sujétion coloniale au détriment du peuple mapuche dont la résistance reste intacte, en dépit des périodes au cours desquelles la répression d’État est parvenu à l’affaiblir.

Cela nous le voyons quotidiennement quand, par exemple, du côté argentin, les résistances mapuches s’opposent aux activités extractives du modèle qu’adoptent les gouvernements successifs. Dans ces cas la réponse est toujours la même, que ce soit des droites néolibérales qui gouvernent ou de représentants qui se considèrent plus progressistes.

Évidemment ce n’est pas la même chose d’encourager la répression et même de célébrer la mort de camarades comme Santiago Maldonado ou Rafael Nahuel – comme l’ont fait certains représentants de la droite argentine – que de ne pas le faire ou de favoriser des espaces de consultation, de dialogue. Mais quand le choix est radical, quand il s’agit de méga-exploitation minière, de fracking ou de droits territoriaux mapuches, les choix progressistes sont biaisés et confortent cette situation de domination coloniale.

Quand il s’agit de long terme, de phénomène structurel, l’image est celle de deux États alliés, ayant différents degrés d’intimité avec les corporations transnationales. Au Chili est plus évidente la prédominance de l’exploitation forestière, de la salmoniculture et maintenant aussi celle des sources d’énergie renouvelable, du tourisme, de la spéculation immobilière, etc. Du côté de l’Argentine sont plus importants les secteurs de l’exploitation pétrolière, des mines à grande échelle, et en raison de l’arrivée récente de « nouveaux » propriétaires terriens et de détenteurs de capitaux, l’accélération de l’appropriation de terres.

Voilà à grands traits le tableau, un aggiornamento de la domination coloniale que subit le peuple mapuche sous la coupe de deux états.

G.G : Pour ce qui concerne particulièrement l’Argentine, quels sont les mécanismes légaux et politiques grâce auxquels elle réussit à maintenir la situation que tu décris ?

A.M : Il existe une caractéristique singulière : aucune des trois provinces qui recensent la présence mapuche la plus importante n’est dirigée selon la même orientation politique que celle qui dirige la nation. À Neuquén gouverne le Mouvement populaire Neuquino (MPN) depuis le retour de la démocratie ; à Río Negro gouverne Juntos Somos Río Negro (Ensemble nous sommes Río Negro), et à Chubut gouverne une force qui ne se réclame pas de Frente de Todos.

Cependant quand surgissent des conflits, comme cela s’est produit à Chubut en décembre 2021, quand le tribunal a tenté d’approuver la Loi de zonage minier – qui permettait l’avancée des corporations d’exploitation minière dans ce qui est appelé localement la meseta – le gouvernement national est resté silencieux, en simple observateur. À ce moment-là a eu lieu une répression généralisée non seulement contre le peuple mapuche mais aussi contre tous les secteurs présents qui remettaient en question l’exploitation minière.

Ce dont on s’affranchit c’est de la Constitution nationale, de la Convention 169 de l’OIT, et dans le cas de Río Negro, de la loi intégrale de l’indien et des ordonnances qui reconnaissent le peuple mapuche et ordonnent des politiques publiques interculturelles, qui ne sont pas réellement appliquées.

Cela est devenu plus évident au milieu de l’année dernière quand s’est présentée une nouvelle compagnie minière sur des territoires situés à 150 kilomètres de Bariloche, sur la Ligne sud, qui a entrepris des sondages au sein des communautés. Celles-ci ont réagi bien évidemment.

Des tentatives d’exploration ont eu lieu dans douze communautés mais les communautés ont constitué un bloc et ont déclaré publiquement qu’elles n’allaient pas permettre la pénétration de la compagnie minière. Elles ont été également présentes lors de la Marche interculturelle pour le 10ᵉ anniversaire de la dérogation à la Loi anti-cyanure.

« La convention 169 de l’OIT dit que les communautés doivent être consultées pour recueillir leur avis sur tout ce qui leur incombe ».

Récemment le gouvernement local a tenté de former une Direction des peuples originels, alors qu’il existe déjà une entité officielle au sein de laquelle sont représentées les communautés. Avec la présentation du projet de l’hydrogène vert – qui engloberait aussi des centaines d’hectares et implique directement certaines communautés – le Secrétariat des mines a déclaré que le gouvernement provincial ne détient pas les enregistrements au cadastre des communautés. Par conséquent, selon lui, ce sont des terres de l’État.

La négation persiste, l’invisibilisation se poursuit, alors que l’écrasante majorité des communautés rurales de la région se sont formées après la Campagne du désert, avec les survivants de cette campagne, sédentarisés par la force. Comment se fait-il que se présente un émir du Quatar et son représentant et qu’ils aient déjà les actes de propriété de terres où sont enterrés des générations de Mapuches que l’État n’a pas recensées et ne prend pas en considération ? C’est une conséquence du racisme structurel sur lequel sont fondés les États nationaux.

G.G. : Pour compléter le cadre régional, quelles perspectives peuvent s’ouvrir avec l’arrivée de Gabriel Boric à la présidence du Chili ?

A.M. : Dans le cas du Chili il y a un élément intéressant : c’est le processus de réforme constitutionnelle, selon lequel le peuple mapuche en est un acteur, à tel point que la présidente au premier semestre de la Convention constituante a été une intellectuelle mapuche remarquable.

Nous devons aussi prendre en compte l’avant-projet présenté, selon lequel on avance vers une déclaration de pluri-nationalité. Grâce à laquelle le Chili reconnaîtrait non seulement la nation mapuche mais aussi les six peuples originels qui sont présents selon la juridiction chilienne.

En Argentine nous sommes à des années lumière de cette discussion. L’importance spécifique du peuple mapuche et leurs demandes au sein de la politique argentine sont aussi différentes de celles du Chili, même si on considère qu’en Argentine les peuples originels sont au nombre de 40 tandis qu’ils sont sept au Chili.

L’agenda politique mapuche, en Argentine, gagne en importance pour une droite néolibérale qui a besoin d’un ennemi public pour construire une coalition de forces qu’elle considère favorable. Cela est une évidence depuis 2016 et jusqu’à nos jours, avec la mort de Santiago Maldonado et Rafael Nahuel.

Je me souviens des mots de Pedro Cayuqueo, un historien et journaliste chilien, qui a affirmé que si les demandes du peuple mapuche étaient réellement problématiques pour la sécurité de l’État argentin, cela supposerait de piètres capacités de leur part. Il s’agit d’un ensemble de demandes d’une importance forte dans trois provinces mais qui ont été nationalisées à force d’être stigmatisées.

Autant sur l’expérience actuelle du gouvernement de Boric, comme de celle de la constituante, il faut préciser un certain nombre de choses. Le peuple mapuche n’a jamais représenté une unité politique et elle ne la représente pas non plus de nos jours. Il y a eu au Chili des communautés qui ont appelé à participer au processus constituant, d’autres sceptiques, et il y en a eu même qui ont appelé au boycott. Les différences restent les mêmes en ce qui concerne le nouveau gouvernement. Je ne crois pas que la vision de l’ensemble du peuple mapuche soit unanime pour ce qui est de l’étape qui s’est amorcée ces dernières années.

Dès à présent il y a ceux qui parient sur la voie institutionnelle. Je me souviens toujours des déclarations d’un maire historique de Tirúa, Adolfo Millabur, qui disait qu’une nouvelle constitution ne va pas résoudre les problèmes des Mapuche mais que c’est une chance pour eux d’entrer dans la course.

D’un point de vue plus personnel j’ai de l’espoir. Un chemin nouveau peut s’ouvrir si la Constitution est votée. Espérons qu’il en soit ainsi. Il s’agit d’une expérience inédite et nous devons rester particulièrement attentifs.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alai.info/entrevista-adrian-moyano-dominacion-colonial-pueblo-mapuche.

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